Philippines - Quand les bidonvilles brûlent
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Philippines - Quand les bidonvilles brûlent
Dans les bidonvilles des grandes villes philippines, les incendies sont monnaie courante. Au point qu’il est impossible de ne pas s’interroger sur leur origine: accidentelle ou criminelle?
"Ils disent que le feu est parti à cause d’une femme qui était en train de cuisiner, qui n’a pas fait attention et…" Jonalyne sinue entre les bris de verre et les morceaux de planches calcinées où l’on distingue encore l’empreinte d’ustensiles de cuisine en plastique fondu. Jonalyne est travailleuse sociale. Quand on l’a prévenue que le bidonville de Makro, à Cebu, avait brûlé, elle n’a pas été plus surprise que cela. "Ce genre d’accident est assez fréquent, ici", lâche-t-elle dépitée. Cet "ici" qui désigne Makro signifie que l’endroit est particulièrement vulnérable aux incendies, et beaucoup d’observateurs locaux avancent l’idée qu’en ville, certaines zones le seraient plus que d’autres.
"Pourquoi, se demande par exemple Jonalyne, les personnes qui squattent non loin du cimetière, à Caretta, ou dans le quartier de V. Rama, n’ont-elles jamais été inquiétées par des départs de feu?" On s’aperçoit bien souvent a posteriori que ces zones vulnérables font en réalité l’objet de convoitises diverses. Des promoteurs souhaitent y construire des centres commerciaux – les fameux shoping malls dont les Philippins raffolent – ou des centres d’affaires.
"La plupart du temps, on ne connaît pas les circonstances des départs de feu, explique encore Jonalyne. Mais l’on raconte des histoires sans queue ni tête, dont le but est de faire admettre à tout le monde une certaine version des faits. En réalité, les enfants en bas âge qui jouent autour du feu, les étincelles tombées du ciel ou les batteries de téléphone portable qui se mettent à exploser ont bon dos."
Comment expliquer en effet que les pompiers n’arrivent jamais à temps pour sauver des flammes les habitations de fortune des squatters? Certes il leur est toujours extrêmement difficile d’intervenir dans les bidonvilles. Le feu s’y propage à des vitesses élevées et devient vite incontrôlable. Bois, tôles, bâches, tout flambe vite.
"Oui, bien sûr, opine Jonalyne, mais il n’empêche que malgré les alertes de niveau 3, les pompiers arrivent toujours trop tard." De fait, ils n’interviennent généralement sur les lieux qu’au moment où le feu commence à menacer les constructions environnantes: bâtiments publics, entreprises, usines…
"Pourquoi le mur n’a rien?"
Lyndon, 30 ans, tend une bâche là où s’élevait encore hier le gourbi dans lequel il vivait avec ses trois enfants et sa femme Mirasol. Le mur qu’il montre au loin s’élève à plus de quinze mètres au-dessus du sol. C’est le mur d’enceinte d’une usine Coca-Cola, qui marque l’une des limites de Makro et dont beaucoup de squatters se servaient pour y appuyer leur maison. À part quelques traces évanescentes de suie, il est indemne.
"Pourquoi le mur n’a rien?", demande Lyndon en se fendant d’un grand sourire. "À votre avis?" Pourquoi, en effet, le feu ne s’est-il pas propagé jusque-là? Face à ces interrogations, difficile de ne pas conclure que certaines personnes ont intérêt à voir brûler les bidonvilles. Les entreprises intéressées par les terrains occupés illégalement, mais aussi le gouvernement ou les autorités locales, qu’une loi empêche de faire expulser des squatters sans leur proposer de solution de relogement. Et pourquoi pas même les vendeurs de matières premières, bois, tôles et bâches en plastique.
Car pour les familles des bidonvilles, il est rarement question de relogement. Il faut reconstruire sur place, avec les moyens du bord. "Pour la plupart des familles, cela représente un endettement qui vient s’ajouter à des dettes déjà préoccupantes", déplore Jonalyne avant d’ajouter: "Ces événements toujours très médiatisés provoquent naturellement des réactions immédiates de la part des acteurs sociaux. Mais l’aide apportée dure rarement plus que le temps nécessaire aux équipes de télévision pour faire le plein d’images dramatiques."
Cet article est paru dans le numéro 164 d'’Enfants du Mékong Magazine
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