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Livre - La cage aux lezards de Karen Connelly

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Livre - La cage aux lezards de Karen Connelly Empty Livre - La cage aux lezards de Karen Connelly

Message  thanaka Mar 11 Aoû 2009 - 8:47

si l'on s'interesse à la Birmanie, il est indispensable de le lire, tellement ce roman est d'une force incroyable, réaliste et poignant.

Livre - La cage aux lezards de Karen Connelly 97822810

Présentation de l'éditeur
Teza est un étudiant de vingt-cinq ans quand il est arrêté par les services secrets birmans pour avoir trop chanté contre la junte militaire qui dirige le pays depuis des décennies. Jeté dans une geôle putride et sombre de la prison de haute sécurité de Rangoon, appelée la " cage ", il est condamné à vingt ans de détention en isolement total. Coupé de sa famille depuis sept longues années et interdit de contact avec les autres prisonniers, il est la victime jour après jour des violences sadiques d'un gardien-chef fou. Pour seuls compagnons de cellule il n'a que quelques lézards et insectes, pour uniques nouvelles du " Dehors " des fragments de journaux qui font office de papier à cigarette ; pour toute ressource, ses convictions bouddhistes. A l'issue d'un événement dramatique, Teza noue une amitié avec Nyi Lay, un orphelin de douze ans élevé dans l'enceinte de la prison. C'est ce lien extraordinaire entre eux qui fait naître enfin une lueur d'espoir au cœur de l'obscurité, de la violence et de l'injustice, brillante comme une promesse de fraternité et d'humanité. Admirablement écrit et riche en rebondissements imprévus, La Cage aux lézards est un livre impressionnant entre thriller haletant et émouvant témoignage engagé. Premier roman de Karen Connelly, il a déjà pris une place de choix auprès des célébrations littéraires de la résistance et de la dignité humaines.

Biographie de l'auteur
Karen Connelly est née à Calgary, au Canada. Auteur de plusieurs essais et poésie souvent primés, elle a vécu deux ans sur la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie parmi les exilé, les dissidents et les résistants à la dictature birmane qui sévit depuis 1962. De leurs témoignages et de leurs histoires elle a tiré La Cage aux lézards, un roman couronné par le prix Kiriyama en 2006 et qui vient de remporter le prix orange Orange Broadband 2007 pour une première œuvre.

revues de presse :

Publishers Weekly
«Un livre choc, mêlant des descriptions atroces de la vie en prison à des accents profondément spirituels. Le roman de Karen Connelly allie un rythme de thriller à des portraits finement ciselés qui montrent comment chaque personnage prend le contrôle de sa propre liberté.»


Marie Claire Magazine
«... on est fasciné par cette description de la détention en cellule d'isolement... Un livre qu'on ne lâche pas.»

The Wall Street Journal
«Une condamnation saisissante et salutaire de la junte militaire qui dirige la Birmanie depuis des décennies... Le roman de Karen Connelly est fondé sur les récits de ceux qui ont survécu aux geôles birmanes et ont réussi à s'enfuir par la frontière thaïlandaise. [...] Son style et les images qu'elle emploie rappellent les nouvelles et les poèmes qui nous parviennent clandestinement de Birmanie, tour à tour affreux et violents, beaux et amers. Ils parlent autant d'évasion spirituelle que physique, la première demeurant toujours possible même quand la seconde est interdite.»

Washington City Pape
«Malgré son évidente empathie envers la lutte des militants birmans pour la démocratie, Karen Connelly évite tout didactisme et maintient l'équilibre entre une vision politique large et des détails sur les combats personnels des protagonistes.»

La revue de presse Claire Lesegretain - La Croix du 2 janvier 2008
Et pourtant, avec un sens brillant du suspense et une écriture tout en finesse, l'auteur a écrit un roman bouleversant sur la résistance spirituelle et la fraternité humaine...
Cette amitié qui fait naître - enfin - une lueur d'espoir au coeur de la brutalité et de l'iniquité, va permettre à Teza et à l'enfant, chacun à leur manière, de s'évader de «la cage». Et le lecteur qui y a pénétré en sort, lui aussi, comme grandi et intérieurement enrichi...

