l'esprit voyageur en asie du sud-est
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
-40%
Le deal à ne pas rater :
Tefal Ingenio Emotion – Batterie de cuisine 10 pièces (induction, ...
59.99 € 99.99 €
Voir le deal

Le royaume sous la botte

Aller en bas

Le royaume sous la botte Empty Le royaume sous la botte

Message  Admin Jeu 2 Sep 2010 - 11:16

Trois mois après l'écrasement de la révolte des « chemises rouges », la vie à Bangkok a repris son cours normal. Mais l'armée a prolongé l'état d'urgence, comme dans six autres provinces du pays


Sabaï sabaï» («tout va bien»). Le très chic Central World, le plus grand centre commercial de Bangkok, va peu à peu rouvrir ses portes. L'inauguration d'une galerie marchande flambant neuve est prévue pour la fin septembre. C'est presque un miracle. On respire enfin dans les beaux quartiers de la capitale thaïlandaise. On souffle aussi au conseil d'administration du conglomérat propriétaire de la chaîne de magasins, l'une des grandes fortunes du pays. En mai dernier, la charpente colossale du World Trade Center - nom initial du bâtiment - avait menacé de s'effondrer entièrement, incendiée en un ultime défi par la milice des « chemises rouges » pendant l'assaut final des forces de sécurité. L'immense brasier, avec son magma de poutres métalliques incandescentes et ses panneaux publicitaires liquéfiés par les flammes, avait marqué la fin du blocus du centre de Bangkok. Comme les dernières explosions ou les derniers coups de feu tirés à l'aveugle. Ce fut ensuite le défilé des prisonniers : hommes, femmes et moines, le petit peuple des « chemises rouges », conduit en colonnes par les militaires, la mine sombre et les poignets liés derrière le dos par des bracelets de plastique.
Trois mois ont passé depuis la « bataille de Bangkok». Les centaines de boutiques, les restaurants et même la patinoire, toute l'activité vibrante de ce temple de la consommation si emblématique de la mégalopole va reprendre ses droits. Et si, aujourd'hui, le carrefour de Radchaprasong, situé à quelques enjambées du Central World, reste paralysé, c'est par l'un de ces embouteillages monstres de fin de journée, quand menace la pluie de mousson.

