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Récit de voyage au Nepal par une famille Québécoise

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Récit de voyage au Nepal par une famille Québécoise Empty Récit de voyage au Nepal par une famille Québécoise

Message  thanaka Dim 14 Fév 2010 - 8:07

Lundi, 09 novembre 2009

KATMANDOU, Népal – Par le hublot du vieux Boeing 757 qui nous emmène vers Katmandou, une pyramide monumentale émerge au-dessus des nuages : le mont Everest, et bientôt toute la chaîne de l'Himalaya, s'étale dans l'horizon.

Je cherche les mots pour décrire la splendeur de cette forteresse qui fraie avec les avions à réaction, dans l'air dépourvu d'oxygène, à 50° sous zéro.
Si vous trippez montagne comme moi, vous reconnaîtrez cette émotion qui vous submerge à la seule vue d'un sommet, n'importe lequel, encore plus s'il se dresse dans l'Himalaya. Une euphorie, un respect devant tant de beauté, de puissance, de calme et d'agitation à la fois. Une envie irrésistible d'y aller, de marcher, longtemps, tout simplement.
Quand l'avion touche la piste d'atterrissage après avoir survolé cinq pays (Thaïlande, Birmanie, Bangladesh, Inde, Népal), on pénètre dans un autre monde. Après un mois sous les tropiques en Asie du Sud-Est, nous voici dans l'orbite du sous-continent indien, dans un minuscule pays parmi les plus pauvres de la terre, coincé dans l'ombre de géants : l'Inde, la Chine, l'Himalaya.

Dans le noir
Le choc est brutal dès qu'on met les pieds hors de l'aéroport. C'est ma troisième fois au Népal. Je suis encore plus sonné qu'à ma visite précédente, il y a une décennie.
Au moins 12 passagers et leurs bagages, sinon plus, s'entassent dans la minifourgonnette qui fonce vers le centre de Katmandou. Marianne, 6 ans : « C'est pas comme en Thaïlande, hein papa. Les voitures roulent vite et klaxonnent tout le temps. »
Tu as raison, Marianne. Ça conduit comme des malades. Les Népalais perdent toute forme d'intelligence derrière un volant. Il n'y a pas d'autres mots. La règle : chacun fonce dans le tas, le plus vite possible, en klaxonnant à tue-tête.
Dans le soleil couchant, un spectacle hallucinant prend place sur la route poussiéreuse. Des milliers de gens à pied, à moto, à vélo, en auto, se jettent à corps perdu sur le chemin plongé dans la noirceur presque totale. Panne d'électricité.
Des feux de camp improvisés lancent une lumière blafarde dans la nuit. Juste assez pour distinguer les poules, les coqs, les chiens et les vaches sacrées qui se taillent une place dans la cohue.
Les gens toussent et crachent partout à cause de l'épais nuage de poussière et de fumée qui enveloppe la ville. Nous nous joignons nous aussi au concert de toux, les yeux en feu, la gorge encrassée. J'ai mal aux poumons. Nous sommes au Népal depuis une demi-heure.

Le repaire des montagnards
Nous débarquons au Kathmandu Guest House, lieu mythique qui a accueilli Reinhold Messner, Peter Hadeler et tous les grands alpinistes depuis 50 ans. Dans le hall paré de sculptures de bois massif, je distingue les montagnards des touristes ordinaires : ils ont plus de rides, le teint plus foncé et ils sont « bâtis sur un frame de chat », comme disait mon ami Mike (pour me décrire).
Les alpinistes ont aussi cette étincelle, cette drive, ils bougent sans arrêt en ayant l'air immobiles. J'en vois qui planifient leur expédition avec leur sherpa. Les sherpas, ce sont les petits hommes aux yeux bridés qui fument des cigarettes sur le flanc de l'Everest, à 8 000 mètres d'altitude, avec un sac de 30 kilos sur le dos.
Le Kathmandu Guest House a perdu notre réservation. Il a perdu les réservations de tout le monde qui s'entassait dans le minibus. C'est complet, évidemment. Le Lonely Planet avait raison : trop de clients, ça tue une business.
On aboutit dans un hôtel moins que sympathique à cinq minutes de marche. 40 $ US la nuit. Vol qualifié. Voulez-vous aussi nos pantalons et nos bobettes, une fois partis ?
Pas grave, on a du fun. On voulait de l'aventure, on a de l'aventure.

