Birmanie - Petits arrangements avec la loi
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Birmanie - Petits arrangements avec la loi
Prendre part aux élections, au risque de cautionner un simulacre de démocratie, ou disparaître. En imposant ce dilemme à l’opposition, la junte est en passe de remporter un long bras de fer, en toute légalité.
Le Myanmar est aujourd'hui l'une des dictatures les plus dures au monde gouvernée par une junte de généraux.
S ’il est une chose qu’ont en commun tous les régimes autoritaires, c’est bien leur désir d’éliminer la dissidence, quelle qu’elle soit. Le Conseil d’Etat pour la paix et le développement (SPDC) birman ne fait pas exception. La junte ne manquant ni de volonté ni de moyens pour écraser l’opposition organisée dans les villes – dont la Ligue nationale pour la démocratie (LND), la formation la plus populaire –, il est étrange qu’elle ne s’en soit pas simplement contentée. Le régime pèse sans aucun doute le pour et le contre de ses actions à l’aune des réactions possibles. Mais la réponse la plus pertinente tient davantage à la nature du bras de fer engagé entre les deux parties. Tout le monde sait que, face à un danger précis et immédiat, à l’instar d’un soulèvement populaire, les généraux font tout pour faire taire les contestataires. Mais la LND présidée par Aung San Suu Kyi constitue un cas particulier. La guerre d’usure qui se poursuit entre la LND et le SPDC est avant tout de nature légale. Entité légitime qui aspire au pouvoir par les urnes, la LND n’a jamais dévié de la ligne qu’elle avait adoptée. Et, si elle entend combattre son adversaire dans le cadre de la loi, le SPDC n’est pas en reste. Ce qui explique pourquoi la direction du parti d’opposition a opté pour la stratégie controversée de rester à l’écart de la “révolution safran” [d’après la couleur des robes des bonzes qui, en septembre 2007, ont conduit un mouvement de contestation brutalement réprimé]. On comprend également pourquoi la junte n’a pas interdit la LND, alors qu’elle l’accusait régulièrement d’être étroitement liée à des organisations politiques “ennemies”.
Depuis que la LND a quitté en 1993 le processus de rédaction de la Constitution qui s’effectuait sous la houlette de la Convention nationale, rien n’indique que le régime souhaite son retour. De fait, il a perdu patience et s’ingénie à pousser la formation d’Aung San Suu Kyi hors des limites de la légalité. Mais, experte en guerre d’usure, la junte juge plus opportun de venir à bout de son adversaire en respectant les formes juridiques. Elle s’est d’abord échinée à rendre la vie impossible aux membres de la LND. Au cours des vingt dernières années, on a de nombreux témoignages d’une répression ciblée minutieuse et de mesures d’intimidation à l’encontre de militants de base ainsi que de leurs familles aux quatre coins du pays. Dans l’impossibilité de gagner leur vie tant qu’ils restaient associés au parti d’opposition, certains ont fini par le quitter. Puis vinrent l’humiliation publique et la dénonciation des dirigeants de la LND par l’organisation de masse du SPDC, l’Union pour le développement et la solidarité (USDA). A une série d’initiatives dans ce sens vers la fin des années 1990 a succédé la fermeture forcée des bureaux de la LND dans les provinces, de manière à priver l’état-major du parti à Rangoon de tout soutien local [300 bureaux, fermés en 2003 après l’attaque d’un convoi dans lequel se trouvait Aung San Suu Kyi, ont été autorisés à rouvrir après la promulgation des lois électorales, le 8 mars]. Au bout du compte, il est intéressant de relever que, dans toutes les actions qu’il entreprenait à l’encontre de la LND ou d’autres organisations d’opposition, le régime a toujours tenu à invoquer une raison légale pour justifier ses décisions.
Plus récemment, deux hauts dirigeants du parti, Win Tin et Tin Oo, ont été libérés, respectivement en septembre 2008 et en février 2010, alors que Mme Suu Kyi était maintenue en résidence surveillée. Une décision soigneusement calculée, destinée à semer la division au sein de la direction de la LND. A ce jour, les membres restants sont aguerris et éprouvés. Peu nombreux, ils sont les éléments les plus admirables. Parmi les formations qui s’apprêtent à participer au jeu électoral, rares sont celles à pouvoir rivaliser avec la LND en termes de sens du sacrifice et d’intégrité politique. Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que ce parti ne figure pas dans les projets d’avenir de la junte. Mais le régime birman, qui se place au-dessus de la loi, est paradoxalement obsédé par la légalité. La loi électorale lui offre maintenant un prétexte pour interdire la LND ou en exclure Mme Suu Kyi. La balle est désormais dans le camp de l’opposition. Le parti dispose de moins de soixante jours pour réfléchir à son avenir [il annoncera le 29 mars s’il prend part ou non aux élections]. Quelle que soit sa décision, le bras de fer avec le pouvoir ne sera plus de même nature. La donne s’en trouvera changée, de même que les différents protagonistes.
source Ko Ko Thett - The Irrawaddy www.courrierinternational.com
Note : Ko Ko Thett est un politologue birman installé à Helsinki.
