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Course aux cadavres à Bangkok

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Course aux cadavres à Bangkok Empty Course aux cadavres à Bangkok

Message  Admin Dim 14 Fév 2010 - 7:46

Des volontaires bouddhistes ramassent blessés et morts avec l’espoir d’améliorer leur karma. Une pratique qui fait l’objet d’une concurrence acharnée.

Dieu soit loué, c’est enfin vendredi ! se réjouit Dai. Après une longue journée de travail dans une banque internationale, cette jeune femme de 32 ans, toute menue et à la voix douce, se hâte aux portes du parc Lumpini, où des amis l’embarquent pour une nuit en ville. Elle ne sera pas de retour chez elle avant 5 heures du matin, et ce après avoir vu quatre accidents de voiture terrifiants et un suicide. Dai est une des volontaires de la fondation Por Tek Tung, le plus important service d’urgences de Bangkok. Créée par des immigrés chinois il y a plus de cent ans, la fondation offrait à l’origine des services funéraires aux plus pauvres, avant de se spécialiser dans les secours. On repère ses membres – presque tous bénévoles – à leur salopette bleue tandis qu’ils sillonnent la ville en groupes à la recherche d’accidents. Leurs tournées peuvent paraître morbides. Mais songez qu’à Bangkok un motard ou un automobiliste a été tué toutes les trente-six minutes l’an dernier. La capitale compte 5,5 millions de véhicules immatriculés ; les conducteurs circulent au mépris des limitations de vitesse et du code de la route, les motards sans casque zigzaguent avec insouciance sur les voies congestionnées. Le résultat est souvent mortel.

La fondation s’occupe aussi des meurtres, des crashs d’avions, des effondrements d’immeubles et des accidents de bateau. Quel que soit le drame, la tâche essentielle de Por Tek Tung est de “ramasser les corps” – de conduire à l’hôpital ceux qui vivent encore et les morts à la morgue. A son quartier général, situé derrière le temple Por Tek Tung de Chinatown, Noi, un vétéran, est l’un des trente-deux employés à plein temps. Il explique que la fondation, qui dépend entièrement des dons des particuliers, fournit ses services gratuitement. “Nous sommes bouddhistes et nous croyons que, si nous donnons de l’argent ou du temps pour aider les malades ou les morts, nous gagnerons des mérites spirituels.” Ses membres reçoivent du gouvernement une formation de 110 heures en secourisme. Les patrouilles ne comptent aucun médecin, ambulancier ou professionnel de santé ; leurs véhicules ne sont pas équipés en matériel de réanimation.

Noi dit avec un large sourire : “Nous arrivons sur le lieu des accidents plus vite que les ambulances !” Et c’est vrai. Ils foncent dans leurs pick-up Toyota spécialement aménagés. Mais la vitesse n’explique pas tout. Si les équipes de Por Tek Tung sont si efficaces, c’est aussi en raison de l’absence presque totale de services de secours d’urgence, d’une pénurie d’ambulances dans les hôpitaux privés et des légendaires embouteillages de Bangkok. Les centaines de volontaires patrouillent dans la ville nuit et jour, en attendant un ordre sur leur talkie-walkie ou en écoutant la radio de la police. En cas d’accident, il y a donc toujours quelqu’un prêt à intervenir à proximité. Les volontaires sont issus de tous les milieux professionnels. On trouve aussi bien des comptables, des ouvriers, des électriciens que des banquiers. La plupart d’entre eux misent ainsi sur une amélioration de leur karma en vue de leur prochaine réincarnation. Certains sont également motivés par la dimension sociale de cette œuvre. Et, comme pour toute activité en Thaïlande, il peut y avoir une part d’amusement, ou sanuk, même quand on dégage des corps coincés dans une carcasse. Au cours d’une intervention, on observe toujours quelques bénévoles à l’écart échanger des plaisanteries. “Si je n’étais pas volontaire, je serais en train de faire les boutiques avec mes amies, confie Dai. Por Tek Tung, c’est un bon moyen de rencontrer des gens. Mais je suis heureuse de savoir que je fais quelque chose pour aider ceux qui en ont besoin.”

Les bons Samaritains vont néanmoins parfois trop loin. Pendant des années, une guerre de territoire a fait rage entre Por Tek Tung et Ruamkatanyoo, une unité concurrente. L’enjeu ? Pouvoir impressionner avec ses états de service. Car celui qui récupère le plus grand nombre de corps possède un avantage décisif dans la course aux fonds : leur vie future étant dans la balance, les donateurs tiennent généralement à en avoir pour leur argent. Résultat : il arrive que des équipes rivales se retrouvent autour d’une épave encore fumante et en viennent aux mains pour déterminer qui aura le droit d’emporter les restes. Les deux organisations ont fini par se partager Bangkok, sans réussir toutefois à mettre définitivement fin aux incidents. Rien ne garantit que plusieurs groupes ne puissent se rendre sur les lieux d’un même accident. En mars 2007, les secouristes d’un hôpital étaient en train de raccorder un blessé à un respirateur artificiel lorsque des volontaires de Por Tek Tung, arrivés sur place après coup, ont décidé d’escorter l’accidenté. Une bagarre a éclaté et un employé de l’hôpital s’est fait tabasser.

La pire des craintes : croiser un fantôme

La victime a fini par être transportée dans l’ambulance, mais trop tard. Elle est décédée pendant le trajet vers l’hôpital. Ce genre d’incident suscite un malaise croissant vis-à-vis de la brigade des bienfaiteurs. Por Tek Tung exerce une fonction vitale pour la ville, mais beaucoup lui reprochent de profiter du malheur des autres. La fondation est constamment accusée de vol (les corps arrivent souvent à la morgue sans chaussures, portefeuille, montre ou bijoux). Des rançons auraient même été exigées contre la restitution de certains corps. Au bout du compte, on en sait peu sur le véritable fonctionnement de Por Tek Tung, la fondation n’étant pas soumise à un règlement clair et manquant de transparence. Les volontaires eux-mêmes semblent parfois naviguer à vue. Si plusieurs équipes arrivent en même temps sur un accident, elles peinent parfois à déterminer qui doit donner les ordres et qui doit les exécuter. Dans une situation où chaque seconde compte, cette confusion peut avoir des conséquences fatales. Reste que, quand on voit les bénévoles regagner le quartier général de Por Tek Tung après avoir soigneusement nettoyé le lieu d’une collision entre deux policiers ivres, on a du mal à concevoir que leurs faux pas soient tant décriés.

L’équipe de cette nuit se détend maintenant en regardant une série télévisée populaire sur un fantôme. Les Thaïlandais redoutent ces créatures. Certains membres du groupe – qui croient que les corps qu’ils transportent hantent leurs camions – plaisantent avec nervosité à propos des rencontres surnaturelles qu’ils ont faites au cours de leurs missions. Noi n’a pas encore eu cette déveine. “Je crois aux fantômes et j’en ai peur, admet-il. Mais ce qui m’effraie le plus, c’est que quelqu’un puisse être blessé dans un accident et qu’il n’y ait personne pour lui porter secours.”

source www.courrierinternational.com
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