Toilettes népalaises 101
On se fraie un chemin jusqu'au restaurant de l'hôtel Utse. Une institution, fondée par une famille de réfugiés tibétains.
Le lobby de l'hôtel ressemble à une lodge qu'on retrouve sur les sentiers de l'Himalaya. Une photo du dalaï-lama, des sculptures de lions, des rideaux aux tons de vert, bleu et blanc. Des bancs plutôt bas adossés à de grandes fenêtres en bois.
Les momos – sorte de raviolis fourrés aux légumes ou à la viande de yack – sont aussi succulents que la dernière fois. Enfin, succulent est un bien grand mot.
Émilie : « Papa, j'ai envie de pipi. »
Elle se rend aux toilettes avec maman.
« Papa, je n'ai plus envie. Je vais attendre à l'hôtel. »
Pauvre Émilie. Introduite aux toilettes népalaises à 4 ans. Un supplice. Un calvaire. Et elle n'a encore rien vu...


Lundi, 16 novembre 2009
POKHARA, Népal - Je cherchais une image qui expliquerait le Népal. J’ai trouvé la formule magique en prenant le taxi.

Coincé dans un bouchon à l’un des rares feux de circulation de Katmandou, le chauffeur a arrêté le moteur de son bazou. C’est ça, le Népal. Le pays où les chauffeurs de taxi arrêtent leur moteur aux feux rouges. Pour économiser l’essence.
Au retour, en soirée, la ville était plongée dans le noir par une panne d’électricité. Ça, c’est Katmandou. La seule capitale du monde plongée dans le noir tous les soirs – tous les soirs – par des pannes de courant.
Il faisait noir comme chez le yable dans les ruelles crasseuses. L’autre chauffeur de taxi, pas le même que plus tôt dans la journée, éteignait ses phares chaque fois qu’aucune voiture n’arrivait en sens inverse.

C’est le Népal. Le pays où les chauffeurs de taxi foncent tous phares éteints dans la nuit noire comme le charbon.
Le chauffeur était un jeune cool, avec une petite couette derrière la tête. Il faisait sa prière, comme une sorte de signe de croix, toutes les fois qu’on passait devant un temple. Il passait son temps à faire sa prière, parce qu’il y a des temples à tous les coins
de rue, à Katmandou.
J’avais le goût de lui dire d’arrêter de prier, de tenir son volant à deux mains et d’allumer ses phares. Que ça serait mieux du point
de vue de la sécurité routière.
De toute façon, les policiers n’arrêtent pas les conducteurs pour cause de prière au volant au Népal. Comme en Thaïlande, ils arrêtent les conducteurs pour cause de rien du tout. Ils se placent en bordure d’une rue et font signe à tout le monde d’arrêter. Puis ils collectent le motton.
À Bangkok, la «contravention» pour cause de rien du tout était de 200 bahts, quelque chose comme 7 dollars. Une demi-journée de salaire. À Katmandou, je ne sais pas combien c’est, mais je peux vous dire que les policiers ne gagneront jamais un concours de popularité, ni en Thaïlande ni au Népal.
Une période difficile
Puisqu’il est question de sécurité routière, vaillant comme je suis, j’ai déniché des statistiques dans le Kathmandu Post. Les accidents de circulation tuent 33 personnes par heure en Asie du Sud-Est. Ce sont la principale cause de mortalité.
Sur les 170 kilomètres entre Katmandou et Pokhara, on a croisé un autobus anéanti sur le bord d’un précipice (une grue venait apparemment de le sortir de là), un camion-remorque renversé sur la chaussée et on a été témoins d’une demi-douzaine de catastrophes évitées de justesse.
L’autre jour, un autobus a foncé dans un groupe de personnes qui attendaient en bordure de la route. Trois morts, plusieurs blessés graves. Les gens ont mis le feu à trois bus de la même compagnie qui passaient par là, puis ils ont lancé des pierres aux policiers et aux pompiers accourus sur les lieux.
Les gens lancent souvent des pierres dans ce pays. Le Népal traverse une période difficile. Le Népal traverse une période difficile depuis un millénaire ou deux, d’après ce que je crois comprendre.
Comme dans le temps de Jésus
Alors, ce voyage en famille? demandez-vous? Très bien, merci. Par miracle, on est tous en santé, vaccinés, toutes nos dents. Heureux. Parfois un peu fatigués, aussi.
Nos filles de 4 et 6 ans découvrent les hauts et les bas de la vie dans un des pays les plus pauvres de la planète. «Regarde, papa, le monsieur a juste une jambe...»
Oui, Marianne, le monsieur a juste une jambe. Il a eu une maladie de la jambe et comme il est très pauvre, il n’a pas pu se rendre à temps à l’hôpital. Finalement, pour faire une histoire courte, il s’est fait couper un bout de jambe.
Ce que tu ne sais pas, Marianne, c’est que je t’ai pris la main pour changer de trottoir, l’autre jour à Katmandou, avant qu’on passe devant un autre monsieur, difforme, couché par terre. Un lépreux, comme dans le temps de Jésus.
Mais bientôt, d’ic ài la fin de 2009, il n’y aura presque plus de lépreux au Népal. C’est écrit dans le journal. Ça doit être vrai.
C’est aussi écrit que la Chine a donné 400 conteneurs à déchets et 118 camions pour ramasser les ordures. Bientôt, dans les prochains mois, il n’y aura plus de montagnes de déchets dans les rues. C’est écrit dans le journal. Ça doit être vrai.
Le Roi de la patate
Ah oui, le voyage en famille. Le Népal est un pays formidable pour les voyages. C’est écrit dans le National Geographic Traveller. Moi, je dis: le Népal est un pays formidable pour les voyages, surtout si on n’est pas népalais.
J’écris sur la terrasse d’un café à Pokhara, au bord d’un lac paisible, au pied du massif de l’Annapurna. Les haut-parleurs crachent la même musique de Bouddha-Machin qu’à Paris, Bangkok ou Laval. Mon Mac est branché sur Wi-Fi.

