Birmanie, un petit tour à l'école
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Birmanie, un petit tour à l'école
sujet reposant mais bruyant
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Date d'inscription : 31/05/2009
La Birmanie retourne sur les bancs de l’école
Ancien acteur, Kyaw Thu s’est par la suite fait connaître en offrant des obsèques aux plus démunis. Aujourd’hui, il ressuscite l’éducation.
Le président birman, un général à la retraite, lui a suggéré de la couper. Mais Kyaw Thu tient à sa barbe poivre et sel. Pour l’acteur le plus connu de Birmanie, c’est une manière de rappeler que le cinéma, c’est terminé, au propre comme au figuré. « Je n’ai plus envie de jouer. Alors plus besoin de me raser. Tout mon temps est consacré à aider les gens. Finis les faux semblants », lâche-t-il avant de s’engouffrer, portable vissé à l’oreille, dans son bureau tapissé de photos de lui, jeune, posant façon James Dean sur fond de campagne birmane.
Dans la cour, deux volontaires inspectent des corbillards flambants neufs. A l’étage, surplombant la banlieue de Rangoon, une vingtaine d’étudiants planchent sur la question « le consommateur a-t-il toujours raison? ». Dans le bâtiment d’en face, on installe vingt-cinq lits d’hôpital reçus en donation le matin même. Ici, dans des locaux fraîchement construits, se prépare le futur de la Birmanie.
A Rangoon, comme dans le reste du pays, souffle un vent nouveau. Autrefois désertes, les rues sont désormais encombrées de voitures importées du Japon. Des portraits d’Aung San Suu Kyi apparaissent à la une des journaux. Peut-être plus important encore, une loi sur les investissements étrangers a réveillé l’appétit de grandes multinationales pressées d’en découdre avec le « meilleur marché encore fermé du monde », une phrase utilisée en 1885 par l’explorateur Archibald Colquhoun, plus que jamais d’actualité.
Mais on n’efface pas en quelques mois cinquante ans de brutalité militaire. Après un coup d’Etat en 1962, la Fulbright et d’autres bourses qui ont permis à de nombreux Birmans de partir étudier à l’étranger sont suspendues. Les écoles de langue anglaise sont chassées du pays. L’éducation est passée au tamis de la propagande et est réorientée vers des domaines jugés peu dangereux pour le régime. Résultat: au moment où la Birmanie semble enfin s’ouvrir au monde, le pays manque cruellement de jeunes gens anglophones et entreprenants.
Lancée il y a douze ans pour aider les familles les plus démunies à enterrer leurs morts, la « Free Funeral Service Society » (FFSS), co-fondée par Kyaw Thu, s’est vite développée pour pallier les ratés du régime. Malgré la censure, les donations ont permis de construire une clinique et des salles de classe. Soins et enseignements sont gratuits. « Nous faisons ce que le gouvernement devrait faire », soupire celui que ses amis ont surnommé « l’homme le plus occupé de Birmanie ». La clinique tourne à plein régime et, l’année dernière, l’association a financé l’enterrement de plus de 15.000 personnes. Mais Kyaw Thu veut maintenant mettre le paquet sur l’éducation.
Issu d’une famille très aisée, le jeune Kyaw Thu aiguise son jeu d’acteur dans un immense miroir acheté à l’insu de ses parents et finit par lâcher l’université pour jouer dans son premier film, au milieu des années 1980. C’est un succès immédiat suivi par une carrière prolifique dans un cinéma birman pourtant laissé exsangue par la censure. Mais Kyaw Thu regrette d’avoir ainsi délaissé ses études. « J’ai honte de mon faible niveau d’anglais », explique-t-il. Alors pour rectifier le tir, il travaille à faire émerger une nouvelle élite birmane, loin des treillis et de la « tea money ». Une quarantaine d’élèves viennent déjà tous les week-ends étudier les mathématiques et la gestion d’entreprise, enseignés en anglais.
