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Visa run : si seulement on pouvait rester roupiller et baver sur les oreillers

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Visa run : si seulement on pouvait rester roupiller et baver sur les oreillers Empty Visa run : si seulement on pouvait rester roupiller et baver sur les oreillers

Message  Admin Jeu 15 Juil 2010 - 7:39


Ok, la Thaïlande, c’est beau, les gens sourient, la température est magnifique… Mais faut pas oublier quelque chose les cocos. Lorsqu’on a un visa touristique ou étudiant, pas le choix, faut sortir du pays, tous les trois mois dans le dernier cas. Hong Kong pour les rupins avec Air Asia, Poi Pet à la frontière cambodgienne pour les Radins-Malins. Le genre de périple, long, chiant, inutile, à 2000 bahts, dont notre agenda pourrait aisément se passer.


Déjà, le réveil. 4 heures du mat. La tête dans le guidon ou dans le gaz, c’est au choix. Les yeux vaseux, à fixer le mur. Rien. Pendant près de trois minutes. Comme dans l’attente du messie. Pas de bol, il est remplacé par le déluge d’une mousson de juin qui tombe du ciel. Péniblement, on enfile le falzar, croque quelques bouchées de ramboutan et de farang (c’est fou comme la goyave porte un nom charmant en thaï !), et avanti.

Taxi pour Sukhumvit, près de la station du skytrain BTS Asoke, où la compagnie Jack Total Golf International Co. Ltd offre des petites balades vers Aranyaprathet (Poi Pet en cambodgien) en échange de deux billets de mille, un pour le trajet, l’autre pour le visa d’une journée en terres cambodgiennes, le temps de faire son petit tour de passe-passe administrative. Bien sûr, avec Dame Nature qui chiale comme une veuve méditerranéenne éplorée, difficile de trouver le checkpoint. Ah ! Un farang qui marche ! Un indice qui sonne bien. Mieux encore. Il y en a plein. Ça sent bon. La compagnie ne doit pas être bien loin Reste plus qu’à filer dans leur direction, près d’une gargote ambulante, abritée de la pluie, à 50 mètres en face du Sheraton Grande. Un pas, deux pas, trois pas… et quelle déception ! Une brochette de bedaines visqueuses, avec à leurs bras des tites thaïes, jupes si courtes qu’elles arrivent presque au nombril, et toujours aussi rapides pour dégainer « Hey you, c’mon, heuve funne with ush ! ». Le genre d’invitation qui se termine par « Pay muney, pay muney !!! ». « Sorry », Bibi n’a pas le temps. Il veut juste un tampon sur le passeport. Et basta !


La recherche continue. Il parait que la compagnie se trouve près d’un 7-eleven, au coin du fameux restaurant Cabbages & Condoms, fondé par Mechai Viravaidya et connu pour avoir lancé début 90 des campagnes de prévention contre le Sida en distribuant des préservatifs et en dispensant des soins pour les prostituées . Alors, on place le radar sur cet objectif. Pas facile avec les torrents qui mitraillent le sol. Plus loin, enfin, l’enseigne rouge et verte des dépanneurs 24/24, si célèbre pour bourgeonner partout dans le royaume, avec son bip de la porte d’entrée coulissante capable de rendre fou l’homme le plus équilibré de la terre. Personne. Mis à part un homme, détrempé, parapluie à la main. « Excuse me, do you know where I can find Jack Holt (toujours vérifier ses sources de peur de rester à quai car Jack Golf n’a rien à voir, et se prononce, bien sûr, différemment). » La statue « on the corner » a le regard qui s’extirpe de la mélasse de l’attente et de l’emmerdement. « Follow me ». Bonne nouvelle.

Une minute plus tard, une cage d’escalier, avec une dizaine de personnes signant des papelards. De loin, avec des lunettes en fond de bouteille, ou en étant bigleux, la scène ressemblerait presque à un rendez-vous entre dealer de ya ba et accrocs à ce poison de méthamphétamine qui gangrène l’Asie. Juste derrière, une charmante hôtesse, longs cheveux noirs qui tombent de son visage poupon jusqu’aux reins, aux côtés d’un jeune homme à la mâchoire prognathe style australopithèque. L’autre femme harponne sèchement. Pas de temps à perdre. « Passeport, photos ! ». Ça va, ça va, du calme Mistinguette. À 4h30 du mat, les réflexes se rapprochent plutôt d’un fossile de cent ans que d’un adolescent excité par ses premiers attouchements. Le service est minimal mais efficace. Rapide, pro, deux trois signatures du nom, l’adresse du domicile… En demandait-on plus ?

