Moi, Aung San Suu Kyi, détenue sous un toit qui fuit
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Moi, Aung San Suu Kyi, détenue sous un toit qui fuit
La "lady" de Rangoon a recouvré la liberté en novembre et s’est empressée de renouer avec sa chronique dans le quotidien japonais Mainichi Shimbun, interrompue pendant 13 ans. Dans sa première contribution, elle évoque le chantier de réparation de sa maison, lien ténu mais précieux avec l’extérieur.
Le début de l’année est propice pour se renouveler, se revigorer, prendre de nouvelles résolutions et se souvenir du passé. En me penchant sur 2010, je m’aperçois que des pans entiers de l’année sont si peu marquants qu’ils ont disparu dans les limbes du temps. Comment ai-je passé le premier de l’An ? Je ne m’en souviens pas. Je peux simplement dire que je ne devais pas être me sentir très bien. Les travaux de rénovation de ma maison avaient commencé en décembre 2009 avant d’être suspendus quelques semaines plus tard sur ordre des autorités municipales [le frère d’Aung San Suu Kyi ayant engagé une action en justice pour s’opposer à ce chantier]. Pendant que mes avocats s’efforçaient de faire casser cette décision, j’ai vécu plusieurs mois au milieu de cartons, d’objets non identifiables emmaillotés dans d’épaisses couvertures, de valises de différentes tailles et de piles branlantes de livres. De mon lit, coincé entre une haute étagère, des tables de toutes sortes et des paquets tout défoncés, j’avais vue sur un bout de plafond écaillé qui m’offrait de nombreux moments de méditation sur la nature de la décrépitude et de la décadence.
Le premier trimestre 2010 n’a pas seulement été une période d’inconfort matériel mais aussi d’intense activité mentale. Mes avocats me rendaient visite de temps à autre pour discuter de l’appel que nous avions interjeté contre la peine qui m’avait été infligée au tribunal de la prison d’Insein l’année précédente [après qu’un Américain eut pénétré illégalement dans sa propriété, ce qui avait servi de prétexte aux autorités pour prolonger l’assignation à résidence du Prix Nobel]. Cette procédure judiciaire s’est révélée fascinante et j’ai beaucoup appris de mes avocats, très expérimentés et compétents. L’un d’eux, U Nyan Win, étant membre du Comité exécutif de la Ligue nationale pour la démocratie [parti historique de l’opposition], j’étais en mesure de me tenir au courant de ce qui se passait dans le monde politique et ai pu participer dans une certaine mesure au processus de prise de décisions du parti. Au cours de l’année, qui s’est avérée cruciale sur un plan politique [en raison notamment des premières élections en 20 ans le 7 novembre], ces défis intellectuels ont été beaucoup plus importants pour moi que les considérations de santé [à plusieurs reprises l’état de santé d’Aung San Suu Kyi a été alarmant].
A l’époque du Nouvel An birman, qui tombe à la mi-avril, le tribunal a décrété que les travaux de ma maison pouvaient reprendre. Du jour au lendemain, les ouvriers ont envahi les lieux, et ce qui était jusque-là une enceinte coupée des sons et des mouvements du monde extérieur, est devenu un espace empli de bruits et d’agitation. Il y avait beaucoup à faire. L’un des principaux chantiers était la réparation du toit. Pendant plusieurs années, j’avais passé les mois de la mousson à déplacer mon lit, des bols, des cuvettes et des seaux dans ma chambre comme autant de pièces d’une difficile partie d’échec, pour échapper aux fuites et empêcher le matelas (et moi-même, lorsque je me trouvais dessus) de prendre l’eau. Maintenant que le toit allait être colmaté, je pourrais attendre les prochaines pluies l’esprit serein. En birman, un toit en bon état inspire un sentiment de sécurité, l’impression que, si tout va bien au sommet de l’édifice, il en va de même pour le reste du bâtiment.
Les travaux allaient donc m’assurer un plus grand confort dans l’avenir, mais, plus important encore que ces considérations matérielles, ils me permettaient d’avoir des contacts humains. Chaque jour, pendant cinq mois, j’ai pu m’informer de la vie et des préoccupations de nos ouvriers, acquérir une meilleure compréhension des difficultés auxquelles la main-d’œuvre de notre pays est confrontée et me faire une idée plus claire de ses espoirs et aspirations. Autre conséquence du chantier, les discussions régulières avec les policiers de la Branche spéciale ainsi qu’avec d’autres membres des forces de l’ordre chargés d’assurer la sécurité des lieux. L’entrée d’hommes et de matériaux devait être négociée quasiment tous les jours et on s’est rendu compte de part et d’autre qu’en privilégiant le dialogue et en faisant preuve de souplesse, on pouvait venir à bout des obstacles. 2010 a été une année de changement pour ma maison, mais ce qu’elle a apporté à notre pays — le foyer de notre peuple — est un sujet beaucoup plus sérieux, que j’aborderai à une autre occasion.
Je voudrais clore cet article, le premier que j’ai écrit depuis ma libération, en exprimant tous mes remerciements au Mainichi Shimbun pour le soutien et l’amitié qu’il m’a apportés au cours des deux dernières décennies et en partageant avec ses lecteurs ce passage d’un poème que mon défunt mari appréciait tout particulièrement et que j’aime beaucoup moi-même pour sa sagesse éternelle.
Hier n’est qu’un rêve,
Demain n’est qu’une vision ;
Mais un aujourd’hui bien vécu
Fait de chaque hier un rêve de bonheur,
Et de chaque demain une vision d’espoir.
Fais donc grand cas d’aujourd’hui.