Sur de grands panneaux en liège installés dans l’entrée de l’association sont épinglées les dates d’un cours intitulé « Conscience de soi et leadership ». L’annonce – en anglais – est truffée d’expressions telles que « développement de la personnalité » et « management d’équipes ». « On est loin du socialisme » s’amuse Than Sein, ami d’enfance de l’acteur et gérant d’une entreprise d’importation de voitures. Il entrouvre la porte d’une bibliothèque où les discours d’Aung San Suu Kyi côtoient une biographie d’Abraham Lincoln, soigneusement protégée par une couverture plastifiée. Saw Nyi San, le bibliothécaire, sort des rayons un livre consacré à Van Gogh. « Ce que j’aime, c’est son pouvoir d’expression », balbutie le jeune homme avant de glisser hors d’un tiroir ses aquarelles représentant Rangoon, véritable jungle urbaine où la végétation pousse à travers les craquelures du béton.
De l’autre côté du couloir, Taw Yadanar termine son examen en « Service clientèle » avec ce qui pourrait être la devise du changement voulu par Kyaw Thu : « Ça doit venir du fond de mon cœur, pas juste de mes lèvres ». La jeune femme dit être encore un peu effrayée d’étudier dans les locaux de l’association. Pour l’instant, le régime a laissé la FFSS tranquille. Mais les Birmans ont appris à se méfier. Kyaw Thu a connu arrestation et brimades après avoir soutenu les étudiants en 1988 et les moines en 2007. Son interdiction de jouer n’a été levée qu’il y a quelques mois. « L’idée que nous avançons vers la démocratie va mettre du temps à être assimilée. C’est toute une mentalité qu’il faut changer », explique l’ex-acteur qui déplore que beaucoup de Birmans croient encore dans les vertus d’un billet glissé sous la table. En 2012, l’ONG Transparency International place la Birmanie parmi les cinq pays les plus corrompus de la planète.
A quelques mètres de là, le professeur Aung Tun, 73 ans, sirote une tasse de café. Sa classe vient de se terminer. Derrière lui, des ouvriers s’activent à construire un préau géant pour accueillir de nouveaux élèves. Le vieil homme enseigne la gestion. Son programme est basé sur des informations envoyées par son fils parti aux Etats-Unis. Il cite Bill Gates, parle en bullet-points (premièrement, deuxièmement, troisièmement) et sort de son attaché-case une liste de cas à étudier qu’il distribue à ses étudiants. On y trouve Walmart et Burger King. Pour lui, le problème de la Birmanie se résume en deux mots : mauvaise gestion. « On nous répète que la Birmanie est pleine de ressources naturelles et que l’on peut se reposer sur elles, mais ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’infrastructures, de technologies, d’innovations et surtout, d’un changement de mentalité. »
Ces préoccupations agitent tout le pays. Une tribune publiée dans le Myanmar Times le 10 décembre invite les Birmans à changer leur « tradition psychosociale et leur attitude socioculturelle ». En clair, à se tourner vers l’individualisme occidental. L’article est intitulé « Changez vous, changez le pays ». Sur Facebook, les jeunes Birmans s’échangent des photos de Bill Gates accompagnées de citations du type « Si votre entreprise n’est pas sur Internet alors vous n’avez pas d’entreprise ». Dans les librairies de Rangoon, on trouve des rayons entiers d’exercices pour s’entraîner à l’IELTS et au TOEFL, des tests de langue anglaise.
Le gouvernement donne aussi des signes encourageants. Il a récemment annoncé être en discussion avec l’université John Hopkins aux Etats-Unis et l’Université de Montpellier en France pour ouvrir des partenariats. Plus de 1.500 nouveaux professeurs auraient été recrutés et une partie d’entre eux doit être formée par le British Council. Mais de l’avis de tous, le niveau du système éducatif birman reste déplorable. Surtout, il n’est accessible qu’aux plus aisés. Les jeunes Birmans préfèrent donc imprimer les paroles des chansons de Justin Bieber et harponner les touristes, cahier à la main, pour parfaire leur anglais.
Les membres de la FFSS attendent maintenant les élections prévues en 2015. Le bureau de Kyaw Thu ressemble à celui d’un ministre. Des photos le montrent à côté d’Aung San Suu Kyi et de John McCain. Mais lui ne veut pas se lancer en politique. « Ça encourage le mensonge », suggère, goguenard, son ami Than Sein. Surtout, Kyaw Thu espère bien qu’un jour son association n’aura plus lieu d’être. Quand un gouvernement élu et compétent prendra les choses en main. Quand « ses » étudiants auront grandi.