Je viens de manger un poulet au beurre avec curry de légumes, riz basmati et pain naan. J’ai aussi bu un espresso à 3 dollars. Une journée de salaire pour un Népalais. Ça n’existait pas, l’espresso, à ma dernière visite au Népal il y a 10 ans. Depuis, les Népalais ont réalisé que les Marco Fortier de ce monde sont prêts à payer cher, très cher, pour leur dose d’espresso.
La seule différence avec Laval, c’est la tête du serveur quand il m’apporte la facture. Chaque fois que je tends deux billets de 100 roupies pour payer mon café, je lis une espèce de désarroi euphorique, d’incompréhension agitée, dans les yeux du serveur.
La même tête que ferait le Roi de la patate de Drummondville s’il refilait des poutines à 75 dollars aux touristes français.
Le petit gars a des bobos
Oui, oui, le voyage en famille. Facile, une fois qu’on a survécu aux motos qui nous frôlent à 80 km/h, aux montagnes de déchets, à la pollution. Isabelle et moi avons refait avec bonheur notre pèlerinage de routards à Katmandou. Pumpernickel et ses brioches à la cannelle, le Third Eye et son poulet tikka massala, la librairie Pilgrims (en parlant de pèlerinage) et ses fabuleux étalages de lecture venue de partout dans le monde, Patan et ses monuments religieux, plus les classiques bouddhistes de Boudhanath et Swayambounath.

Le voyage en famille, c’est aussi des sourires, des centaines de sourires, et des milliers de «namaste». Ils sont gentils, les Népalais. Aussi gentils que pauvres. Ils sont très gentils.
Ici, à Pokhara, c’est encore mieux que Katmandou. Les neiges éternelles de 8000 mètres qui viennent se jeter dans le lac, à côté de ma terrasse de Bouddha-Machin et mon espresso bien tassé, je peux difficilement demander mieux.
«Regarde, papa, le petit gars qui joue dans le sable, près du trottoir, à côté de la vache. Il a des bobos sur le visage.»
C’est vrai, Émilie. Le petit gars a des bobos sur le visage. Je pense que sa maman va l’amener voir un docteur. Comme le docteur Gagnon au CLSC Villeray. Quand on va revenir de notre trek dans la montagne, la semaine prochaine, le petit gars sera peut-être guéri.
Qu’est-ce qu’on disait, donc? Ah oui, le voyage en famille. Le Népal est un pays formidable pour les voyages.
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Message  thanaka Dim 14 Fév 2010 - 8:09

Mercredi, 25 novembre 2009
C'était un peu fou. Mais on se trouvait bel et bien là, au pied des plus belles montagnes du monde, à entamer une marche de cinq jours dans l'Himalaya avec nos filles de 4 et 6 ans.

