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Le temps long des généraux birmans

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Message  thanaka Mer 24 Mar 2010 - 19:54

Par Frédéric Debomy, président d’Info Birmanie.

Les militaires birmans passent généralement aux yeux de l’opinion pour de dangereux illuminés. Si cette appréciation n’est pas dénuée de fondement, la junte dirigée par le général Than Shwe semble avoir saisi l’avantage qu’il y avait à jouer de la durée, dans une perspective d’épuisement des résistances à son règne.

Elle s’est dès lors évertuée à provoquer la lassitude d’une communauté internationale qui, quoique traitée par le mépris, a longtemps semblé en redemander. Cela vaut autant pour l’Association des Nations d’Asie du Sud-est (ANASE), pourtant partisane d’un « engagement constructif » peu menaçant pour le régime, que pour les pays affichant leur solidarité envers Aung San Suu Kyi et sa Ligue Nationale pour la Démocratie (LND). La diplomatie française, notamment, s’est par trop contentée de suivre le calendrier imposé à la communauté internationale par les généraux. Elle a voulu voir dans les différentes étapes de la « feuille de route vers une démocratie disciplinée » mise en place par le régime des opportunités à saisir. Pourtant, seuls les militaires ont eu voix au chapitre lors de la rédaction d’une nouvelle Constitution. Lors du référendum de mai 2008, le régime faisait ainsi approuver par 92,4% sa Constitution permettant aux militaires de s’assurer du contrôle des ministères stratégiques, de 25% des sièges du futur parlement, et de l’immunité judiciaire pour tous les officiers en poste. Le scrutin avait été précédé d’une campagne marquée par la répression politique et l’intimidation, et la Constitution était adoptée à l’aide de pressions massives, de fraudes grossières et de radiations à grande échelle, notamment des moines qui avaient eu le tort de prendre part à la « révolution safran » de septembre 2007. Les étapes précédentes de la « feuille de route » ne pouvaient donc qu’inciter à la prudence ceux qui pensaient qu’il y avait un bénéfice à tirer du processus mis en place par la junte. Pourtant, même les pays affichant leur désir d’une évolution démocratique en Birmanie ont largement voulu voir dans l’organisation d’élections, étape ultime de la « feuille de route », une occasion de favoriser le changement.

Cette attention aux opportunités que pourrait offrir le processus électoral n’est cependant pas la spécificité de diplomaties fatiguées d’un dossier qui n’est pas prioritaire. Si les objectifs de la « feuille de route » – perpétuer le règne militaire sous un dehors civil - sont limpides, la question de savoir s’il faut ou non aller aux élections se pose également aux diverses formations politiques présentes en Birmanie. Certains démocrates, ayant constaté que ni les manifestations de 1988 ni la « révolution safran » de septembre 2007 n’ont pu mettre fin au règne militaire, sont désormais tentés par une attitude pragmatique au risque de faire purement et simplement le jeu de la junte. Parce qu’ils ont survécu à la « révolution safran » et à leur gestion scandaleuse des dégâts causés par le passage d’un cyclone en mai 2008, les généraux peuvent sembler inamovibles. Il en résulte un sentiment d’impuissance chez certains Birmans désireux de voir évoluer la situation politique, économique et sociale que connaît le pays. Certains, dès lors, ont souhaité changer de stratégie.

La première question que l’on est tenté de se poser est de savoir si le piège tendu par les généraux peut se retourner contre eux. Pour tenter d’y répondre, on devra faire le constat de leur volonté résolue de verrouiller le processus.
Le régime, par l’entremise d’une justice inféodée à son pouvoir, a en effet décidé le 26 février 2010 de rejeter l’appel des avocats d’Aung San Suu Kyi, confirmant ainsi le maintien en détention de celle-ci. Une décision qui révèle la crainte des généraux de voir leur « feuille de route » déraper si la chef de file de l’opposition était à même de jouer un rôle lors des élections. Le régime, qui a pour habitude d’user de tout un arsenal législatif pour museler ses opposants, avait déjà pris soin d’inscrire dans la Constitution l’interdiction faite aux conjoints d’étrangers de se porter candidats à une élection. Une mesure visant expressément Aung San Suu Kyi, mariée à un anglais. La dictature a été plus loin encore le 10 mars, la loi électorale enfin révélée stipulant que quiconque purge une peine de prison ne peut appartenir à un parti. La loi oblige donc désormais la LND à exclure Aung San Suu Kyi de ses instances, sous peine d’être dissoute. Les autres aspects déjà révélés de la loi électorale montrent pareillement la volonté du régime de ne pas perdre le contrôle. Il est vrai qu’en 1990, la junte avait, par l’organisation d’élections légitimé l’opposition démocratique (la LND remportant 82% des sièges). Il est dès lors évident que cette fois-ci, ils feront tout pour que cela ne se reproduise pas.

La loi électorale promulguée, le peu de crédibilité du processus ne saurait faire discussion. Mais une question peut encore être posée : des élections organisées dans ces conditions ne valent-elles pas mieux que pas d’élections du tout ? Le maigre bénéfice à retirer du processus n’est-il pas plus souhaitable que la situation actuelle, catastrophique en tous points ? En somme, y a-t-il véritablement plus à perdre qu’à gagner ? S’il ne nous appartient pas de décider de la réponse, qui appartient aux Birmans et fait encore discussion, il faut tout de même prêter attention aux marges de liberté offertes par la Constitution.