Rémi Noyon
http://asie-info.fr/2012/12/20/la-birmanie-retourne-sur-les-bancs-de-lecole-515095.html
Le président birman, un général à la retraite, lui a suggéré de la couper. Mais Kyaw Thu tient à sa barbe poivre et sel. Pour l’acteur le plus connu de Birmanie, c’est une manière de rappeler que le cinéma, c’est terminé, au propre comme au figuré. « Je n’ai plus envie de jouer. Alors plus besoin de me raser. Tout mon temps est consacré à aider les gens. Finis les faux semblants », lâche-t-il avant de s’engouffrer, portable vissé à l’oreille, dans son bureau tapissé de photos de lui, jeune, posant façon James Dean sur fond de campagne birmane.
Dans la cour, deux volontaires inspectent des corbillards flambants neufs. A l’étage, surplombant la banlieue de Rangoon, une vingtaine d’étudiants planchent sur la question « le consommateur a-t-il toujours raison? ». Dans le bâtiment d’en face, on installe vingt-cinq lits d’hôpital reçus en donation le matin même. Ici, dans des locaux fraîchement construits, se prépare le futur de la Birmanie.
A Rangoon, comme dans le reste du pays, souffle un vent nouveau. Autrefois désertes, les rues sont désormais encombrées de voitures importées du Japon. Des portraits d’Aung San Suu Kyi apparaissent à la une des journaux. Peut-être plus important encore, une loi sur les investissements étrangers a réveillé l’appétit de grandes multinationales pressées d’en découdre avec le « meilleur marché encore fermé du monde », une phrase utilisée en 1885 par l’explorateur Archibald Colquhoun, plus que jamais d’actualité.
Mais on n’efface pas en quelques mois cinquante ans de brutalité militaire. Après un coup d’Etat en 1962, la Fulbright et d’autres bourses qui ont permis à de nombreux Birmans de partir étudier à l’étranger sont suspendues. Les écoles de langue anglaise sont chassées du pays. L’éducation est passée au tamis de la propagande et est réorientée vers des domaines jugés peu dangereux pour le régime. Résultat: au moment où la Birmanie semble enfin s’ouvrir au monde, le pays manque cruellement de jeunes gens anglophones et entreprenants.
Lancée il y a douze ans pour aider les familles les plus démunies à enterrer leurs morts, la « Free Funeral Service Society » (FFSS), co-fondée par Kyaw Thu, s’est vite développée pour pallier les ratés du régime. Malgré la censure, les donations ont permis de construire une clinique et des salles de classe. Soins et enseignements sont gratuits. « Nous faisons ce que le gouvernement devrait faire », soupire celui que ses amis ont surnommé « l’homme le plus occupé de Birmanie ». La clinique tourne à plein régime et, l’année dernière, l’association a financé l’enterrement de plus de 15.000 personnes. Mais Kyaw Thu veut maintenant mettre le paquet sur l’éducation.
Issu d’une famille très aisée, le jeune Kyaw Thu aiguise son jeu d’acteur dans un immense miroir acheté à l’insu de ses parents et finit par lâcher l’université pour jouer dans son premier film, au milieu des années 1980. C’est un succès immédiat suivi par une carrière prolifique dans un cinéma birman pourtant laissé exsangue par la censure. Mais Kyaw Thu regrette d’avoir ainsi délaissé ses études. « J’ai honte de mon faible niveau d’anglais », explique-t-il. Alors pour rectifier le tir, il travaille à faire émerger une nouvelle élite birmane, loin des treillis et de la « tea money ». Une quarantaine d’élèves viennent déjà tous les week-ends étudier les mathématiques et la gestion d’entreprise, enseignés en anglais.
Sur de grands panneaux en liège installés dans l’entrée de l’association sont épinglées les dates d’un cours intitulé « Conscience de soi et leadership ». L’annonce – en anglais – est truffée d’expressions telles que « développement de la personnalité » et « management d’équipes ». « On est loin du socialisme » s’amuse Than Sein, ami d’enfance de l’acteur et gérant d’une entreprise d’importation de voitures. Il entrouvre la porte d’une bibliothèque où les discours d’Aung San Suu Kyi côtoient une biographie d’Abraham Lincoln, soigneusement protégée par une couverture plastifiée. Saw Nyi San, le bibliothécaire, sort des rayons un livre consacré à Van Gogh. « Ce que j’aime, c’est son pouvoir d’expression », balbutie le jeune homme avant de glisser hors d’un tiroir ses aquarelles représentant Rangoon, véritable jungle urbaine où la végétation pousse à travers les craquelures du béton.