Cinq jours avec nos princesses à flirter avec le massif de l'Annapurna, monument de silence au centre du Népal. Je n'ai toujours pas les mots pour décrire une telle majesté. Vous irez voir...
Il faut préciser tout de suite ce que c'est, une randonnée au Népal. Du matin au soir, on grimpe, descend, grimpe, descend, grimpe grimpe grimpe, descend descend, sur un sentier étroit, pierreux et poussiéreux qui s'étire de village en village, frôlant des précipices, traversant jungles et rivières.

On mange mal. Fabuleusement mal. La nuit, on gèle dans des cabanes tout croches et sans chauffage. On a mal aux jambes. On se sent loin, isolé, aucune route, aucune voiture, peu d'électricité.
Pour des adultes, une simple randonnée. Pour des petits enfants ? J'avais un peu le vertige pour Émilie et Marianne. Mais elles ont l'habitude des projets de fou de leurs parents. L'appel de la montagne semblait plus fort que tout. Depuis nos deux expéditions au Népal, il y a une décennie, Isabelle et moi rêvions juste de revenir un jour avec nos filles.
Les maniaques de plein air vont comprendre. Les montagnes du Népal, c'est une drogue dure. On y touche une fois, on devient accro pour la vie. On entre dans la beauté, dans la contemplation, dans le plaisir de l'effort, dans la découverte de l'autre et de soi. Dans l'aventure.
Sur le chemin des princesses
On avait les deux pieds dedans. Avec nos filles.
Le monsieur de l'agence de trekking nous a fourni un guide et un porteur en étant convaincu qu'on reviendrait en pleurant le premier soir. C'est notre guide qui nous l'a avoué, à la fin de la randonnée.
Dipak et Dil, nos accompagnateurs, ont paru surpris en voyant Marianne et Émilie prendre d'assaut le sentier. Il y a de quoi amuser les enfants: on croise des caravanes d'ânes transportant des marchandises, on croise des voyageurs à dos de poney, on croise des singes, des poules, des coqs, des chèvres, des chiens, des araignées, des fourmis, des papillons... Tant de distractions qu'on en oublie les hauts et les bas du parcours.
Et puis, en cas de fatigue, on embarque dans le panier de Dil: notre porteur a aménagé un dokho sur mesure où les filles peuvent s'asseoir à tour de rôle pour franchir les pentes les plus abruptes.
Cette monture de princesse ne passe pas inaperçue. Les gens ne voient pas souvent des petites blondinettes aux yeux bleus ou verts voyageant à dos de porteur à 3 000 mètres d'altitude.
Sans avoir besoin de se parler, les enfants cliquent tout de suite entre eux. Nos filles découvrent vite le jeu le plus répandu ici: le lancer de la fleur. On arrache en secret une fleur qui pousse chez le voisin et on se la lance, pieds nus ou en gougounes sur le roc...
Dès le premier soir, en « savourant » un daal bhat (riz, lentilles et curry de légumes, le plat national) dans le village de Tikhedunga perché à flanc de colline, le verdict des filles était tombé: elles aiment ça, un trek au Népal.
Petits miracles en altitude
Deux nuits plus tard, c'était moins drôle. Indigestion pour les deux filles. Maux de ventre atroces. Émilie a agonisé durant plus d'une heure avant de me couvrir de vomi de la tête aux pieds. Bravo Émilie, quel soulagement, même s'il y en a partout !
— Partout ? Non papa, il n'y en a pas au plafond !
Elle s'est endormie en souriant à poings fermés dans la nuit noire et glaciale. Je t'aime Émilie...
Aux petites heures du matin, j'appréhendais le pire. J'avais aussi le ventre à l'envers. Tout s'est replacé quand j'ai entrouvert la porte: on flottait au-dessus des nuages qui barraient la ligne d'horizon, tout en bas. Le soleil dardait la terrasse où nous attendaient pain, crêpes et chocolat chaud.
Une demi-heure plus tard, autre petit miracle: j'ai vu Marianne débouler tête première, comme au ralenti, dans l'escalier abrupt qui mène à l'étage de notre gîte. Elle s'en est tirée indemne...
Quelques fois, j'ai regretté d'avoir emmené nos filles dans cette galère. Attention Marianne, il y a un groooos précipice à droite. Attention Émilie, un troupeau de chèvres fonce vers nous. Papa, je ne peux pas faire ça dans ce trou-là, ça pue trop c'est DÉGUEULASSE ! Papa j'ai mal au ventre, papa j'ai mal aux jambes, papa j'ai chaud, papa j'ai froid, papa c'est pas bon cette nourriture-là.
Voilà, c'est à peu près ça. Des hauts et des bas. Cinq jours plus tard, au petit matin, nos filles sont parties en trottinant vers Nayapul, destination finale. Elles ont couru toute la journée. Survolé le sentier. Rieuses. Heureuses. Rendant les « namaste » que leur adressaient les Népalais.
Le soir, on a pris une bonne douche chaude à notre hôtel à Pokhara. On s'est payé un festin de spaghetti et de pizza au café Concerto. Le feu de foyer nous réchauffait. On n'a jamais aussi bien dormi.