Certains observateurs estiment en effet que l’élection d’un nouveau parlement pourrait permettre une ouverture progressive du jeu politique. On peut en douter au regard des dispositions prévues par la Constitution. Les parlementaires se voient garantir la liberté d’expression, mais à la condition de rester dans le cadre de la loi. Or la loi considère toute critique du gouvernement ou de la Constitution comme étant un crime. En outre, toute réforme de la Constitution requiert une majorité de 75% de votants qui sera difficile à obtenir dans un parlement où 25% des sièges sont d’emblée réservés aux militaires. Il faut noter enfin que ceux-ci conservent la possibilité d’invalider une décision prise par les parlementaires pour des raisons de « sécurité ».

Mais il est encore une chose qui doit alerter les observateurs sur la dimension à haut risque du processus électoral.

Les élections à venir ne seront que la dernière étape d’une « feuille de route » qui comptait parmi ses réalisations importantes la rédaction d’une nouvelle Constitution. Or celle-ci, rédigée par les militaires pour les militaires, reconduit le schéma de domination du groupe birman sur les nombreuses minorités que compte le pays (environ un tiers de la population). Les minorités ont toujours souhaité l’instauration d’un Etat fédéral en lieu et place du système centralisé et dominateur qui leur a été imposé. Tous les problèmes que connaît le pays viennent d’ailleurs de là : c’est l’absence de prise en compte de leurs revendications qui a débouché, dès le lendemain de l’indépendance, sur un conflit armé qui servirait de prétexte aux militaires pour prendre le pouvoir. Autrement dit, le régime militaire, qui entend faire la démonstration de sa capacité à assurer la stabilité nationale, sème par l’adoption d’une Constitution décriée les germes d’une périlleuse instabilité. L’United Nationalities Alliance (UNA), une coalition de partis issus des minorités nationales qui avait remporté 67 sièges lors des élections de 1990, avait déjà déclaré qu’elle ne prendrait pas part aux élections si la Constitution n’était pas révisée. L’UNA faisait en outre savoir qu’elle serait attentive aux décisions prises par la LND qui représente selon elle la majorité de la population. En réaction à la loi électorale, elle a confirmé qu’elle ne participerait pas aux élections. Des tensions sont enfin perceptibles aux frontières du pays. La junte, dans la perspective des élections, a voulu faire de groupes armés signataires de cessez-le-feu de simples supplétifs frontaliers de l’armée birmane. Un projet mal accepté : les discussions sont actuellement au point mort et les formations concernées se préparent déjà à l’éventualité d’une reprise d’un conflit armé.

A ces éléments d’information il faudrait en ajouter d’autres qui mettent pareillement en doute la capacité du régime à favoriser la stabilité nationale. Sa gestion catastrophique de l’économie, à l’origine déjà de la « révolution safran », a notamment entraîné une hausse du prix du riz de 30% en l’espace d’une seule année. Mais c’est encore et surtout l’attitude de la junte vis-à-vis des minorités (illustrée en ce moment même par la recrudescence d’attaques contre les civils karen et la tragique situation de Rohingyas mourant de faim dans les camps du Bangladesh) qui fait craindre le pire.

La communauté internationale ne doit donc pas accepter le processus électoral à n’importe quelle condition. Les pays qui se réclament des valeurs démocratiques doivent soutenir activement Aung San Suu Kyi et la LND, quel que soit leur choix face aux élections. D’ores et déjà, la LND a fait savoir qu’il lui serait « tout à fait impossible » de prendre l’engagement écrit de maintenir la constitution mise en place par les généraux – une obligation imposée aux partis qui voudront s’engager pour les élections.

Il faut donc renverser le piège tendu par les généraux : celui du temps. Epuiser la situation, comme ils s’essaient à le faire, mais à leur désavantage. Dans cette perspective, il est intéressant de se rappeler les hésitations du régime chinois au lendemain de la « révolution safran » et de considérer l’évolution de l’ANASE - désormais plus critique - comme un signe que les choses peuvent progresser. Ce qui vaut pour les soutiens extérieurs du régime vaut aussi pour l’appareil militaire birman : il faut espérer que la situation de blocage finisse par frustrer une partie de l’armée. On ne doit pas oublier enfin de considérer les effets de long terme de la « révolution safran », et notamment le malaise que ressent peut-être une armée majoritairement bouddhiste pour avoir violemment réprimé un mouvement conduit par des moines.

La loi électorale a clairement révélé la volonté du régime d’exclure de la vie politique birmane les dirigeants emprisonnés que sont Aung San Suu Kyi, Khun Htun Oo (dirigeant de la Shan Nationalities League for Democracy qui avait remporté en 1990 le plus grand nombre de sièges après la LND) et les membres de Génération 88. Aung San Suu Kyi, par l’attention qu’elle a toujours porté aux aspirations des minorités, demeure le meilleur espoir d’une situation stabilisée. Il faut espérer que la communauté internationale s’en convainque, pour réagir enfin de manière adaptée aux stratagèmes mis en place par la junte de Than Shwe.

source http://www.affaires-strategiques.info
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