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En Birmanie, le changement se prépare en catimini

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Message  Admin Mer 7 Sep 2011 - 6:52

Dans une salle de classe ou auprès de villageois, une nouvelle génération de militants travaille à la transition démocratique. En toute discrétion.


Note :Pour des raisons de sécurité, l’auteur de cet article préfère rester anonyme

Je gravis les dernières marches de l’escalier miteux de cet immeuble du township de Tamwe, un bâtiment semblable à tant d’autres à Rangoon. Une quarantaine de paires de sandales usées – qu’on appelle ici des slippers – sont éparpillées devant l’entrée du Bayda Institute. Autant d’adultes sont assis dans la petite salle, attendant patiemment et applaudissant lorsqu’un jeune homme ou une jeune femme s’avance pour recevoir son diplôme. Le maître de cérémonie appelle les élèves, en citant invariablement l’organisation dont ils sont issus : Human Action Group, Mingalar Foundation, Kachin Women’s Action Group, etc. “Pour une société avertie” : tel est le slogan de l’institut. Son emblème, une photo de l’opposante Aung San Suu Kyi, est accroché au mur. Quelqu’un sort alors une guitare et tous entonnent l’hymne des droits civiques, We Shall Overcome [“Nous triompherons”]. Le moment est émouvant : il y a quelques heures à peine, U Thein Sein, du Parti de la solidarité et du développement de l’Union (USDP), proche de l’armée, est devenu le premier président civil du pays à l’issue d’élections vivement critiquées [organisées en novembre 2010, il s’agissait des premières élections depuis vingt ans ; U Thein Sein a prêté serment le 31 mars].Ce retour à la démocratie, qualifié de supercherie par beaucoup en Occident, a de fait été orchestré minutieusement pour permettre à l’armée de conserver la plus grande partie du pouvoir, officiellement transféré aux nouvelles institutions “démocratiques”. La transition politique suit cependant son chemin, sur fond de changements certes subtils mais pas anodins. Le régime militaire, réputé pour sa nature oppressive, a tacitement laissé se développer une société civile indépendante et de plus en plus dynamique. En première ligne, de petites organisations humanitaires, généralement animées par des volontaires dont un grand nombre commence à nouer des contacts avec des bailleurs de fonds étrangers enclins à soutenir ceux qui agissent en marge de l’appareil gouvernemental.

Les condamnations internationales, les visas refusés [aux caciques du régime] par les consulats étrangers, une aide humanitaire octroyée au compte-gouttes et les sanctions économiques n’ont fait que renforcer la détermination des militaires – au pouvoir depuis 1962 – à conduire des changements politiques selon leurs propres termes. Ce qui pourrait donner à penser que la population birmane est incapable de devenir un moteur de changement. Mais le Myanmar [nom officiel de la Birmanie] n’est pas la Corée du Nord et ouvrir des espaces indépendants du gouvernement s’avère possible. “De l’extérieur, on pourrait croire qu’il est impossible de faire quoi que ce soit sans l’aide de l’Etat”, m’a confié récemment le fondateur d’une petite école privée à Rangoon. “Mais ce n’est plus le cas maintenant.” L’idée communément admise est que l’unique moyen de protestation digne de ce nom est la confrontation directe, généralement sous forme de manifestations de rues, à l’instar de celles de septembre 2007 [ou “révolution de safran”], au cours desquelles la junte aurait tué une centaine de personnes. Mais si ce raisonnement a pu être fondé par le passé, il ne l’est certainement plus aujourd’hui. La répression a convaincu une cohorte de militants de la nécessité d’adopter une approche différente pour faire changer les choses.