Mardi, 08 décembre 2009 13:21
PAUNYATAR, Népal - On s’était promis de ne pas faire un voyage de « touristes ». Nous avons trouvé une famille népalaise qui a accepté de nous héberger.

Rien de plus facile que de trouver une famille prête à accueillir quatre aventuriers canadiens. On demande à un ami d’un ami qui connaît un ami… Ça s’est réglé en une demi-journée.
Nous voici donc dans le village de Paunyatar, en banlieue lointaine de Katmandou. La famille Budhatoki nous ouvre les portes de sa maison tout en béton dans ce qui est encore la campagne, mais qui deviendra la ville dans un an ou deux tout au plus.
Les maisons de trois étages remplacent peu à peu les vaches, les chèvres et les plantations de légumes autour des terres cultivables de la famille Budhatoki. L’université de Katmandou prévoit même y implanter un campus à cinq minutes de marche, dans le champ en bas de la pente.

Pour l’instant, c’est encore la campagne. Paisible. Un brin insouciante. Tôt le matin, la vache de la famille Budhatoki vient brouter l’herbe scintillante de rosée, sous le soleil qui fait monter la brume. Pour le lait, la vache. Ici, on ne mange pas de bœuf, animal sacré.
Ah ! oui, faut que je vous dise : huit membres du clan habitent la demeure familiale, dont grand-papa et grand-maman Budhatoki, fervents pratiquants de l’hindouisme. Ils vouent un culte discipliné à Vishnou.
Grand-papa, grand-maman et leurs voisins du même âge arborent un signe distinctif au front : des lignes peintes en rouge et blanc. Ça me rappelle les marqueurs sur les sentiers de grande randonnée en Corse et dans les Pyrénées. Mais on est loin, très loin de l’Europe ou du Québec, ici…