La revue de presse Frédéric Vitoux - Le Nouvel Observateur du 20 décembre 2007
Un livre désespéré ? Non, Miss Connelly ne se complait pas à cette facilité. Elle a écrit un livre formidablement compassionnel, je l'ai dit pour commencer. Un livre d'une violence inouïe, certes, et d'une qualité de documentation irréprochable, mais un livre aussi de résistance - résistance physique et psychique contre la dictature, l'injustice, tout ce qui rabaisse l'homme. Un livre en bref qui fait confiance à l'homme ou à l'humanité, qui sait ce que la générosité veut dire. Mais oui, les bons sentiments s'accordent à la bonne littérature. C'est une sottise ou un désolant lieu commun que de se persuader systématiquement du contraire.

La revue de presse Astrid de Larminat - Le Figaro du 18 octobre 2007
Chronique politique de la Birmanie contemporaine, ce premier roman a l'étoffe des grands...
Ce livre a le poids des larmes ravalées et de la misère humaine mise à nu. Mais sa dimension symbolique lui donne des ailes. Teza découvre que «la cage est un grand monastère et (sa) condamnation une très longue méditation» sans lesquels il serait sans doute devenu une rockstar dépravée... On comprend que son enfermement est une métaphore de la vie humaine ; que la cage est aussi celle du «moi» dont le jeune bouddhiste essaye de se délivrer ; que le seau à latrines dans le coin de la cellule est le signe de la putréfaction à laquelle le corps est voué. Quant à la faim qui ne lui laisse pas de répit, elle est l'emblème du désir, cette insatisfaction chronique dont Bouddha dit qu'elle fait le malheur de l'homme... Karen Connelly en apporte la preuve. Les grands sentiments peuvent faire de grands romans.

La revue de presse Jean Soublin - Le Monde du 5 octobre 2007
Un prisonnier résiste à l'isolement, à la faim, à la torture, et décide enfin de mourir après avoir organisé le salut d'un enfant : telle est la trame de ce livre atroce et superbe. Elle se déroule presque entièrement dans la cellule du condamné, quelque part en Birmanie, la Birmanie meurtrie, violée, défigurée par cinquante ans de dictature, et c'est évidemment parmi les livres politiques qu'il faut classer ce premier roman...
A une telle horreur ne peut répondre que la pensée, ici bouddhiste. Le prisonnier le sait. C'est un chanteur très célèbre, dont les paroles subversives ont déplu. Il connaît les mots et leur puissance, il connaît le Bouddha et sa douceur. L'auteure, très compétente en ces deux domaines, nous guide d'une main sûre à travers les méditations qui mènent le prisonnier vers une mort non seulement acceptée, mais finalement choisie. Il faut d'abord sauver l'enfant, un orphelin libre qui vit de petits boulots dans la prison dont il n'est jamais sorti. Personnage essentiel, il incarne la puissance des faibles, un autre thème bouddhiste. Grâce à quelques connivences, le prisonnier parviendra à le faire sortir, avant de s'éteindre dans la paix à la fin de ce livre profondément humain, et profondément pieux.

La revue de presse Claire Devarrieux - Libération du 4 octobre 2007
Des centaines de tongs, de claquettes, jonchent les rues de Rangoun après que les manifestations ont été dispersées. On les voit sur les photographies, ces temps-ci. On les retrouve dans la Cage aux lézards, le premier roman d'une jeune Canadienne qui a vécu à la frontière de la Birmanie et de la Thaïlande. Elle a recueilli des témoignages d'opposants, d'anciens prisonniers politiques, exilés ou non, et les a transmutés en poésie, concentrant son récit sur un idéal de non-violence, au sein de l'espace le plus violent qui soit, le monde carcéral...
L'auteur n'omet rien de la vie quotidienne dans ce qu'elle a de plus sordide. Le sujet du livre n'est pourtant pas là. Il est dans le combat triomphal de Teza, qui va se sauver, et sauver l'enfant, par la seule force de la méditation. Jusqu'au moment où il peut dire, à moitié mort : «J'ai mis fin à la guerre.»

La revue de presse Christine Ferniot - Lire, octobre 2007
Le texte de six cents pages parvient à ne jamais être redondant ni lassant lorsqu'il décrit la résistance humaine et le vertige de la liberté intérieure. Car, de façon étonnante, l'intrigue ne cesse de rebondir, entre fraternité et misère, punition et compensation. Karen Connelly raconte l'histoire d'un combat mental comme s'il s'agissait d'un thriller. Elle nous fait sentir la force de la liberté par la spiritualité mais aussi le quotidien de ces personnages qui donneraient tout pour quelques tasses d'eau, grattant leurs jambes couvertes de gale, frappant leur front contre les murs lisses d'une cage qui sera trop souvent leur tombeau.


