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Laos: riz contre hévéa

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Laos: riz contre hévéa Empty Laos: riz contre hévéa

Message  Admin Jeu 1 Sep 2011 - 6:22

Dans le sud du Laos, les paysans se trouvent contraints de vendre leurs terres à des sociétés vietnamiennes qui y pratiquent une hévéaculture intensive.

L’air désolé, Sounthone contemple l’alignement des troncs grêles des deux côtés de la piste de latérite, long serpentin sanguinolent qui tranche sur les feuillages verts. Depuis Paksé, la principale ville du sud du Laos, c’est le même décor à perte de vue. Un paysage que les habitants du district de Bah Tieng ont dû se résoudre à accepter comme le symbole d’un nouveau mode de vie, dicté par l’irruption des forêts d’hévéas.

Toile d’araignée

À 50 ans, Sounthone se souvient du temps où il pratiquait la culture du riz sur brûlis. Une pratique découragée par le gouvernement laotien pour ses conséquences néfastes sur la forêt et les sols, mais encore pratiquée par de nombreuses populations, surtout montagnardes. Son manque de rentabilité l’avait de toute façon décidé à l’abandonner pour d’autres cultures. "Ici je cultivais du café, et là de l’aréquier [un palmier dont on chique l’écorce]", dit-il en désignant les parcelles qui lui appartenaient il y a encore peu.

Pour lui comme pour les autres habitants du village d’Oudomsouk, tout a commencé en 2005, lorsque le gouvernement a attribué la concession de plusieurs dizaines de milliers d’hectares de terre à trois sociétés vietnamiennes. Charge à elles de négocier leur rachat aux propriétaires. À Oudomsouk, le procédé employé fait l’effet d’une toile d’araignée. Une par une, les parcelles ont été littéralement grignotées par les entrepreneurs au fur et à mesure du défrichage des cultures existantes et de la plantation des hévéas. Comme tous les villageois, Sounthone a dû se résoudre à vendre un par un ses huit hectares, désormais une part infime de cet immense empire.

Aujourd’hui, Oudomsouk ne possède plus que 5% de son ancienne surface cultivable. Seuls les terrains accidentés, trop difficiles à exploiter, n’ont pas trouvé preneur. De l’autre côté de la rivière qui traverse le village, tous les autres sont couverts de plants d’hévéas. En décidant de s’installer ici, les Vietnamiens savaient ce qu’ils faisaient: "Au sud de Paksé, la terre est trop sablonneuse. Ici elle est volcanique et riche, spécialement pour les hévéas et les arbres fruitiers", souligne Sounthone, une lueur de fierté dans le regard en évoquant sa richesse perdue.

"Négociation"

Pas perdue pour tous, si l’on en juge par la faiblesse du prix auquel la société la plus importante, qui a obtenu une concession de 10.000 hectares, a négocié l’achat des terres à Oudomsouk. Une négociation qui flirte avec la spoliation: 1,5 million de kips par hectare de café, 600.000 kips par hectare de bois et 175.000 kips en moyenne par hectare de rizière, soit respectivement 132, 52 et 15 euros… Pour parvenir rapidement à une exploitation intensive de l’hévéa, les entrepreneurs mettent les bouchées doubles. Tous les moyens sont bons, y compris l’appropriation hâtive de certaines parcelles. Sounthone secoue la tête: "les plus petites, qui n’avaient pas encore été vendues, ont été déboisées en cachette à l’occasion d’un défrichage plus important…"

Au chapitre des moyens de persuasion officiels, les perspectives de salaires mirobolants ont succédé aux dédommagements dérisoires. Appuyées par le gouvernement, les sociétés ont promis aux anciens propriétaires un travail d’ouvrier dans les forêts d’hévéas pour 1,5 million de kips par mois, soit 89 euros. Une espérance vite déçue. "Au début, il y avait beaucoup de travail, reprend Sounthone, car il fallait défricher. Mais maintenant, il n’y a plus grand-chose à faire et il faut attendre entre sept et dix ans pour pouvoir récolter le latex. Alors la paie est retombée à 200 ou 300.000 kips [soit 26 euros] au maximum."

Difficulté supplémentaire: seuls les hommes de 18 à 40 ans sont acceptés comme ouvriers. Lorsque l’entretien des plants demande de la main-d’œuvre, Sang, le fils de Sounthone, peut travailler comme journalier pour 25.000 kips par jour. Mais la situation est cruelle pour Sonexay, son père, qui, à 60 ans, se retrouve interdit de travail sur ses anciennes terres. Un emploi qui serait pourtant bienvenu pour gagner le complément nécessaire à acheter le riz qu’il ne peut plus produire. Cette année, le sac de 50 kilos est passé de 20.000 à 350.000 kips. Ketsana, un voisin, s’est endetté de 7 millions de kips pour faire vivre les siens.

Étrangers sur leurs propres terres

Sur le bord de la route, un groupe d’hommes marchent en rang d’oignon. "Des Vietnamiens", reconnaît Sounthone à leur conversation. Quelques mètres plus loin, un panneau rédigé dans la langue d’Ho Chi Minh signale les bureaux d’une des trois sociétés établies ici. Pour le Vietnam, pratiquer l’entrisme économique au Laos est un jeu d’enfant. Il peut s’appuyer sur un réseau de Vietnamiens installé là au temps du protectorat français. Négociants de père en fils, ils ont gardé avec leur pays d’origine des connections étroites qui facilitent rapprochements et échanges.

Mais c’est au gouvernement laotien que son grand frère de toujours doit surtout, comme la Chine au nord du pays, de pouvoir pratiquer l’hévéaculture intensive. La manne juteuse qu’il tire des concessions octroyées contraste avec les contreparties minimes dont bénéficie la population d’Oudomsouk. Sans parler de la dépendance alimentaire à laquelle l’abandon des cultures vivrières expose un peu plus le pays. Beleng, le voisin de Sounthone, parle de plans quinquennaux de développement de la région auxquels s’est engagée la partie vietnamienne. Parmi les mesures effectives, l’électrification de plusieurs villages de la région, dûment signalée par des panneaux vantant une "mise en œuvre de soutien" des sociétés exploitantes.

Pourtant, le discours de persuasion des autorités ne convainc plus personne ici: "on nous a dit que nos cultures ne servaient à rien, alors que l’hévéa aidera au développement de la région", se rappelle Sounthone sans y croire. Un manque de volonté politique qui ne passe plus dans un pays à l’agriculture archaïque et au développement économique balbutiant. "Avant, on n’avait pas beaucoup d’argent mais on pouvait vendre du café et récolter un peu de riz", conclut Sounthone avant de reprendre: "aujourd’hui, nous sommes devenus des étrangers sur nos propres terres."

Cet article est tiré du numéro 166 d'Enfants du Mékong Magazine
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