En passant, bonjour à mes amis lecteurs de la France : ce blogue apparaît désormais dans le site www.lecoinbio.com, fondé par Frédérique Chartrand, fille de mon collègue Yves, correspondant parlementaire de RueFrontenac.com à Québec. Comme on dit à Paris : le monde est petit en titi.
Visite guidée
Pour l’instant, revenons dans le village de Paunyatar, chez la famille Budhatoki, qui se décrit comme issue de la classe moyenne. Classe moyenne très, très supérieure, je dirais. Chhetris, une caste noble. Propriétaires terriens. Papa Budhatoki, 35 ans, est un leader du village.
Curieux comme vous êtes, vous voulez tout savoir : oui, ils ont l’électricité, la télé par satellite, le téléphone, deux réchauds au gaz dans la cuisine et même un laptop de marque Acer dans le salon (qui est aussi la chambre des fillettes de 6 et 8 ans et de leur tante de 27 ans), pour jouer aux cartes. Mais pas Internet.
La famille Budhatoki se déplace à pied, en moto ou dans son gros 4X4 de marque Tata fabriqué en Inde. Mais elle doit marcher avant de rouler : son « quartier » n’a pas de rue, qu’un sentier très étroit qui serpente à travers champs. Tant mieux : les enfants peuvent courir sans risquer de se faire écrapoutir par une voiture de taxi ou par une moto, comme partout ailleurs en ville. Et on a congé de klaxons. Sont maniaques du klaxon, les Népalais.
La famille Budhatoki se soulage dans deux toilettes turques. Ma mère ne mettrait jamais les pieds dans ces toilettes – elle ne mettrait jamais les pieds au Népal, point – pour cause d’insalubrité généralisée, mais après un mois ici, je peux vous dire que la maison est plus propre que la moyenne. C’est juste différent de chez nous, disons. On ne gaspille pas le Spic and Span et l’eau de Javel au Népal.
Le langage des enfants
Et la famille Fortier, dans tout ça ? Marianne et Émilie sont devenues amies avec Ritika, 8 ans, Reshika, 6 ans, et leurs 22 petits voisins en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « namaste ». Les enfants parlent tous le même langage : corde à danser, ballon de soccer, fous rires, crayons à colorier, jeu de cartes Uno (qui a plus servi ici en deux jours qu’en un an à Montréal). Pour le reste, ça se passe en anglais plus ou moins baragouiné.

On est tellement contents de voir nos filles jouer avec les petits Népalais ! On se croirait dans la ruelle de la rue Saint-Gérard, dans le quartier Villeray, à Montréal.
De notre côté, Isabelle et moi faisons connaissance avec le reste de la maisonnée. Une chance qu’Aatma (26 ans) et sa sœur Sanjhana (28 ans) parlent anglais parce que les autres membres de la famille s’expriment uniquement en népalais.
Traditions ancestrales
J’avoue que grand-papa et grand-maman, ceux qui portent un signe de grande randonnée dans le front, me fascinent particulièrement. Grand-papa et grand-maman Budhatoki s’acharnent à vivre comme il y a 500 ans. Ils me font sourire. Le reste des membres de la famille, le nez collé à l’écran de télé et l’oreille à leur téléphone mobile, se plient avec plus ou moins de joie aux traditions ancestrales.
Grand-papa et grand-maman se lèvent avant le soleil, au son d’une clochette, pour prier Vishnou dans la pièce tenant lieu de « temple », au deuxième étage. Ils ne mangent que de la nourriture végétarienne préparée par eux (dans les faits, par grand-maman) chez eux. Jamais au resto. Et toujours entre eux seulement. Ils ne prennent jamais un repas en présence de leurs enfants et petits-enfants tout aussi hindouistes qu’eux, mais qu’ils considèrent comme impies. Encore moins avec les étrangers qui ont envahi leur demeure…

sabelle et moi avons déduit, au fil du temps, que grand-papa et grand-maman Budhatoki refusent systématiquement qu’on les touche ou même qu’on approche d’eux. Pour eux, issus de la caste dirigeante des Chhetris, nous sommes comme des Dalits, les Intouchables qui stagnent depuis des siècles dans les bas-fonds de l’échelle sociale, en Inde comme au Népal.
Au moins, ils nous accueillent généreusement et amicalement chez eux. Un Dalit ne franchirait jamais la porte de leur demeure.
Grand-papa et grand maman Budhatoki mangent par terre, sans ustensiles, avec leurs mains. Les Népalais mangent généralement avec leurs mains. Vite. Sans cérémonie. J’aime les voir manipuler le riz et les lentilles avec leurs doigts transformés en cuillère.
Les enfants aussi mangent par terre, avec leurs mains. Les hommes, eux, mangent avec leurs mains, mais à table. Et Sanjhana, la grande sœur de 28 ans, mange à table avec une cuillère. Probablement parce qu’elle a des invités du Canada.

Notre gallerie de photos au Népal
Et Tulsha, la mère des fillettes ? Elle mange seule dans son coin, dehors, à la terrasse, après avoir fait la vaisselle, la lessive, le ménage. Certaines traditions ont la vie dure au Népal.
Allez, je vous laisse, mon daal bhat m’attend à la cuisine. Je vous reparle bientôt de grand-papa et grand-maman Budhatoki et de leur famille.
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Message  thanaka Dim 14 Fév 2010 - 8:12

Jeudi, 10 décembre 2009
KATMANDOU, Népal — En première page de tous les journaux, ce matin : une jeune journaliste sauvagement battue par une bande d’inconnus qui l’ont poussée dans un ravin. Elle repose dans un état « stable, mais critique » à l’hôpital Katmandou Model.