Les premières lignes
Il avait douze ans lorsqu'il entra à l'école monastique du Hsayadaw. Dernier arrivé parmi les novices, il posséda bientôt le plus lisse de tous les crânes tondus ; on lui donna un habit ocre brun et on lui expliqua comment le porter. Grâce à son oeil exercé à repérer les bons plans, il comprit tout de suite l'am pleur de sa chance. Ici les hommes lui donnaient à manger, et une paillasse pour dormir sous un toit en bois. Il vit aussi que l'école était pauvre, mais que les moines qui la dirigeaient étaient généreux avec le peu qu'ils avaient.
Cela ne l'empêcha pas de surveiller jalousement ses effets personnels. Il refusa même de se séparer de sa couverture crasseuse. Les moines dirent qu'elle était bonne à jeter, mais il tint à laver lui-même l'épaisse bande de feutre chinois. Lorsqu'elle fut sèche, il la plia avec un soin arrogant avant de la disposer sur sa paillasse. Le vieux Hsayadaw - l'abbé de l'école monastique -observa tout cela sans impatience, habitué aux enfants qui s'accrochent aux reliques de leur ancienne vie.
Comme le gamin n'était jamais allé à l'école, il eut droit à des leçons particulières, mais parfois le Hsayadaw libérait le moine précepteur pour le remplacer auprès de l'enfant. Le précepteur considérait cela comme un traitement de faveur, mais en fait l'abbé aimait enseigner au gamin. Cela faisait plus de quarante ans qu'il dirigeait l'école monastique, et jamais il n'avait vu un enfant illettré se consacrer à l'alphabet avec tant de fougue. L'apprentissage des lettres faisait rayonner le petit, et le vieil homme aimait s'asseoir dans cette lumière propre et honnête. Ces leçons les rendaient heureux tous les deux, et leur bonheur les faisait rire d'un rien, d'un oiseau s'envolant à travers le feuillage au-delà des fenêtres sans vitres, ou du cri de la ven deuse de papayes vantant la douceur de ses fruits. À plusieurs reprises, le Hsayadaw surprit le gamin au milieu de la nuit, un carnet ouvert sur les genoux, qui traçait sans relâche de ses doigts sales les trente-trois consonnes et les quinze voyelles de l'alphabet birman à la lueur d'une bougie ; il devait alors se for cer à prendre l'air sévère pour le renvoyer au lit.
Comme son nom de novice bouddhiste était trop long et trop difficile pour lui, le gamin insista pour apprendre à écrire son nom de naissance. La première fois qu'il réussit à l'écrire de mémoire, sa jubilation fut telle que le moine précepteur mur mura au Hsayadaw : «On dirait qu'il a trouvé le secret de la pierre philosophale !» À quoi l'abbé se contenta de sourire.
Lorsqu'il n'apprenait pas à lire ou à écrire, il était taciturne, voire morose. C'était un garçon secret, toujours affamé, qui ne manifestait pas l'envie de se mêler aux jeux des autres enfants - même s'il les regardait souvent comme des animaux qu'il crai gnait d'approcher. L'abbé avait beau s'efforcer de ne pas avoir de préférences, il adorait cet enfant singulier. Si seulement ils montraient tous autant d'intérêt pour la lecture, et de ferveur dans leurs études bouddhistes ! Tous les moines, même les plus réticents, reconnaissaient que le gamin avait embrassé les rites du culte avec une dévotion surprenante. Il passait parfois des heures entières assis dans le temple, à regarder l'image du Bouddha. Cela faisait plus de dix ans qu'ils n'avaient pas eu un tel élève.
Le monastère grouillait de garçons, des grands, des petits, des garçons affligés de becs-de-lièvre et de membres palmés, des garçons venant de familles pauvres ou sans famille digne de ce nom. Le Hsayadaw les adoptait tous. Un vieil adage dit que dix mille oiseaux peuvent se percher sur un seul arbre solide, et le Hsayadaw était cet arbre. Ses enfants trouvaient refuge en lui, et il leur apprenait à chercher un meilleur refuge dans le Dhamma de Theravada de Bouddha, les enseignements de la Voie du Milieu. Il ne corrigeait pas ses élèves et ne les renvoyait pas, même s'ils se conduisaient mal, car les orphelinats d'État et les maisons de redressement étaient des endroits dangereux.
Le gamin se mit à aimer l'abbé avec la même tendresse inquiète qu'il avait ressentie pour le Rossignol. Cet amour se déclarait dans les rires partagés pendant les cours, dans les larmes que le gamin refoulait d'un clignement d'oeil, tandis qu'il se battait avec toutes ces lettres et leurs combinaisons complexes. Un jour qu'il luttait contre sa frustration, le Hsayadaw lui dit :
- C'est normal de pleurer. C'est juste un peu d'eau qui veut sortir. On peut la mettre dans une tasse si tu as peur de la gaspiller.
Cela fit rire le gamin, et son travail en fut plus aisé.
Pendant un peu plus de trois mois, il vécut ainsi, avançant en terrain aride aussi vite et avec autant de grâce que l'eau. Mais un matin des hommes en pantalon apparurent, trois militaires des services secrets qui demandèrent à le voir.
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Message  thanaka Jeu 19 Nov 2009 - 10:20

