Thailande - Migrants birmans : enfants de seconde zone ?
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Thailande - Migrants birmans : enfants de seconde zone ?
On entend souvent fustiger, contre son manque de hauteur, l’école thaïlandaise. Mais que dire alors du sort réservé aux enfants migrants birmans ? Eternels exclus du système scolaire classique, par manque de légalité, ils n’ont pas accès aux mêmes chances que les autres élèves du pays. Chronique d’enfants sacrifiés sur l’autel d’une éducation au rabais.
Tout le monde se souvient sûrement de Thongdee, ce jeune Mong âgé de 12 ans naturalisé pour la gloire en septembre dernier. Ses talents d’avionneur en papier avaient alors poussé la Thaïlande à lui accorder une légalité provisoire, afin de représenter son tout nouveau pays lors d’un championnat au Japon. En un claquement de doigt, le gouvernement a fait ce que trois associations n’avaient pas réussi en dix ans. D’un coup d’un seul, le jeune Mong devenait assez intéressant pour être naturalisé le temps d’un voyage. Une délivrance de passeport à la gloire du royaume, scénarisée à outrance pour émouvoir les foules. On pleurait dans les chaumières, l’honneur était donc sauf. En tout cas pour cette fois.
Car ce que l’on a plus facilement tendance à oublier, en revanche, ce sont les 500 000 autres. Tous ceux qui, eux, n’ont pas eu la chance du jeune Thongdee. Et ne l’auront sûrement jamais. Des centaines de milliers d’enfants nés de parents birmans, ou issus de minorités ethniques sans aucun statut légal. En la matière, la loi est on ne peut plus claire. Selon les textes du code d’obtention de la nationalité, ils ne peuvent prétendre au statut de citoyen du pays. Même si ce dernier est celui qui les a vu naître. Donc, logiquement, le leur. Impossible également de retourner sur les lieux dont sont originaires leurs parents de façon légale. Bref, des enfants sans patrie, et donc sans droits…
Little Burma
10h du matin sur le marché de Mae Sot, dans la province de Tak. L’agitation y est la même qu’un peu partout ailleurs à cette heure. Oui, mais à un détail près. Les bouches autour des étals ne pipent pas un mot en thaïlandais. Ici, on parle birman, un point c’est tout. La ville de Mae Sot n’a donc pas volé son surnom de « little Burma ». Bien au contraire. Située à seulement 8 km de la frontière entre les deux pays, 80% de la population y est d’origine birmane. Et ils ne sont qu’une minuscule poignée à maîtriser la langue de leur pays d’adoption.
Sur les 200 000 birmans que compte la province, 130 000 sont des réfugiés. Installés dans l’un des neuf camps environnant la ville, ils ont interdiction formelle d’en sortir. Du moins officiellement. Quant aux 70 000 autres, ce sont ce que l’on appelle des « migrants illégaux ». Des hommes et des femmes qui, bien souvent, vivent et travaillent ici depuis plus de 20 ans. Donc, logiquement, y ont vu naître leurs progénitures. Des enfants qui, officiellement toujours, auraient le droit de bénéficier des mêmes conditions de scolarisation que n’importe quel autre enfant thaïlandais. Oui, mais.
Écoles de seconde zone
Entre la théorie et la pratique, il y a un gouffre. En Thaïlande, seuls 60 000 enfants dits « sans patrie » ont la chance de suivre un cursus dans une des écoles publiques ou privées du pays. Cent mille autre, en revanche, sont inscrits dans ce que l’on a coutume de nommer des « migrant schools ». Des écoles mises en place par les ONG pour combler les carences d’une société thaïlandaise peut préoccupée du sort éducatif de ces enfants de seconde zone. Mae Sot et ses environs comptent 64 de ces centres d’apprentissage. Onze mille enfants y sont scolarisés pour un total de 625 professeurs mobilisés. Sans doute la concentration la plus importante du pays. Tous ces centres n’ont bien sûr pas le même niveau d’équipement. Ni la même qualité d’enseignement. Pour la majorité d’entre eux, des cours avec de simples notions d’anglais et quelques bases de mathématiques. Un peu de géographie en plus pour d’autres, parfois de la physique et, que très rarement, quelques bribes de thaïlandais.
« Dans toutes les écoles, les cours sont donnés en birman », raconte François Couturier, jeune professeur volontaire à l’école One Dream One World. Le Français y enseigne trois heures quotidiennement à des enfants agés de 3 à 14 ans. « Mais je vous rassure, le niveau est assez homogène », ironise-t-il, comme pour dédramatiser la situation. Au programme ce matin dans cette bicoque à ciel ouvert, les couleurs primaires, et les chiffres de un à dix en anglais. En tout cas pour les plus jeunes. Installés à l’étage, les plus âgés planchent, eux, sur la différence entre « A » et « The ». Autant dire que l’on est ici à des années lumière des exigences des programmes des écoles thaïlandaises. « Oui, mais c’est toujours mieux que rien » souligne Carole Pépé, également volontaire aux côtés de François. Au départ, cette école n’était qu’un centre d’accueil de jour. Un lieu permettant de préserver les enfants des rues de la mendicité.