Le Bayda Institute a ouvert ses portes à la fin de l’année dernière avec pour ambition de prodiguer aux jeunes des connaissances politiques et historiques. Son fondateur, Myo Yan Naung Thein, 37 ans et passionné de politique, déborde d’enthousiasme. Comme la plupart de ses pairs, il a longuement fréquenté les geôles du régime. Condamné à sept ans de prison pour avoir mené un mouvement de contestation étudiante au milieu des années 1990, il a par la suite passé deux années supplémentaires derrière les barreaux après le soulèvement de 2007. C’est après sa libération, en septembre 2009, qu’il dit avoir été frappé par un changement culturel et comportemental. “A ma grande surprise, j’ai découvert qu’un grand nombre de CSO [acronyme anglais pour ‘organisations de la société civile’] opéraient dans le pays”, raconte ce militant fort élégant, dont la voix résonne contre les murs nus du Bayda Institute. “On pouvait parler ouvertement de politique, de mobilisation communautaire, d’éducation civique – des sujets qu’il était inimaginable d’aborder deux ans plus tôt.”

Nargis : un moment charnière

Savoir comment et pourquoi ces changements se sont produits – et même s’ils ont vraiment eu lieu – fait l’objet d’un débat passionné. Le cyclone Nargis, qui a frappé le Myanmar en mai 2008, est souvent présenté comme un moment charnière : l’Etat tardant à secourir les sinistrés du delta de l’Irrawaddy et à autoriser les humanitaires étrangers à intervenir, des milliers d’anonymes ont retroussé leurs manches et se sont réunis pour lever des fonds et distribuer de l’aide. Le cyclone, qui a tué plus de 138 000 personnes, a favorisé l’interaction entre les organisations locales et les acteurs de l’aide humanitaire : les plus grandes organisations ont bénéficié directement du soutien international tandis qu’une myriade de structures plus modestes ont aidé les ONG internationales à distribuer les produits de première nécessité. Une partie des aides d’urgence, s’élevant à des centaines de millions de dollars, a été allouée à des programmes mis sur pied par des ONG locales. Trois ans plus tard, les programmes d’aide aux sinistrés de Nargis sont arrivés à leur terme ou ont commencé à s’essouffler. Beaucoup ont alors décidé de répondre à d’autres besoins grâce notamment à des programmes locaux de santé et d’éducation.

Lorsque Nargis s’est abattu sur le Myanmar, le pays se préparait à un référendum visant à entériner une nouvelle Constitution. La consultation, fortement décriée à l’époque, a malgré tout ouvert un nouvel espace politique. Des généraux haut placés ont rendu leur uniforme pour entrer au nouveau Parlement et des politiciens jusque-là inactifs ont fait leur retour sur le devant de la scène. Des millions de personnes se sont rendues aux urnes pour la première fois et les débats politiques, pratiquement interdits durant deux décennies, ont refait surface dans les tea shops, les marchés et sur les lieux de travail. Si le Parti de la solidarité et du développement pour l’Union l’a emporté avec une écrasante majorité, les partis politiques représentant les minorités ethniques ont réalisé de bons scores et certains candidats de l’opposition ont même été élus.

Le fondateur du Bayda Institute, Myo Yan Naung Thein, est certes loin d’être satisfait par le processus de transition dicté par l’ancienne junte. Mais cela ne l’empêche pas d’y déceler des ouvertures encourageantes. A long terme, son institut entend former des candidats pour prendre part aux élections de 2015 et 2020. “Nous avons désormais une certaine forme de démocratie, reposant sur quelques institutions, mais nous devons la transformer en une véritable démocratie participative.” Le Bayda Institute a, en réalité, emboîté le pas de son aîné, le Myanmar Egress, un centre éducatif de Rangoon fondé en 2006 par une poignée d’entrepreneurs et d’universitaires. Le Myanmar Egress dispense des formations en entrepreneuriat social, communication de masse et mise en place de structures étatiques, ainsi que des cours de sciences politiques – suivis entre autres par des candidats appartenant à divers partis de l’opposition. En raison de l’accent mis sur la politique dans ses enseignements, l’Egress n’est reconnu ni par l’Etat militaire ni par les militants en exil.