Karen Connelly: "Le peuple birman est en cage"


Lors des Assises internationales du roman, organisées par Le Monde et la Villa Gillet, du 26 mai au 1er juin dernier à Lyon, Minh Tran Huy a présenté une lecture de La Cage aux lézards (éd. Buchet Chastel) de Karen Connelly, et animé un entretien avec la romancière, dont nous publions aujourd’hui la version écrite.

D’origine canadienne, Karen Connelly a vécu deux ans à la frontière de la Thaïlande et de la Birmanie, où elle a rencontré de nombreux opposants birmans. Les témoignages qu’elle a recueillis ont nourri son premier roman, La cage aux lézards, où elle dépeint -en quelque six cents pages qui se lisent sans un temps mort- la vie de prisonniers dans un établissement de haute sécurité à Rangoon. Dans ce huis clos où chaque petit fait prend une ampleur démesurée, une relation d’amitié se noue entre un petit garçon et Teza, artiste condamné à vingt ans d’isolement total pour avoir écrit des chansons contre le régime en place.
Roman poignant, La cage aux lézards offre également un éclairage inattendu sur les valeurs bouddhistes à travers l’itinéraire spirituel de Teza. Entretien avec un écrivain qui voit dans la compassion une forme de résistance…

Minh Tran Huy. Initialement, vous aviez le projet d’écrire un essai à partir des témoignages d’opposants birmans que vous avez rencontrés. Pourquoi avoir finalement choisi le roman ?

Karen Connelly. Je pense qu’avec un roman, on peut créer un monde en soi. Après mon séjour en Birmanie, il était impossible pour moi d’obtenir un autre visa pour rester dans le pays. Du coup je suis allée en Thaïlande, où j’ai continué à parler avec des gens qui ont mené une lutte contre la dictature birmane –une lutte qui a gouverné et modelé toute leur vie. J’ai senti le besoin d’écrire sur cette expérience, de me l’approprier. Le pouvoir d’un bon roman est de construire un univers, et si on le fait bien, avec de vraies émotions et de vraies histoires, on lui donne une puissance qui surpasse celle des autres genres. Ce qui m’intéressait, c’était de rendre compte de mes rencontres avec les uns et les autres. J’ai beaucoup parlé avec les Birmans, et beaucoup appris de leur situation et de leur combat. Ce fut une approche très humaine, qui a changé ma façon d’être avec ces étudiants, ces femmes au foyer… Leur générosité m’a beaucoup apporté. Quand ils apprenaient que j’étais écrivain, ils me demandaient : « Est-ce que tu vas écrire sur la Birmanie ? ». Au début, j’esquivais la question. Puis j’ai compris à quel point elle était importante et j’ai décidé que mon prochain ouvrage aurait pour sujet la Birmanie. J’ai accepté de faire quelque chose de très fort et de très difficile sans savoir vraiment tout ce que cela impliquait. C’est le problème des écrivains : lorsqu’on s’engage à accomplir une tâche, on ne peut pas reculer, c’est une question d’orgueil. Il fallait que je le fasse.

Le personnage de Teza vous a été inspiré par une Birmane bien réelle, Matida, condamnée à 20 ans d’isolement total sans pouvoir communiquer avec qui que ce soit…

Matida était la première Birmane qui m’a donné envie de parler de la situation du pays. Elle est écrivain et médecin, et pour avoir aidé quelqu’un dans un programme politique, elle a été condamnée à vingt ans d’isolement. Puis elle a été libérée grâce à des organisations comme Amnesty International. Bien sûr il y a encore beaucoup de dissidents emprisonnés.