Le Myanmar est aujourd'hui l'une des dictatures les plus dures au monde gouvernée par une junte de généraux.
S ’il est une chose qu’ont en commun tous les régimes autoritaires, c’est bien leur désir d’éliminer la dissidence, quelle qu’elle soit. Le Conseil d’Etat pour la paix et le développement (SPDC) birman ne fait pas exception. La junte ne manquant ni de volonté ni de moyens pour écraser l’opposition organisée dans les villes – dont la Ligue nationale pour la démocratie (LND), la formation la plus populaire –, il est étrange qu’elle ne s’en soit pas simplement contentée. Le régime pèse sans aucun doute le pour et le contre de ses actions à l’aune des réactions possibles. Mais la réponse la plus pertinente tient davantage à la nature du bras de fer engagé entre les deux parties. Tout le monde sait que, face à un danger précis et immédiat, à l’instar d’un soulèvement populaire, les généraux font tout pour faire taire les contestataires. Mais la LND présidée par Aung San Suu Kyi constitue un cas particulier. La guerre d’usure qui se poursuit entre la LND et le SPDC est avant tout de nature légale. Entité légitime qui aspire au pouvoir par les urnes, la LND n’a jamais dévié de la ligne qu’elle avait adoptée. Et, si elle entend combattre son adversaire dans le cadre de la loi, le SPDC n’est pas en reste. Ce qui explique pourquoi la direction du parti d’opposition a opté pour la stratégie controversée de rester à l’écart de la “révolution safran” [d’après la couleur des robes des bonzes qui, en septembre 2007, ont conduit un mouvement de contestation brutalement réprimé]. On comprend également pourquoi la junte n’a pas interdit la LND, alors qu’elle l’accusait régulièrement d’être étroitement liée à des organisations politiques “ennemies”.
Depuis que la LND a quitté en 1993 le processus de rédaction de la Constitution qui s’effectuait sous la houlette de la Convention nationale, rien n’indique que le régime souhaite son retour. De fait, il a perdu patience et s’ingénie à pousser la formation d’Aung San Suu Kyi hors des limites de la légalité. Mais, experte en guerre d’usure, la junte juge plus opportun de venir à bout de son adversaire en respectant les formes juridiques. Elle s’est d’abord échinée à rendre la vie impossible aux membres de la LND. Au cours des vingt dernières années, on a de nombreux témoignages d’une répression ciblée minutieuse et de mesures d’intimidation à l’encontre de militants de base ainsi que de leurs familles aux quatre coins du pays. Dans l’impossibilité de gagner leur vie tant qu’ils restaient associés au parti d’opposition, certains ont fini par le quitter. Puis vinrent l’humiliation publique et la dénonciation des dirigeants de la LND par l’organisation de masse du SPDC, l’Union pour le développement et la solidarité (USDA). A une série d’initiatives dans ce sens vers la fin des années 1990 a succédé la fermeture forcée des bureaux de la LND dans les provinces, de manière à priver l’état-major du parti à Rangoon de tout soutien local [300 bureaux, fermés en 2003 après l’attaque d’un convoi dans lequel se trouvait Aung San Suu Kyi, ont été autorisés à rouvrir après la promulgation des lois électorales, le 8 mars]. Au bout du compte, il est intéressant de relever que, dans toutes les actions qu’il entreprenait à l’encontre de la LND ou d’autres organisations d’opposition, le régime a toujours tenu à invoquer une raison légale pour justifier ses décisions.
Plus récemment, deux hauts dirigeants du parti, Win Tin et Tin Oo, ont été libérés, respectivement en septembre 2008 et en février 2010, alors que Mme Suu Kyi était maintenue en résidence surveillée. Une décision soigneusement calculée, destinée à semer la division au sein de la direction de la LND. A ce jour, les membres restants sont aguerris et éprouvés. Peu nombreux, ils sont les éléments les plus admirables. Parmi les formations qui s’apprêtent à participer au jeu électoral, rares sont celles à pouvoir rivaliser avec la LND en termes de sens du sacrifice et d’intégrité politique. Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que ce parti ne figure pas dans les projets d’avenir de la junte. Mais le régime birman, qui se place au-dessus de la loi, est paradoxalement obsédé par la légalité. La loi électorale lui offre maintenant un prétexte pour interdire la LND ou en exclure Mme Suu Kyi. La balle est désormais dans le camp de l’opposition. Le parti dispose de moins de soixante jours pour réfléchir à son avenir [il annoncera le 29 mars s’il prend part ou non aux élections]. Quelle que soit sa décision, le bras de fer avec le pouvoir ne sera plus de même nature. La donne s’en trouvera changée, de même que les différents protagonistes.
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Note : Ko Ko Thett est un politologue birman installé à Helsinki.
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Date d'inscription : 31/05/2009
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