Ça nous a virés à l’envers, Isabelle et moi. Des histoires comme celle-là, on en lit presque toutes les semaines au Népal. Sans hésiter, on a décidé de rendre visite à Tika Bista, 29 ans, journaliste du quotidien Radjhani. On est allés acheter une carte de vœux, une boîte de chocolats Ferrero-Rocher, un calepin de journaliste et 10 stylos. Et on a pris un taxi pour l’hôpital Katmandou Model, avec Marianne et Émilie.
Je ne sais pas si l’hôpital Katmandou Model est vraiment un modèle, mais ça fait peur à voir. À l’entrée, deux guichets où les malades doivent payer leurs soins. Tout est sale, vieux et sombre, les murs, les planchers.
J’ai dit à mes filles : « Vous ne touchez à rien. Gardez les mains dans vos poches. Et restez tranquilles. »

La réceptionniste nous informe que Tika Bista se trouve à la chambre numéro 14, au troisième étage. Nous montons. Avant d’entrer, j’écris dans la carte : « Quand une journaliste du Népal se fait attaquer à cause de ses reportages, ce sont tous les journalistes du monde qui se font attaquer. Reviens vite au travail en pleine santé. N’abandonne jamais. All the best from Montréal, Québec, Canada. »
Nous arrivons en même temps que le ministre de l’Intérieur, entouré de conseillers et de journalistes. Pas le temps de lui parler, il repart aussi vite qu’il est arrivé, en s’engageant à payer pour l’hospitalisation de la journaliste.
En entrant dans la chambre, j’ai le moton dans la gorge. Tika Bista est couchée sur un petit lit. Les yeux vides. Incapable de parler. Elle répond d’un geste des yeux quand on lui dit namaste. Son amie et collègue du Katmandou Post, Sushma Joshi, sort de la chambre et éclate en sanglots : « Tika n’a pas mangé ni uriné depuis quelle a été victime de l’attaque, il y a deux jours. Elle a probablement des lésions internes très graves. »
Elle devrait être entourée de médecins aux soins intensifs. Mais non. Elle est seule dans cette chambre macabre, entourée de journalistes et de photographes. Branchée sur un soluté par intraveineuse.
Isabelle se penche vers Tika et lui dit que deux journalistes du Canada sont de tout cœur avec elle. Faible mouvement des yeux. Triste à mourir. On lui laisse notre sac de cadeaux sur la table de chevet. Namaste, Tika...
Métier à haut risque
La journaliste avait reçu des menaces de mort depuis la publication de ses articles sur l’assassinat d’une leader marxiste-léniniste par des maoïstes, nous informe son amie Sushma Joshi. (Je vous parlerai une autre fois de la situation politique explosive au Népal).
Tika savait que les maoïstes voulaient la tuer, elle aussi. Mais elle a continué son travail.
Tôt mardi matin, Tika a reçu un appel sur son cellulaire : « Ta belle-sœur est à l’hôpital. Elle a besoin de toi. »
Tika est partie tout de suite vers l’hôpital. Elle a vite constaté que trois hommes masqués la suivaient. Elle a été retrouvée peu après au fond du ravin. Inconsciente, le corps couvert d’ecchymoses.

« Le journalisme est un métier à haut risque au Népal. Des journalistes se font constamment attaquer », me dit Sushma Joshi, les larmes aux yeux. Récemment, une autre journaliste, Uma Singh, a été assassinée à Janakpur. Une autre femme. Tika Bista, je vous le rappelle, enquêtait sur le meurtre d’une politicienne.
Ça commence à faire pas mal de femmes menacées, frappées, tuées, parce qu’elles se battaient pour leurs convictions.
Ce pays me décourage.
On quitte le Népal demain matin pour Bangkok, Isabelle, nos filles et moi. Avec une question lancinante à l’esprit : qui prendra soin de Tika Bista ?

source www.ruefrontenac.com
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