A l’instar de Nay Win Maung, le créateur d’Egress, les fondateurs d’organisations locales – qui sont généralement peu voire pas du tout soutenues par des donateurs – ont profité d’une façon ou d’une autre de l’ouverture de l’économie birmane, dans les années 1990, après plusieurs décennies d’expériences socialistes désastreuses. L’émergence d’une société civile n’aurait en effet pas été possible sans un certain degré de libéralisation économique. Si une bonne partie des nouvelles richesses sont restées entre les mains des potentats du régime, de leurs familles et de leurs amis, elles ont néanmoins contribué à la naissance de ce qui s’apparente aujourd’hui à une classe moyenne. Concentrée dans les zones urbaines, elle a une conscience aiguë des dysfonctionnements du régime militaire et souhaite passer à l’action pour corriger cette situation. Fait on ne peut plus important, ces Birmans ont désormais accès à des moyens de communication – téléphone portable et Internet – inaccessibles il y a à peine dix ans.

La traque se poursuit


L’éveil d’une société civile n’a pas manqué de retenir l’attention de bailleurs de fonds étrangers et d’analystes à la recherche de solutions contre l’immobilisme politique du pays. “Une société civile forte, c’est ce que nous devons rechercher et encourager en Birmanie”, écrivait en juillet 2008 un diplomate de l’ambassade des Etats-Unis à Rangoon dans un télégramme diffusé par WikiLeaks. “Une transition démocratique aura ainsi plus de chances de réussir.” Plus récemment, lorsque le gouvernement britannique a annoncé qu’il comptait lui aussi augmenter substantiellement son aide au Myanmar au cours des quatre prochaines années, priorité a été donnée à la société civile. Selon Paul Wittingham, à la tête, à Rangoon, du Département du développement international britannique, quelque 46 millions de livres [53 millions d’euros] par an seront “alloués directement à la société civile”, ce qui permettrait alors de “poser les fondements d’une société plus démocratique”.

Cette approche admet en creux qu’un changement immédiat – sous la forme d’un renversement du régime – est très peu probable. Bâtir une société civile indépendante en s’appuyant sur les rouages politiques déjà existants semble être une voie plus judicieuse pour instaurer des changements sur la durée.

De retour au Bayda Institute, on comprend cependant que la bataille est encore loin d’être gagnée. Peu de temps après la cérémonie de remise de diplômes, des fonctionnaires ont sommé la propriétaire de l’appartement loué par l’institut de résilier le bail. “Elle est venue nous voir en pleurs, raconte Myo Yan Naung Thein. Elle ne voulait pas nous obliger à partir mais elle sentait qu’elle n’avait pas vraiment le choix. Ils lui ont dit que nous menions des activités politiques et qu’elle risquait d’avoir des problèmes si nous restions.” Il aurait été facile pour les membres de l’institut de tout laisser tomber, mais ils n’ont pas baissé les bras et ont fini par dénicher un nouveau local dans le township de Sanchaung. J’ai récemment revu Myo Yan Naung Thein. Le Bayda Institute vient de déménager pour la troisième fois en trois mois et se trouve à présent dans un quartier verdoyant du township de Thingangyun. En dépit de ses démêlés avec les autorités, l’infatigable militant veut croire à la possibilité de se frayer un chemin dans la “situation politique extrêmement compliquée” du pays et de contribuer à la construction d’une société plus instruite et plus engagée politiquement. “Ils nous observent, c’est évident. Mon arrestation ou non dépendra de mes actes. Il est important qu’ils ne se sentent pas menacés”, explique-t-il, avant d’ajouter : “J’ai cessé de croire que la confrontation nous conduirait à la victoire. Nous devons arrêter de nous focaliser sur les gens les plus haut placés [de l’armée] et plutôt nous demander ce que nous pouvons faire pour changer notre société.”

http://www.courrierinternational.com/article/2011/09/01/en-birmanie-le-changement-se-prepare-en-catimini
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