Sur place, une scène tout aussi banale qu’inédite. Qui prend des allures de recherches anthropologiques. Impossible de ne pas se poser les questions « D’où vient-il celui-là ? Et elle ? ». Le premier à répondre ne laisse aucune place au doute. C’est un Brit. Normal, avec un tatouage sur l’avant bras, grossier, moche, où les lettres gothiques « E-N-G-L-A-N-D » sont barbouillées, il ne vient certainement pas de Papouasie. Autour, beaucoup de quadras farangs, Philippins, Coréens et Singapouriens, un couple flirtant avec la soixantaine dont la femme ressemble à Charlotte Rampling, paupières tombantes, visage mûr pas encore plissé comme celui d’un Shar Pei, sans oublier la pelletée de Rosbeefs dont l’accent écorche encore plus les oreilles – parfois chaleureusement – qu’un mégaphone.

4h50. Le bus arrive. Vert, gros logo de la compagnie sur les flancs, deux étages. Parfait pour empaqueter les sardines à quelques jours, ou pour les retardataires et les étourdis, à quelques heures du statut de clandestino. Allez, ouste, en voiture. Ou dans le frigo devrait-on dire. À l’intérieur, l’« air con » comme on dit ici (prononcé à l’anglaise) n’a rien d’une clim traditionnelle. C’est un réacteur de fusée de la NASA. Un peu plus et la buée sort de la bouche. Les couvertures nounours, couleur « orange-vomi » ou « pastille bleue » pour les toilettes, ne sont distribuées que pour la forme. Ça caille. Solution : position fœtale, dôme tout autour du corps avec un tissu qui ne sent pas la Cajoline et la douceur du repassage de la Mama Saï. En ce qui concerne la suite du périple, on aimerait tant raconter des histoires épiques, d’une longueur digne des romans de Marcel Proust. Nothing, nada, niet. Tant pis. Il ne se passe rien. Donc fermeture des interrupteurs, et tentative d’embrasser Morphée. Qui ne viendra jamais : la suspension du bus semble aussi âgée que la Ford T.

Quatre heures plus tard, Poi Pet. Notre ami « australopithèquien » serine les consignes, en insistant sur l’une d’entre elles : « Don’t buy any drug here. Last week, two men were arrested ». « Faut être vraiment bourrin » pour venir acheter de la fumette, de la schnouff et des cachetons », rigole en anglais un passager. Comme dit Papy, « y a vraiment de tout et pour tous les goûts dans ce bas monde ». Dehors, le soleil, un air bien moins pollué que celui du monstre urbain de Krungthep Mahanakhon Amon Rattanakosin Mahadikok Phop Noppharat Ratchathani Burirom Udomratchaniwet Mahasathan Amon Piman Awatan Sathit Sakkathattiya Witsanukam Prasit (Bangkok a le Guinness World Records du nom de ville le plus long !).

En une seconde, et au fil des pas en direction du bureau de l’Immigration Center, la pauvreté du Cambodge se fait sentir. Homme transportant des charrettes de poubelles, enfants mendiants, routes de terre… l’image est si différente du futurisme de la capitale thaïe qui parvient à mieux masquer ses déshérités. Comme dans chaque pays, il y a toujours deux rangées : une pour les locaux, une autre pour les foreigners. Dans notre film « Visa runner », Harrison Ford ne pourrait pas se tromper. La file d’attente des farangs se termine à la porte d’entrée, à l’opposée de la « Thai passeport », composée de trois personnes.