De l’autre côté du couloir, Taw Yadanar termine son examen en « Service clientèle » avec ce qui pourrait être la devise du changement voulu par Kyaw Thu : « Ça doit venir du fond de mon cœur, pas juste de mes lèvres ». La jeune femme dit être encore un peu effrayée d’étudier dans les locaux de l’association. Pour l’instant, le régime a laissé la FFSS tranquille. Mais les Birmans ont appris à se méfier. Kyaw Thu a connu arrestation et brimades après avoir soutenu les étudiants en 1988 et les moines en 2007. Son interdiction de jouer n’a été levée qu’il y a quelques mois. « L’idée que nous avançons vers la démocratie va mettre du temps à être assimilée. C’est toute une mentalité qu’il faut changer », explique l’ex-acteur qui déplore que beaucoup de Birmans croient encore dans les vertus d’un billet glissé sous la table. En 2012, l’ONG Transparency International place la Birmanie parmi les cinq pays les plus corrompus de la planète.
A quelques mètres de là, le professeur Aung Tun, 73 ans, sirote une tasse de café. Sa classe vient de se terminer. Derrière lui, des ouvriers s’activent à construire un préau géant pour accueillir de nouveaux élèves. Le vieil homme enseigne la gestion. Son programme est basé sur des informations envoyées par son fils parti aux Etats-Unis. Il cite Bill Gates, parle en bullet-points (premièrement, deuxièmement, troisièmement) et sort de son attaché-case une liste de cas à étudier qu’il distribue à ses étudiants. On y trouve Walmart et Burger King. Pour lui, le problème de la Birmanie se résume en deux mots : mauvaise gestion. « On nous répète que la Birmanie est pleine de ressources naturelles et que l’on peut se reposer sur elles, mais ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’infrastructures, de technologies, d’innovations et surtout, d’un changement de mentalité. »
Ces préoccupations agitent tout le pays. Une tribune publiée dans le Myanmar Times le 10 décembre invite les Birmans à changer leur « tradition psychosociale et leur attitude socioculturelle ». En clair, à se tourner vers l’individualisme occidental. L’article est intitulé « Changez vous, changez le pays ». Sur Facebook, les jeunes Birmans s’échangent des photos de Bill Gates accompagnées de citations du type « Si votre entreprise n’est pas sur Internet alors vous n’avez pas d’entreprise ». Dans les librairies de Rangoon, on trouve des rayons entiers d’exercices pour s’entraîner à l’IELTS et au TOEFL, des tests de langue anglaise.
Le gouvernement donne aussi des signes encourageants. Il a récemment annoncé être en discussion avec l’université John Hopkins aux Etats-Unis et l’Université de Montpellier en France pour ouvrir des partenariats. Plus de 1.500 nouveaux professeurs auraient été recrutés et une partie d’entre eux doit être formée par le British Council. Mais de l’avis de tous, le niveau du système éducatif birman reste déplorable. Surtout, il n’est accessible qu’aux plus aisés. Les jeunes Birmans préfèrent donc imprimer les paroles des chansons de Justin Bieber et harponner les touristes, cahier à la main, pour parfaire leur anglais.
Les membres de la FFSS attendent maintenant les élections prévues en 2015. Le bureau de Kyaw Thu ressemble à celui d’un ministre. Des photos le montrent à côté d’Aung San Suu Kyi et de John McCain. Mais lui ne veut pas se lancer en politique. « Ça encourage le mensonge », suggère, goguenard, son ami Than Sein. Surtout, Kyaw Thu espère bien qu’un jour son association n’aura plus lieu d’être. Quand un gouvernement élu et compétent prendra les choses en main. Quand « ses » étudiants auront grandi.
Rémi Noyon
http://asie-info.fr/2012/12/20/la-birmanie-retourne-sur-les-bancs-de-lecole-515095.html
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Date d'inscription : 31/05/2009
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