Des parcours scolaires sans contrôles
Car si 11 000 enfants mettent chaque jour les pieds à l’école, 20 000 autres passent encore leur journée, gobelet à la main, pour amasser un hypothétique butin. « On les ramassait le matin, les nourrissait, avant de les reconduire chez eux le soir venu », raconte Myat Thu, à l’origine de la fondation Aiya qui a mis en place cette école. Cet ancien professeur de physique de l’Institut de Technologie de Rangoun fut, jadis, l’un des piliers de la contestation étudiante birmane de 1988. Il a donc dû fuir le pays. Un aller simple pour Mae Sot, où il réside maintenant depuis 20 ans. « Je me suis dis que je ne servirais plus à grand chose si j’étais mort ou en prison. Alors je suis venu ici pour agir autrement. Je ne fais plus de politique mais agis localement, en tant qu’individu », raconte-t-il. Et, à ses yeux, rien de plus important pour l’avenir que d’offrir à ces enfants de vraies possibilités éducatives.
« Ce qu’a du mal à comprendre ce pays, c’est que l’avenir d’un climat apaisé dans la zone se joue d’abord et avant tout dans la cour des écoles », insiste Myat Thu. Alors, certes, le ministère de l’Education autorise l’action des ONG. Mais, ironie du sort, la condamne de concert. En septembre dernier, Chaiwuti Bannwat, vice-ministre de l’Education, déclarait qu’il n’était plus possible de laisser les ONG agir sans contrôle aucun. En cause, des standards d’apprentissage trop divergeants de ceux fixés par le ministère. Et, surtout, pas un mot de thaïlandais enseigné. Même s’il reconnaît les mérites des actions engagées, le gouvernement n’envisage pourtant pas d’y apposer son tampon. Donc pas question non plus d’y engager le moindre baht.
Des enseignants sans statut légal
Résultat ? Une éducation à deux vitesses, sans aucun cadre ni règle. Vide juridique le plus complet. « Soyons clairs, la majorité des profs n’ont aucun statut légal. Entrés en Thaïlande grâce à un visa touristique, ils exercent ici dans la plus complète illégalité », explique Atchareeya Saisin, journaliste spécialisée sur la question. C’est le cas de François et Carole, les deux jeunes Français volontaires de l’école One Dream One World. « Honnêtement, mis à part les profs employés par les plus grosses ONG, je ne connais personne ici qui soit en règle… », constate François. Et, comme lui, très peu ont une formation d’enseignant. « En général, ce sont des gens qui sont là car ils se sentent concernés par le sort de ces enfants, et souhaitent donner un peu de leur temps pour les aider », précise Atchareeva Saisin. Illégal également, Thay Hlaing, professeur de physique à l’école BHSOH, qui compte près de deux cents élèves. Réfugié politique à la suite de la révolution Safran d’octobre 2007, il enseigne sans y être autorisé. « Je n’ai pas de papiers donc, officiellement, je n’ai pas le droit de travailler. C’est un peu comme si je n’existais pas, finalement », dit-il d’un ton amer.
Pourtant, à l’inverse de beaucoup de ses confrères, ce travailleur de l’ombre est réellement professeur, un vrai. Avec des diplômes à ne plus savoir qu’en faire, tous obtenus côté birman, à la suite d’un long cursus universitaire. « Mais ici, tout ça ne vaut plus rien ! C’est comme si toutes ces années d’études n’avaient jamais existé », ajoute-t-il. Et si l’école BHSOH ne lui avait pas donné le pouvoir d’exercer, l’homme n’aurait sûrement jamais eu la chance de retourner à son métier d’origine. Quant à son salaire, il n’excède pas les 4950 bahts, entièrement financés par les ONGs. Soit deux fois moins qu’un professeur rémunéré par le ministère de l’Education. Mais malgré tout, Thay Hlaing se sait privilégié. Car l’école où il enseigne présente un semblant de programme scolaire, grâce à la présence de deux enseignants qualifiés. Mais bien peu nombreuses sont les écoles qui ont les moyens de s’offrir les service de vrais professeurs. Quant aux volontaires, ils sont généralement mangés à la sauce rémunération zéro. Sans parler des cahiers et autres ardoises financés de leur poche pour améliorer l’apprentissage de leurs élèves. « Du coup, beaucoup prennent leurs jambes à leur cou dès la première semaine », raconte François Couturier.