D’après “La salutation à l’aube”, inspiré d’un hymne védique.
source http://www.courrierinternational.com/article/2011/01/07/moi-aung-san-suu-kyi-detenue-sous-un-toit-qui-fuit
Le début de l’année est propice pour se renouveler, se revigorer, prendre de nouvelles résolutions et se souvenir du passé. En me penchant sur 2010, je m’aperçois que des pans entiers de l’année sont si peu marquants qu’ils ont disparu dans les limbes du temps. Comment ai-je passé le premier de l’An ? Je ne m’en souviens pas. Je peux simplement dire que je ne devais pas être me sentir très bien. Les travaux de rénovation de ma maison avaient commencé en décembre 2009 avant d’être suspendus quelques semaines plus tard sur ordre des autorités municipales [le frère d’Aung San Suu Kyi ayant engagé une action en justice pour s’opposer à ce chantier]. Pendant que mes avocats s’efforçaient de faire casser cette décision, j’ai vécu plusieurs mois au milieu de cartons, d’objets non identifiables emmaillotés dans d’épaisses couvertures, de valises de différentes tailles et de piles branlantes de livres. De mon lit, coincé entre une haute étagère, des tables de toutes sortes et des paquets tout défoncés, j’avais vue sur un bout de plafond écaillé qui m’offrait de nombreux moments de méditation sur la nature de la décrépitude et de la décadence.
Le premier trimestre 2010 n’a pas seulement été une période d’inconfort matériel mais aussi d’intense activité mentale. Mes avocats me rendaient visite de temps à autre pour discuter de l’appel que nous avions interjeté contre la peine qui m’avait été infligée au tribunal de la prison d’Insein l’année précédente [après qu’un Américain eut pénétré illégalement dans sa propriété, ce qui avait servi de prétexte aux autorités pour prolonger l’assignation à résidence du Prix Nobel]. Cette procédure judiciaire s’est révélée fascinante et j’ai beaucoup appris de mes avocats, très expérimentés et compétents. L’un d’eux, U Nyan Win, étant membre du Comité exécutif de la Ligue nationale pour la démocratie [parti historique de l’opposition], j’étais en mesure de me tenir au courant de ce qui se passait dans le monde politique et ai pu participer dans une certaine mesure au processus de prise de décisions du parti. Au cours de l’année, qui s’est avérée cruciale sur un plan politique [en raison notamment des premières élections en 20 ans le 7 novembre], ces défis intellectuels ont été beaucoup plus importants pour moi que les considérations de santé [à plusieurs reprises l’état de santé d’Aung San Suu Kyi a été alarmant].
A l’époque du Nouvel An birman, qui tombe à la mi-avril, le tribunal a décrété que les travaux de ma maison pouvaient reprendre. Du jour au lendemain, les ouvriers ont envahi les lieux, et ce qui était jusque-là une enceinte coupée des sons et des mouvements du monde extérieur, est devenu un espace empli de bruits et d’agitation. Il y avait beaucoup à faire. L’un des principaux chantiers était la réparation du toit. Pendant plusieurs années, j’avais passé les mois de la mousson à déplacer mon lit, des bols, des cuvettes et des seaux dans ma chambre comme autant de pièces d’une difficile partie d’échec, pour échapper aux fuites et empêcher le matelas (et moi-même, lorsque je me trouvais dessus) de prendre l’eau. Maintenant que le toit allait être colmaté, je pourrais attendre les prochaines pluies l’esprit serein. En birman, un toit en bon état inspire un sentiment de sécurité, l’impression que, si tout va bien au sommet de l’édifice, il en va de même pour le reste du bâtiment.
Les travaux allaient donc m’assurer un plus grand confort dans l’avenir, mais, plus important encore que ces considérations matérielles, ils me permettaient d’avoir des contacts humains. Chaque jour, pendant cinq mois, j’ai pu m’informer de la vie et des préoccupations de nos ouvriers, acquérir une meilleure compréhension des difficultés auxquelles la main-d’œuvre de notre pays est confrontée et me faire une idée plus claire de ses espoirs et aspirations. Autre conséquence du chantier, les discussions régulières avec les policiers de la Branche spéciale ainsi qu’avec d’autres membres des forces de l’ordre chargés d’assurer la sécurité des lieux. L’entrée d’hommes et de matériaux devait être négociée quasiment tous les jours et on s’est rendu compte de part et d’autre qu’en privilégiant le dialogue et en faisant preuve de souplesse, on pouvait venir à bout des obstacles. 2010 a été une année de changement pour ma maison, mais ce qu’elle a apporté à notre pays — le foyer de notre peuple — est un sujet beaucoup plus sérieux, que j’aborderai à une autre occasion.
Je voudrais clore cet article, le premier que j’ai écrit depuis ma libération, en exprimant tous mes remerciements au Mainichi Shimbun pour le soutien et l’amitié qu’il m’a apportés au cours des deux dernières décennies et en partageant avec ses lecteurs ce passage d’un poème que mon défunt mari appréciait tout particulièrement et que j’aime beaucoup moi-même pour sa sagesse éternelle.
Hier n’est qu’un rêve,
Demain n’est qu’une vision ;
Mais un aujourd’hui bien vécu
Fait de chaque hier un rêve de bonheur,
Et de chaque demain une vision d’espoir.
Fais donc grand cas d’aujourd’hui.
D’après “La salutation à l’aube”, inspiré d’un hymne védique.
source http://www.courrierinternational.com/article/2011/01/07/moi-aung-san-suu-kyi-detenue-sous-un-toit-qui-fuit
thanaka- Admin
- Localisation : il existe une application pour ça
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Date d'inscription : 31/05/2009
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