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Les rêves d'un émigré birman

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Les rêves d'un émigré birman Empty Les rêves d'un émigré birman

Message  Admin Mer 8 Sep 2010 - 11:31

Les rêves d'un émigré birman 19535710

Nous sommes vendredi soir. Il est 21 heures et demain je pars. Je quitte Phang Nga et je quitte mes collègues birmans, ceux qui, malgré les barrières de langage parfois tenaces, sont devenus pour moi la base d'un quotidien rassurant. Tous n'ont pas été loquaces ni facilement accessibles, que ce soit le fait de leur anglais maladroit, ou celui d'une simple pudeur. C'était, il me semble, le cas d'Ohn Ohn, qui partageait mon bureau sans que nous n'échangions rien de plus que des mails professionnels et des sourires sincères. Or ce soir-là, est-ce l'obscurité ou mon départ imminent qui l'ont poussé à la confidence ? Toujours est-il qu'il aura suffi de cette seule discussion, d'une heure, peut-être deux, pour justifier à mes yeux l'ensemble de mon séjour.

Ohn Ohn est Birman et travaille à Grassroots comme webmaster depuis 2005, au lendemain du Tsunami, alors que l'organisation déménageait tout juste vers le Sud pour s'occuper des sinistrés Birmans. Avant cela, il travaillait pour une autre organisation, Worldvision, dans la même région de Thaïlande. D'après lui, on s'y occupait surtout de prévention et de santé, pour les Thaïlandais comme pour les migrants, mais pas de droits de l'homme ni de politique, thèmes qui manquaient à Ohn Ohn. Lorsqu'il découvre Grassroots, pour lui sa décision est donc claire : rejoindre l'organisation et travailler dans la perspective d'aider ses compatriotes. A Grassroots, il commence par travailler dans l'équipe de santé, ainsi qu'il le faisait à Wordlvision. Mais il est passionné d'informatique et petit à petit en fait sa spécialité, Htoo Chit (son directeur exécutif) l'envoyant à des séminaires de formations à Mae Sot, dans le Nord.

C'est aujourd'hui Ohn Ohn qui s'occupe du site internet de l'organisation, qui gère sa triple interface en langues Birmane, Thaïlandaise et Anglaise. C'est lui qui gère les problèmes informatiques fréquents dus à un matériel parfois trop vieux, souvent généreusement donné, mais rarement acquis de la meilleure qualité. Les coupures internet sont fréquentes et les imprimantes capricieuses. Ohn Ohn voudrait également prendre des cours d'anglais, mais entre le travail de la journée, les cours de conduite qu'il donne le week-end au personnel de l'organisation pour combler le manque de conducteurs, et bien-sûr les soins qu'il ne peut manquer de consacrer à sa jeune femme enceinte, il lui manque le temps pour le faire.

Ohn Ohn, comme la plupart des exilés Birmans qui travaillent à Grassroots, a un rêve de retour: il veut rentrer en Birmanie et enseigner l'informatique aux nouvelles générations et à tous ceux qui peuvent en bénéficier. « This is my dream », me répète-t-il à plusieurs reprises avec un sourire ravi. « C'est mon rêve », répète-t-il, à la façon d'un enfant qui avouerait que son rêve est d'intégrer l'équipe nationale de football, avec le sourire malicieux de quelqu'un qui viendrait de révéler une ambition secrète. Il ne s'agit plus de politique, il ne s'agit pas de combat. Il n'y a ni colère, ni rancœur dans ses explications, il s'agit de son rêve, tout simplement. Rentrer en Birmanie avec sa femme, revoir ses parents et son frère, enseigner. Permettre à la relève de savoir se servir d'un ordinateur, avoir accès à l'information, la diffuser.

Pour le volontaire étranger, c'est d'abord attendrissant. On ne peut s'empêcher d'y voir cette espèce d'innocence que l'on attribue trop facilement aux peuples asiatiques, qui contraste incontestablement avec nos mentalités méfiantes et désabusées. Vu de France, il y a dans la façon de parler de cet homme de 30 ans un abandon touchant, une innocence voire de la naïveté. Sauf qu'il s'agit ici du projet le plus sérieux et le plus grave qu'il m'ait jamais été donné d'entendre, bien loin des perspectives de carrière de la plupart de mes compatriotes. Rentrer en Birmanie pour Ohn Ohn, c'est d'abord risquer la prison sans procès pour accomplir son rêve, que quelques instants plus tôt, je trouvais attendrissant. Et s'il n'y avait que la prison, on pourrait presque en appeler au hasard, mais les difficultés qui l'attendent sont bien plus systématiques, quotidiennes.

Prenons cet exemple qui nous semble évident : l'informatique est un bien essentiel pour l'accès aux connaissances de la population Birmane. Mais, me dit Ohn Ohn avec simplicité, encore faut-il qu'il y ait l'électricité. Or cette dernière est rationnée, et on ne peut demander aux foyers d'avoir à choisir entre brancher l'ordinateur et avoir la lumière. Et pourtant c'est ainsi. Le courant électrique n'est de toute façon pas suffisant à charger une batterie de PC, à moins de l'y laisser nuits et jours, et d'y sacrifier le reste de l'électroménager. La pénurie, ne nous y méprenons pas, n'est pas qu'une question de pauvreté, elle est un choix politique, car le pays déborde de ressources naturelles, à la base d'un commerce florissant, en particulier avec son voisin chinois.

Donc, le manque d'électricité n'affecte pas les seuls utilisateurs d'informatique, mais bien la population dans son ensemble, ajoute San Sy, une Birmane de l'organisation qui travaille en finance et a rejoint notre conversation. Les rues sont plongées dans l'obscurité dès la fin du jour, pour dissuader les gens de se rencontrer le soir. La nuit, vous trouvant marchant seul dans l'obscurité, vous êtes susceptibles d'arrestation. Pour quel motif ? Vous marchiez seul dans l'obscurité. Cette légalité absurde, orale et ponctuelle, qui vogue au gré des envies militaires, est pourtant le lot commun de la population Birmane, qu'Ohn Ohn est prêt à accepter pour réaliser son rêve.

Au long de cette conversation je découvre à mon grand regret tout ce que j'avais encore à apprendre. Mais il faut bien partir, ne serait-ce que pour faire passer un message, que les nouvelles technologies, les médias en ligne et les JT télévisés sont encore incapables de transmettre. En effet, vu depuis la Birmanie, il semble que même le très technologique XXIè siècle ne pourra se passer de l'humain pour la transmission des idées.

source http://desresistantscivils.blog.youphil.com/archive/2010/09/04/temp-ef5c330ff863ee9335af74b3d8fbd5d3.html
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