Étape suivante, le contrôle des pièces d’identité. Certes, un douanier reste un douanier. Le sourire toujours aussi charmant et le ton jamais inquisiteur, bien sûr. Sauf qu’ici, on ne ressent pas la « 11 septembre paranoïa ». Pas de questions, deux trois vérifs dans l’ordi, et l’homme habillé en vert kaki aux lunettes de scientifique, tamponne. Alors du côté cambodgien, c’est encore plus fabuleux. On signe sur un bout de papier, au coin d’une table. Et pour l’adresse, quoi griffonner ? « Siem Reap (ville près d’Angkok) », lance le douanier en haussant les épaules.

Notre guide agrippe quelques-uns d’entre nous. Le bus attend, prêt à partir vers notre déjeuner. Quelques minutes de route pour arriver dans l’hôtel Tropicana. À manger, un buffet. D’abord thaï, riz, seafood, vermicelles, légumes, avec le mets indispensable qu’est le chili, tandis que pour les « Westerners » il y a des œufs, tites saucisses bas de gamme que l’on voit dans les cheap hot dogs ricains, avec des french toasts noyées dans le beurre. Parfait pour se faire un manteau de graisse digne des phoques du Grand Nord. Certains manquent de classe. Sachant le temps compté et ayant un trou cosmique dans le ventre, Usain Bolt sert de muse. Manger vite, beaucoup, en un temps record. Comme si c’était le seul moyen de rentabiliser une expérience synonyme de perte de temps et de « sousous dans la popoche ».

Autant le reste n’était que formalité, autant ce moment revêt un côté un chouïa glauque. Plein de visa runners, qui s’empiffrent, le regard perdu dans l’immense hall, où quelques serveuses en tenues bleues, cheveux lissés, le visage indifférent à cette mascarade des visa run (que peu de Thaïs arrivent eux-mêmes à en expliquer l’utilité). La fatigue des yeux plissant sous la lumière des néons et la pop thaïe de la radio émanant des enceintes renforcent un peu plus le côté artificiel de la scène.

Dans le sac, que de fatigue, pas de Lonely Planet pour Poi Pet. Seule envie : retrouver Bangkok ! Imaginez : même les crachées de fumée noire des tuk-tuks nous manquent. À la sortie, vingt minutes plus tard, des mini-bus de la compagnie attendent pour ramener les nouveaux farangs « en règle ». Sur le chemin du van, deux jeunes filles de moins de dix ans proposent à deux Amerlocks, parapluies multi-couleurs en main, de les protéger du soleil de plomb qui martèle sur les têtes.

Avant de partir, la guide redistribue les passeports aux six passagers du quadripède cubique blanc, conduit par un Thaï au visage rond, les joues gonflées comme celles des écureuils faisant des réserves avant l’hiver. « Mister Nu-Ziland, Misters U.S.A, Mister Koriya, Mister Frensse », lance la bienfaitrice, avant de bloquer quelques secondes sur le dernier passeport. « Madame… Madame Israel ». « That’s’ me » répond une dame de soixante-dix berges, lunettes de vue fumées lui donnant un look de mafiosa. Se révélant charmante, le professeur d’histoire de l’art de Haïfa parlera tout le voyage, en français, en anglais, en thaï... Si Duracell se cherchait une nouvelle effigie pour ses pubs Energizer, Esther est là pour prendre la relève.

Quatre heures plus tard, et une pause dans une station service pour s’alléger, retour au trafic chaotique de Bangkok – Si Dieu a crée l’Enfer il est là –. Au cadran, 14 heures. Le bitume est chaud, l’air toujours aussi humide, chargé à 70 %. Finalement, bien que l’on ne comprenne toujours pas l’utilité de cette démarche (vaut mieux parier sur les Bleus, ça revient au même, on perd toujours notre argent !), le visa run semble avoir servi à quelque chose : apprécier notre pieu ! Hummmm, dormir. Pour mieux oublier le prochain épisode qui viendra troubler nos nuits dans trois mois. Euh pardon, soixante lunes. À 500 bahts de pénalité par jour et le risque de se faire sucrer notre visa, on apprend les règles plus facilement.

Texte de Pierre Benedetti

Source http://www.mediapart.fr/club/blog/pierre-benedetti/140710/visa-run-si-seulement-pouvait-rester-roupiller-et-baver-sur-les-or
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