Un « mouvement rouge sang »
Jeune sympathisant des « chemises rouges », Sanit revient pour la première fois ici. Il fait profil bas. Pas de tee-shirt, de casquette ni de brassard rouges. Ni le moindre signe de complicité avec les passants, comme il en avait pris l'habitude pendant la révolte. Certes, il porte toujours son petit badge couleur cerise représentant « Che Guevara », mais à l'intérieur de sa veste. « Le mouvement des rouges s'est transformé en mouvement rouge sang», dit-il, en jetant un regard furtif sur le chantier du Central World.
Sanit avait rejoint la fronde antigouvernementale au début d'avril, délaissant ses cours à la fac. Il a occupé toutes les fonctions dans le « village rouge » : messager, garde-barricade, porteur d'eau. Il a aussi distribué des tracts communistes. Et surtout «des livres bannis ici, en thaï et en anglais, qui traitent des tabous de notre société, l'establishment, l'argent, la monarchie, explique-t-il en soufflant sur le bout de sa cigarette roulée. Beaucoup de gens refusaient de prendre ces livres, comme s'ils avaient eu de la dynamite entre les mains. On n'était jamais allé aussi loin ». Il a baissé la voix en prononçant le mot « monarchie ». La Thaïlande est l'un des rares pays au monde où le crime de lèse-majesté reste passible de nombreuses années en prison. Une dénonciation anonyme suffit.
Sanit a eu de la chance. Il n'était pas présent les derniers jours du blocus. Il est donc passé au travers des mailles du filet sécuritaire et n'a jamais été inquiété, en dépit des centaines d'arrestations. Dans l'avenue Radchadamri, celle qui menait à la grande barricade de bambous, ce jeune Thaïlandais aux cheveux longs scrute son champ d'honneur comme un vétéran. En face, les hautes tours de Silom et de l'hôtel Dusit Thani où s'étaient postés les tireurs d'élite de l'armée.
A gauche, le parc Lumpini, où les « hommes en noir », la fraction armée clandestine des « chemises rouges », entreposaient leur arsenal. L'endroit où un brancardier a été abattu alors qu'il portait secours à un blessé. Et celui où un photographe italien a été touché en pleine poitrine par un tir qui demeure non identifié... faute d'enquête crédible.
90 morts, 1 900 blessés. Mais reste-t-il des traces de la plus grave crise politique de l'histoire contemporaine thaïlandaise ? Dans le quartier de Ngam Duphli, ancien camp retranché des centaines de « communards » qui ont résisté pendant deux semaines à l'armée, on remarque à peine quelques cavités mal rebouchées sur le bitume, stigmates d'un cocktail Molotov. Ou cette banque incendiée qui a été laissée à l'abandon. Et il faut bien chercher pour discerner encore quelques impacts de balles, çà et là. « Des traces ? Quelles traces ?», ironise un homme d'affaires du quartier. Oublier et effacer : au lendemain de l'écrasement de la révolte, des centaines de volontaires, souvent des commerçants et leurs employés, hostiles aux « chemises rouges », se sont empressés de nettoyer les rues de Bangkok. «Dans la classe moyenne de la capitale, la contestation a été le plus souvent perçue comme une nuisance, un facteur de déstabilisation. C'est vrai qu'ici on s'est surtout hâté de cacher les problèmes sous le tapis», dénonce Thitinan Pongsudhirak, l'un des rares intellectuels à se prononcer ouvertement sur le sujet.
Puis le pouvoir a lancé la campagne «Together We Can » (« ensemble, c'est possible»), pâle emprunt de circonstance au message de campagne de Barack Obama. Des pancartes ont ainsi surgi dans les rues de la ville, signées « Ice » le chanteur, ou «Ken» l'acteur, appelant les Thaïlandais « à s'aimer de nouveau les uns les autres ». Ou à «la fraternité pour que la Thaïlande redevienne le pays du sourire...» Mais il y a aussi d'autres affiches en ville et dans tout le royaume, nettement moins conviviales. Comme cette photo géante du Premier ministre, illustrée de cette phrase : «Si vous trouvez un site internet inconvenant, appelez le 12-12... » A Bangkok, le retour à l'« harmonie et l'insouciance» se fait sous l'état d'urgence, toujours en vigueur comme dans six autres provinces. 50 000 sites internet « inconvenants » ont ainsi été bloqués. Des centaines de médias locaux sont censurés ou fermés. Les rassemblements de plus de cinq personnes restent interdits. Les milieux contestataires et universitaires sont étroitement surveillés. Et plus de 400 « chemises rouges » sont encore détenus dans des bases militaires : les meneurs encourent la peine capitale pour «terrorisme ».
« Il est nécessaire de maintenir l'état d'urgence car de nouvelles menaces pèsent sur notre société. Des éléments dangereux planifient des attaques terroristes », affirme à chacune de ses interventions le jeune Premier ministre Abhisit Vejjajivaj, sans plus jamais évoquer la perspective de prochaines élections. «Abhisit a vendu son âme, confie un député de l'opposition. I l est devenu la vitrine de la junte militaire... » Les parlementaires sont de plus en plus nombreux à dénoncer un «gouvernement parallèle» : le Centre de Résolution des Situations d'Urgence (Cres), une autorité militaro-civile provisoire instaurée pendant la crise du printemps dernier. « Le Cres n'a aucune intention de s'autodissoudre, affirme Sunai Phasuk, l'un des responsables de Human Rights Watch. Ses membres sont plus puissants que le gouvernement. Ils veulent poursuivre leur chasse à l'homme dans les milieux rouges. »

Des dizaines de disparitions
L'armée thaïlandaise et ses mille généraux - plus que dans l'armée des Etats-Unis - a donc opéré son retour sur la scène politique nationale. Et les membres des Tigres de l'Est, une société secrète au sein de l'état-major dont sont issus les « vainqueurs » de la « bataille de Bangkok», viennent d'obtenir les plus hauts postes de commandement. D'ailleurs, les officiers supérieurs thaïlandais, sentinelles de l'establishment, ne cherchent même plus à jouer la discrétion. A l'exemple du porte-parole du Cres qui apparaît régulièrement dans les pages people des journaux, ou dans des dialogues avec ses fans, sur sa page de Facebook.
Si bien que même dans les bastions « rouges » du Nord et du Nord-Est, l'« autre Thaïlande », presque plus personne n'évoque l'hypothèse d'un retour de l'ancien Premier ministre populiste en exil, Thaksin Shinawatra, qui se présentait comme «le champion des pauvres ». Ici, ce sont désormais les « invitations » des militaires qui ponctuent le quotidien, c'est-à-dire les interrogatoires. La rumeur évoque des dizaines de disparitions. Et chacun se terre dans sa rancune. Les radios communautaires actives sur le plan politique ont été l'une des cibles prioritaires des autorités. L'une des dernières à continuer d'émettre, la Witayu Pideang, la «radio de Soeur rouge », n'a plus le droit de programmer que des « chansons romantiques ». Même si ses animateurs affirment qu'ils parviennent encore à faire passer des messages.
Selon la Banque mondiale, la Thaïlande est devenue le pays d'Asie du Sud-Est où le fossé entre pauvres et riches, et entre villes et campagnes, est le plus profond. Un nouvel embrasement n'est-il pas devenu inexorable ? Les chaînes montagneuses qui séparent les provinces « rouges » du reste du royaume suffiront-elles à barrer la route à la colère ?

Cyril Payen

Admin
Admin
Admin

Messages : 4881
Date d'inscription : 31/05/2009

Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum