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Une autre histoire birmane

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Message  Admin Lun 9 Jan 2012 - 3:06

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Réformateur birman controversé et partisan de la « troisième voie », le Dr Nay Win Maung est décédé le 1er janvier 2012, à l’âge de 50 ans.


TEXTE MAEL RAYNAUD *

L’année 2011 restera dans les mémoires comme une année clé, en Birmanie. Elle commença par la formation d’un nouveau gouvernement, issu des élections controversées du 7 novembre 2010 — suivies de la libération d’Aung San Suu Kyi, le 13 novembre — et composé pour l’essentiel d’anciens dirigeants de la junte militaire qui gouverne, sous une forme ou une autre, le pays depuis 1962.
Nombre d’observateurs occidentaux furent pris à contre-pied quand le nouveau Président, U Thein Sein, un général à la retraite, déclara dans son discours d’investiture, au Parlement, vouloir lutter contre la corruption, bâtir des institutions démocratiques fortes, trouver une solution au conflit qui oppose le pouvoir central et la plupart des minorités nationales du pays, et réformer l’économie.
Plusieurs mois durant, le pays se mit à évoluer de façon assez significative, notamment au niveau de la liberté de la presse, sans que le monde ne semble réellement en prendre conscience. Puis au mois d’août, le Président rencontra Aung San Suu Kyi, faisant placer au dessus d’eux, dans un geste d’un grand symbolisme, un portrait du père de celle-ci, le père également de la nation birmane moderne, ainsi que de l’armée.
Quelques semaines plus tard, il annonça la suspension de la construction d’un barrage sur l’Irrawaddy, la rivière mythique à la dimension identitaire si forte, à laquelle de très nombreux birmans étaient opposés. Depuis lors, l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean) a annoncé accorder la Présidence du bloc à la Birmanie, où les dignitaires occidentaux, d’Hillary Clinton [la secrétaire d'Etat américain, N.D.L.R.] à Alain Juppé (en janvier 2012), se succèdent désormais avec empressement.

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L’année 2012, elle, a commencé sur une note bien plus sombre. Un des plus grands penseurs birmans, le Dr Nay Win Maung, dirigeant de l’ONG Myanmar Egress, et fondateur des journaux The Voice et Living Color, un agitateur d’idées considéré par beaucoup comme le leader de la « troisième force » birmane, est décédé, à l’âge de 50 ans, dans les premières heures de l’année.
Ses funérailles, le 1er janvier même, réunirent une foule qui à elle seule, par son nombre comme par la qualité de ceux qui la formaient, donnaient la mesure de la stature du défunt. La semaine suivante, d’Aung San Suu Kyi à différents ministres du gouvernement, en passant par les représentants de tous les partis politiques, des médias, et de l’intelligentsia birmane entière, dans sa diversité, sans parler des ambassadeurs occidentaux, des représentants de l’Union européenne, etc., tout ce que la Birmanie compte de figures importantes devait se rendre dans les locaux de Myanmar Egress pour rendre un dernier hommage à Nay Win Maung, et apporter à ses collègues et aux dizaines de jeunes qui travaillent pour Egress le témoignage de leur sympathie.
Signe des temps, c’est sur Internet, et ses « réseaux sociaux », que des centaines d’anciens élèves, et beaucoup d’autres, s’échangent souvenirs, impressions, opinions et toutes sortes de documents liés au disparu, leur Saya Nay, ou maître Nay, au sens le plus noble du terme.
J’étais moi-même très proche de Nay Win Maung. Depuis trois ans, nous travaillions en effet ensemble, ou plutôt je travaillais pour lui, m’efforçant de faire comprendre au monde ce que la troisième force, et Egress en particulier, étaient en train d’accomplir en Birmanie. Aujourd’hui, ce message est largement passé, au moins sur le terrain, sinon en Europe. Mais à quel prix ?
Loin d’être la figure largement reconnue et consensuelle que sa mort et le mouvement de sympathie qui l’a accompagnée pourraient laisser penser, Nay Win Maung fut ces dernières années la cible d’attaques personnelles inouïes, de la part de certains puristes du mouvement démocratique, et d’une pression permanente de la part des durs du régime.
Lorsque j’ai rencontré Nay Win Maung pour la première fois, à Singapour, en 2006, il était en train de créer Egress, et sa carte ne mentionnait encore que les médias qu’il avait fondés quelques années plus tôt. Pour quelqu’un qui, comme moi, travaillait alors en Thaïlande auprès de l’opposition en exil, il était une énigme.
Le discours qu’il tenait ne correspondait à rien de ce qu’on pouvait entendre, aussi bien parmi les jeunes issus des minorités ethniques, sans parler des groupes armés, que parmi les anciens étudiants du mouvement de 1988 et les représentants de la Ligne nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi en exil. Et provoquait de ce fait des réactions parfois assez violentes de la part de militants à qui j’ai toujours pardonné de ne pas être capables d’entendre un discours plus modéré, sachant, pour avoir passé de nombreuses années sur le terrain, les souffrances qui ont été les leurs.
Mais pour moi comme pour beaucoup d’autres, il y avait chez Nay Win Maung un réalisme, une vision politique, un sens du compromis et un dynamisme sans commune mesure avec les centaines de militants birmans avec lesquels j’avais travaillé, ou simplement discuté, jusque-là.
En outre, ceux des exilés dont j’avais toujours le plus respecté le sens politique, notamment Harn Yawnghwe de l’Euro-Burma Office et Aung Naing Oo du Vahu Development Institute, devenus depuis des figures de cette fameuse troisième force, étaient eux-mêmes, lors de cette même conférence, loin de partager cette méfiance envers Nay Win Maung. En somme, un mouvement était en train de naître, qu’il me faudrait plusieurs années à comprendre et, d’une certaine façon, à rejoindre, et ses principaux acteurs étaient en train de prendre langue.
Ce mouvement devait être porté, de façon paradoxale, par deux évènements clés de l’histoire récente de la Birmanie, les manifestations d’août et septembre 2007, et le cyclone Nargis, la nuit du 2 mai 2008.

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Le monde se souvient du premier sous le nom bien inopportun de révolution safran (il ne s’agit pas d’une révolution, et non seulement les robes des moines birmans ne sont pas safran, mais le mouvement fut lancé, rendons à César ce qui lui appartient, par d’anciens étudiants du mouvement de 1988, qui déjà avaient été éclipsés, dans l’imaginaire occidental, par Aung San Suu Kyi, avant de l’être 19 ans plus tard par les bonzes).
Si les manifestations emmenées par des dizaines de milliers de jeunes bonzes, et la répression qui s’ensuivit, sont connues, on a moins compris le sentiment d’échec qui s’empara à la fin 2007 de très nombreux opposants. Les soulèvements populaires, qui marquent la Birmanie une fois par décennie, semblaient n’aboutir à rien si ce n’est à la mort, l’emprisonnement, la torture ou l’exil. À quoi bon ? N’était-il pas temps de songer à de nouvelles stratégies, de nouvelles approches ?
Au sein du système, au sens large, un sentiment identique, quoique partant du postulat opposé, commença à monter. Après tant d’échecs, après tant de répression, après avoir vu le pays, un pays qui pourrait jouir de tant d’avantages, s’enfoncer de plus en plus dans le sous-développement, l’isolation et la peur, voir l’armée mettre en joue et tirer sur les bonzes, c’était comme une insulte suprême qui serait venue gifler l’aveuglement, et de bien des façons la couardise, de tous ceux qui vivent dans cette élite birmane qui consent parce qu’elle ne dit mot. Cette fois-ci, c’était assez, il fallait que les choses changent.
En réalité, les plus modérés des deux bords étaient en train de suivre le même raisonnement qui avait poussé Nay Win Maung à créer Myanmar Egress, et qui allait faire de lui le fer de lance des changements que la Birmanie a connus depuis. Au prix de cent cinquante mille vies, un cyclone allait fournir le déclic qui permettrait à ces deux groupes de se fondre en un seul, quand opposants, commerçants, intellectuels, hommes d’affaires, militaires, fonctionnaires de haut rang et salariés d’organisations de la société civile, comme Egress, qui fit beaucoup après Nargis, se retrouvèrent dans le delta de l’Irrawaddy pour porter secours à leurs concitoyens, dans un contexte où l’Etat montrait tout à la fois son incompétence, sa réticence à ouvrir le pays au monde, et son indifférence quant au sort de la population.
J’ai été surpris, en réalisant nombre d’entretiens, depuis, de voir à quel point est répandue l’idée que tous, opposants comme membres de l’élite, sous-estimaient, avant de la voir de leur propres yeux, dans le delta, la pauvreté de cette immense majorité de leurs concitoyens qui vivent dans les campagnes.