De la même façon, le petit garçon orphelin a pour modèle des enfants birmans que vous avez rencontrés…

Il y a beaucoup d’enfants dans les prisons birmanes, qui y travaillent ou y habitent avec leur famille. Les parents peuvent en effet choisir de prendre leurs enfants avec eux plutôt que de laisser le gouvernement les placer –ce qui peut être pire que la prison. C’est très dur à vivre pour les enfants. Pour revenir au petit garçon qui m’a inspirée, il travaillait dans une gare, il était responsable du chargement du train. Il était tout seul à une table, il faisait une pause. C’était un jour où en me promenant, je m’étais perdue. J’avais aperçu une lumière… En fait c’étaient des flammes, un petit foyer près duquel des hommes se reposaient. Et il était là. Impressionnant. Il me semblait d’une grande intelligence, et si fort, si seul… C’était incroyable. Mais je ne suis pas parvenue à établir un dialogue avec lui –il était comme revêtu d’une armure, d’une carapace. Mais on se regardait quelquefois, et tranchant sur tous ces hommes, cet enfant m’a profondément bouleversée. J’aurais voulu changer sa vie, le sortir de là, le mettre dans une école, mais ce n’était pas possible. Pour autant, je ne voulais ni ne pouvais l’oublier. C’est pourquoi j’en ai fait un des héros de La Cage aux lézards.

Votre but était-il de donner à ressentir, de manière beaucoup moins abstraite que dans les journaux, ce qui se passe en Birmanie ?

Oui, car le peuple birman tout entier est en cage. Et il en est toujours ainsi aujourd’hui, malheureusement. C’est même pire qu’avant. La Birmanie offre un spectacle plus insoutenable que jamais.

Le fait d’avoir choisi la prison comme cadre de votre fiction n’est pas anodin : La Cage aux lézards est une métaphore de l’étouffement absolu qui règne en Birmanie, où la société civile est totalement bridée.

Tout à fait. D’ailleurs, même quand j’étais à la frontière, toutes les histoires que j’entendais, étaient des histoires carcérales : l’oncle, la mère, l’ami, la copine, le copain… Il y avait toujours une anecdote sur la prison à raconter. Et bien sûr, nous savons tous qu’Aung San Suu Kyi est elle aussi, en réalité, derrière des barreaux.

Votre livre tient aussi du roman de genre : il est peuplé de personnages emblématiques, comme le gardien chef sadique ou le caïd bienveillant, qui font figure d’archétypes ?

J’ai travaillé sur La Cage aux lézards pendant presque dix ans, j’ai beaucoup lu sur les prisons, et je me suis aperçue qu’il existait une tradition de « romans de prisons ». Leur force tient au fait que quand on décide d’entrer dans ces lieux, de voir ce qu’il s’y passe, on découvre que ce n’est pas si différent de l’existence quotidienne, de notre existence : les prisonniers, qu’ils soient politiques ou criminels, ont les mêmes besoins que nous. Manger, aimer, communiquer, connaître la vérité… Ils ont les mêmes désirs, les mêmes pulsions, mais leurs conditions de vie sont beaucoup plus extrêmes. Et on retrouve chez les prisonniers les mêmes archétypes que parmi les gens libres.

Pour vous, la prison est un microcosme du monde dans lequel on vit, un nid de sentiments exacerbés… Vous parliez de la nourriture. Dans votre roman, elle joue un rôle majeur. C’est un enjeu fondamental pour la survie physique, bien sûr, mais pas seulement. Ainsi Teza va entamer une grève de la faim. Que symbolise cette action pour vous ?

Pour quelqu’un comme Teza, la grève de la faim est une possibilité de choisir, d’agir, d’être une personne qui conduit sa vie. Il y trouve donc une liberté. Et malgré la tristesse évidente de l’histoire, le coeur du livre -et de cet homme- est vraiment aérien dans mon esprit… J’en reste étonnée, mais cela a quelque chose à voir avec le bouddhisme, avec cette philosophie qui veut ne pas s’agripper à des choses futiles.

On peut voir dans le parcours de Teza un parcours spirituel. Il fait le choix de se détacher du monde, de se débarrasser, en définitive, d’un moi trop encombrant. On a le sentiment ici que la mort physique rime avec une renaissance métaphysique…

Peut-être ! (Rires.) C’est drôle, j’ai des lecteurs qui pensent que Teza ne va pas mourir. La fin de La Cage aux lézards ne dit pas précisément ce qu’il en est, et pour eux il est possible, même si c’est peu probable, qu’il ne meure pas. J’aime bien cette interprétation. On ne sait jamais ce que réserve un livre…

Il y a un lien fort entre spiritualité et politique dans votre roman. Comme si le bouddhisme devenait une philosophie politique …

