Les «chemises rouges» de retour à Bangkok

Des «chemises rouges» manifestent vendredi à Bangkok. Crédits photo : AP/AP
Plusieurs milliers de personnes ont défilé vendredi en hommage aux 90 opposants tués au printemps par l'armée.

On en oublierait presque la révolution qui couve. À Bangkok, la préoccupation de la bonne société est désormais d'être vue avec un sachet plastique estampillé d'une marque de beignets à la mode, quitte à faire des heures de queue. Partout dans la capitale s'étalent des slogans mièvres louant l'harmonie, la solidarité. «Aimons-nous les uns les autres», enjoint un jeune premier. «Il faut se parler avec respect», conseille un chanteur branché. Pourtant, six mois après la débâcle qui a coûté la vie à 90 d'entre eux, plusieurs dizaines de «chemises rouges» ont repris vendredi le carrefour de Rajaprasong, au cœur du quartier commerçant. Les manifestants antigouvernementaux y ont dénoncé «l'acharnement judiciaire» dont leurs dirigeants sont les victimes : dix-neuf des chefs de file sont inculpés pour terrorisme, 200 manifestants sont encore sous les verrous et une centaine d'autres ont disparu. Nombre d'entre eux ressassent qu'ils ne sont pas «des buffles qui ne savent pas voter» et réclament, une fois encore, le départ du premier ministre, Abhisit Vejjajiva.

«Les opposants se refusent à faire le deuil d'une révolution volée», explique l'universitaire Pitch Pongsawat. Comme la traque continue, les campagnes se taisent. Si la commission pour la réconciliation diagnostique dépression, anxiété et tendances suicidaires chez les «chemises rouges» revenues dans leur province, elle ne soupçonne pas qu'elles vivent dans le mythe de leurs héros. «Vu le degré de frustration et le sentiment d'injustice, le cycle de violences n'est pas terminé», estime Pitch Pongsawat. Pour Sunai Phasuk, membre d'une organisation de défense des droits de l'homme, «les “chemises rouges” se nourrissent de l'absence de transparence et de justice dans le processus de réconciliation». Mais, dit-il, «on ignore encore si le mouvement sera plus spontané, agira sans réel commanditaire ou sera récupéré par le Puea Thai, le parti affilié à l'ancien premier ministre Thaksin Shinawatra». Il pourrait aussi se radicaliser. L'apparition d'énigmatiques graffitis - «L'iguane a ordonné le massacre» - dans le centre de Bangkok en est un signe, selon plusieurs observateurs. L'insulte s'adresserait à Bhumibol Adulyadej, ce roi que l'on croyait intouchable, ébranlant le dernier point d'ancrage de la Thaïlande.

Florence Compain

source http://www.lefigaro.fr/international/2010/11/19/01003-20101119ARTFIG00602-les-chemises-rouges-de-retour-a-bangkok.php