Birmanie - des électeurs apathiques à deux mois du scrutin

THABEIKKYIN — Les Birmans iront voter en novembre pour la première fois depuis vingt ans mais l'issue du scrutin connue d'avance ou presque ainsi que le manque chronique d'informations maintiennent les électeurs dans une profonde apathie.

Ko Aung, 43 ans, n'a aucune idée de ce à quoi ressemble la démocratie. Ce père de trois enfants d'un village du nord aura le choix le 7 novembre entre le Parti de la solidarité et du développement de l'Union (USDP) et le Parti de l'unité nationale.
Deux formations alignées sur la junte au pouvoir. Des généraux gouvernent la Birmanie depuis 1962.
Vendeur de pousses de bambous qu'il ramasse dans la forêt, il a entendu sur une radio des informations disant que l'USDP "n'était pas bien". Mais il ne s'y intéresse guère. "Notre revenu quotidien est plus important pour nous".

Les élections sont unanimement condamnées par la communauté internationale qui n'y voit qu'une mascarade destinée à habiller le régime militaire avec des vêtements civils.
La junte s'est réservée un quart des sièges et a verrouillé la campagne pour éviter le retentissant camouflet de 1990 lorsque la Ligue nationale pour la démocratie (LND) de l'opposante Aung San Suu Kyi avait remporté le scrutin haut la main.

Mme Suu Kyi n'a jamais été autorisée à exercer le pouvoir et a été privée de liberté pendant la majeure partie des 20 dernières années. Elle purge actuellement une nouvelle peine de résidence surveillée et n'est libérable, au plus tôt, qu'après les élections.

Quant à la LND qui boycotte le scrutin, elle a été purement et simplement dissoute. Privée de sa charismatique figure de proue et dépourvue de la légitimité historique de son parti, l'opposition piétine et souffre.

Les deux principales formations - le Parti démocratique et la Force démocratique nationale (NDF) -, créées par des transfuges de la LND, auront toutes les peines du monde à réunir à elles deux 200 candidats, pour plus d'un millier de sièges aux parlements national et régionaux.

Kyaw Kyaw, 25 ans, étudiant à Rangoun, avoue ne pas s'intéresser au scrutin mais admet qu'il votera pour l'USDP "parce qu'ils vont certainement gagner" et "qu'ils pourraient continuer à nous garantir l'électricité 24 heures sur 24".
"Si Aung San Suu Kyi est libérée et se présente, je voterai pour elle. Sinon, je voterai USDP parce que je ne connais pas les autres partis politiques".
Et pour cause. La campagne des partis d'opposition a été soumise à de multiples restrictions. Et comme l'élection est la première depuis 20 ans, tous les inscrits de moins 38 ans se présenteront pour la première fois dans un bureau de vote.

A Pakokku (nord-ouest), une femme illettrée de 31 ans se souvient que le chef du village lui avait ordonné de voter pour la nouvelle Constitution lors du référendum organisé par la junte du généralissime Than Shwe en 2008, alors que la Birmanie était ravagée par un cyclone.
Sur les conseils d'un moine bouddhiste, elle n'en fit rien. Elle retournera voir un religieux cette année encore. "J'ai peur du chef du village et de la police, mais je fais confiance aux moines", dit-elle sous couvert d'anonymat.

Même les plus privilégiés semblent perdus. A l'instar de ce fonctionnaire de 55 ans de Pakkoku qui admet que son statut ne lui a guère permis de se renseigner sur les différents partis. "Je veux voter pour les gens qui travaillent pour nous. Le gouvernement a réparé nos routes et bâti des usines dans notre région ces derniers temps".
Mais, interrogé sur sa volonté de voter USDP, il devient pensif. "Je ne sais pas grand chose. Je dois réfléchir très sérieusement. Vous ne voudriez pas me conseiller pour qui voter?"

AFP