Le bouddhisme est la religion officielle en Birmanie. Pour être précis, le pays est multiculturel et la population comprend beaucoup de Musulmans et de Chrétiens, mais ils ont eu des problèmes avec le régime. Parfois, le gouvernement met en place une propagande contre telle ou telle religion ou contre tel ou tel groupe ethnique. Dès que le pays souffre d’une quelconque pénurie, le gouvernement saisit le prétexte pour provoquer des luttes contre eux. Toujours est-il que si la pratique du bouddhisme est libre, c’est plus compliqué pour les autres religions. Seuls les moines ont le pouvoir de s’organiser et de se regrouper, car toutes les autres organisations ont été étouffées par la dictature. Comme tous les Birmans, ils ne supportent plus de ce régime. On verra dans le futur ce qu’il adviendra. Mais aujourd’hui, même si on ne sait pas trop ce qui s’est passé avec les aides internationales qui devaient secourir les victimes du cyclone, c’est grâce aux moines que certaines -trop peu- sont arrivées à bon port.

Dans le livre, la compassion est davantage qu’un simple sentiment, c’est aussi une forme de liberté, de résistance, une façon de dire qu’on reste libre malgré tout ?

Tout à fait.

Le petit garçon aussi a une forme de spiritualité...

Oui, son existence n’est pas dénuée de tout sens, car il croit en quelque chose ; il a par exemple une liste de choses très précieuses pour lui, des objets qui paraissent anodins mais qui ont à ses yeux valeur de trésor, de talisman. Cela peut sembler drôle, ou au contraire très triste... Une certitude, ce petit garçon veut à tout prix avoir foi. Ainsi de cet arbre dans la prison, auprès duquel il vient souvent se recueillir et pour lequel il a un immense respect. Observant que les gardiens se rendent également près de lui, il construit une sorte de religion dont cet arbre est le centre, avec ses rites et sa mythologie.

Dans La Cage aux lézards, il n’est pas question des événements de 2007, mais de ceux de 1988. Il y a donc un effet de distorsion temporelle, le roman entrant en écho de manière surprenante avec l’actualité. L’histoire ne se répète pas, mais il lui arrive de bégayer… Avez-vous le sentiment que ce livre se lit aussi différemment dans le contexte actuel ?

Oui, malheureusement. C’est terrible de voir que les événements décrits dans le roman se répètent aujourd’hui… Il y a des images qu’on aimerait voir appartenir définitivement au passé. Mais c’est impossible. Beaucoup de gens travaillent en ce moment à installer la démocratie, et c’est pour cela que j’écris en ce moment un autre livre sur la Birmanie, sur tous ceux qui se battent pour que les choses changent. Car elles ne peuvent que changer, là-bas comme dans tous ces pays si fermés... La Birmanie est un pays où les gens font montre d’une compassion, d’une générosité vraiment étonnante. Ainsi, la plupart des universitaires ont été victimes des répressions : depuis 1988, en réponse aux fortes manifestations contre la dictature, tous les étudiants ont vu leurs études interrompues pendant des mois. L’université proprement dite a été fermée pendant cinq ans par les généraux pour empêcher toute communication entre les étudiants. Or ce que l’on voit, c’est que malgré cela, les gens continuent de s’éduquer et de se cultiver. De la même façon, ils cherchent encore et toujours à s’entraider en dépit des catastrophes naturelles : cela n’a pas été assez dit, mais des milliers d’étudiants se sont mobilisés et organisés pour apporter de la nourriture aux victimes… Tous en Birmanie ont ce très profond ce désir de changement, qui existe même au sein de la dictature. Ce désir va finir par percer, c’est certain, mais quand ? Ce qui est sûr, c’est que l’Occident n’a pas beaucoup aidé la Birmanie, considérant sans doute que le pays n’était pas assez important pour cela.

source http://www.magazine-litteraire.com/content/recherche/article?id=11477
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Message  Admin Sam 6 Fév 2010 - 7:44

nouveau livre à paraitre "Burmese Lessons"
Livre - La cage aux lezards de Karen Connelly 97803010

When Karen Connelly finds herself in Burma in the late 1990s, she is immersed in a world of students staging mass demonstrations in opposition to Burma’s dictators, revolutionaries fighting an armed insurgency against that same military regime, and refugees living in hellish limbo in Thailand. Connelly first comes to love a wounded, remarkably beautiful country, then a gifted man who has given his life to its struggle for political change. Burmese Lessons is illuminated by the sensual language and flashes of humour that have won her fans around the world.