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Nargis fut donc un déclencheur, à la fois de la montée en puissance de la société civile, pour répondre à la crise, de la conscience que les besoins immédiats de la population devaient être une priorité, et d’un mouvement large, regroupant d’anciens opposants comme des membres de l’élite, et auquel Myanmar Egress, et son secrétaire général, Nay Win Maung, devaient fournir une base idéologique, en théorisant un pragmatisme à tout crin dont l’objectif premier serait d’utiliser les opportunités offertes par les élections prévues en 2010.
C’est à Bruxelles, en octobre 2008, que j’ai retrouvé Nay Win Maung, lors d’une conférence où il devait présenter, justement, sa vision optimiste, pragmatique et constructive de la constitution de 2008 et des élections à venir. Cette vision a depuis fait florès, puisqu’elle a inspiré la société civile, les partis ayant décidé de participer aux élections et siégeant aujourd’hui dans les différents parlements, le gouvernement birman lui-même dont Nay Win Maung était de fait devenu l’un des principaux conseillers, jusqu’aux organisations du secteur privé birman, le corps des haut-fonctionnaires, et même les fondations et les bailleurs de fonds européens qui financent la société civile, nombre de diplomates occidentaux, de représentants des Nations unies, y compris le Secrétaire général, Ban Ki-Moon, et bien des diplomates et hommes d’affaires de la région.
Aung San Suu Kyi elle-même devait finir par se ranger derrière cette “approche Nay Win Maung”, elle dont le parti, la LND, vient de se réinscrire et de décider de participer aux prochaines élections, en avril 2012, revenant ainsi sur son choix de boycotter les élections en 2010.
Ayant été un moteur de la renaissance de la société civile birmane, dirigeant lui-même l’une des principales ONG birmanes et son unique think-tank, un chroniqueur très lu et débattu, publiant une colonne chaque semaine dans son hebdomadaire The Voice, un professeur auquel ses anciens élèves vouent presque de la vénération, un conseiller écouté par la plupart des partis politiques et par le Président Thein Sein, et depuis quelques semaines un médiateur entre le gouvernement et plusieurs groupes armés, on peut sans craindre de se tromper que Nay Win Maung en faisait beaucoup. Certains diront qu’il en faisait trop, et sans doute son corps, qui finit par lui faire défaut, était-il d’accord avec eux.
Il est triste de penser que Nay Win Maung ne verra pas son œuvre finie. Mais pour avoir bien connu Nay Win Maung, je sais qu’il aurait répondu que son œuvre n’aurait de toute façon jamais été finie, puisque la politique n’a pas de fin, en Birmanie comme ailleurs. À voir la réaction de centaines de jeunes, salariés d’Egress ou anciens élèves de l’organisation, et le dernier numéro de The Voice, on mesure que le plus grand succès de cet homme irremplaçable, c’est d’avoir su préparer toute une génération à le remplacer.


* Mael Raynaud est analyste politique, spécialiste de la Birmanie, pays sur lequel il travaille depuis dix ans. Il est consultant pour Myanmar Egress depuis 2009.

source http://webasies.com/nay-win-maung-une-autre-histoire-birmane-par-mael-raynaud/
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