Le rêve universitaire
Autant de paramètres qui interdisent à ces enfants l’accès à un cursus scolaire digne de ce nom. Alors que dire de leur possibilité d’aller un jour à l’université ? Quasi nulle. Les plus chanceux d’entre eux sont stoppés dans leur course au grade 12. Les autres, pour la majorité, quittent les bancs de l’école bien avant. Pourtant, officiellement, la loi leur autorise l’accès aux universités du pays. Oui mais, pour cela, encore faudrait-il que les familles en aient les moyens. Pour s’inscrire à la faculté, il faut avoir obtenu le GED, passeport d’entrée rendu obligatoire par le gouvernement. Pour le passer, des papiers en règle sont exigés, ce dont peu peuvent se vanter. Pour l’obtenir, deux ans de formation. Coût total de l’opération : 400 dollars. Sans aucune garantie, bien sûr, d’empocher le précieux sésame. Car l’examen est complexe. Des questions d’anglais, de thaïlandais, de maths, et de physique chimie. Plus des notions en sciences économiques et sociales. Alors comment espérer réussir lorsque l’on traîne derrière soi des wagons de lacunes? « L’année dernière, sur les mille enfants qui ont eu la chance de le passer, seul 1% l’a obtenu », constate U Chang, également professeur de physique et migrant illégal
C’est donc pour tenter de changer un peu la donne que U Chang et six cents autres de ses confrères ont décidé de se réunir sous les couleurs d’une association. Créée en 2005, la Burmese Migrant Teacher Association a pour but de fédérer l’ensemble du corps enseignant des 64 écoles pour migrants. « C’est le seul moyen que nous ayons trouvé pour avoir un peu plus de poids », constate U Chang. On y discute stratégie commune, ouverture de nouvelles écoles et harmonisation des programmes. Mais on y organise aussi des rencontres avec des professeurs thaïlandais. Le but, à terme, étant d’organiser des échanges entre les deux types d’écoles. « Mais comme chaque école bénéficie de moyens très variés, ce n’est pas facile d’amorcer un enseignement équivalent partout », précise U Chang. Et il est bien peu probable que ce rêve devienne un jour réalité. Car le quotidien de beaucoup d’entre elles s’inscrit malheureusement dans le concept de la grande débrouille. C’est marabout et bouts de ficelle version salle de classe, quand il y en a une…
Face à cela, les ONGs qui financent ces établissements semblent bien impuissantes. Mais cela ne les empèche pas, elles aussi, de vouloir faire corps. Réunies sous l’égide d’un comité appelé CCSDPT (voire encadré), les ONG les plus importantes de la région y réfléchissent ensemble pour changer la donne. Le but ? Optimiser leurs actions respectives. « Mais les problématiques sont nombreuses, et les choses avancent lentement », raconte Lena Weller, d’Help Sans Frontières. Symbole d’une situation éducative que l’on à trop laissé pourrir pour arriver à l’intégrer au menu du jour. L’objectif est donc aussi de faire pression sur le gouvernement thaïlandais. Car si enjeu il y a, c’est bien celui-là. Sans levier politique, pas de changement. Sans changements ? « D’autres générations d’enfants sacrifiés » répond Atchareeva Saisin, journaliste.
Vers une prise de conscience ?
Pourtan, depuis trois ans, les choses semblent un peu évoluer. Et dans le bon sens. Notamment dans les régions de Chang Mai, Ranong, et Samut Sakorn. Il semblerait que les écoles thaïlandaises y ouvrent un peu plus facilement leurs portes aux enfants de travailleurs birmans. « C’est par exemple le cas à l’école Sirimongkol de Samut Sakorn. Aujourd’hui, plus de 90% des élèves inscrits sont d’origine birmane », raconte la journaliste. Oui, mais. Ces petits privilégiés ne représentent toujours que 5% de la population migrante âgée de moins de 15 ans vivant dans cette province. Et l’afflux permanent de nouveaux arrivants y est bien moins massif que dans les environs de Mae Sot. Mais après 20 ans d’immobilisme et de politique de l’autruche, le gouvernement semblerait enfin chercher de vraies solutions. Longuement consulté en haut lieu, Weerawit Tienchainan, président du Comité des Nations Unies aux réfugiés et migrants (USCRI), semble avoir été écouté. Son désir le plus cher ? Que les autorités locales prennent enfin leurs responsabilités.
Et, depuis quelques mois, le ministère de l’Education change de ton. Mais aussi de discours. « La nouvelle politique de la Thaïlande se fera dans le respect des droits humains de ces enfants », déclarait Chaiwut Bannawat. Et notamment en renforçant les dispositifs de coopération avec les écoles. Parmi l’un deux, un projet pilote mené depuis deux ans en partenariat avec 45 des « migrants schools » du pays. Son nom ? BMWEC, pour Burmese Migrants Workers Education Comittee. Ce programme fournit une aide logistique aux écoles en terme de régularisation des professeurs. L’objectif est aussi d’y calquer le modèle des écoles thaïlandaises en matière de programme, et de les aider dans leur récolte de fond internationaux. Mais ce genre de projet pilote demeure encore trop marginal pour en apprécier les effets positifs. De plus, il ne concerne que des établissements déjà bien assis financièrement, donc beaucoup plus développés que ne le sont la majorité des écoles. Une politique basée sur le « sauvons ce qui peut l’être », ne concernant qu’une minorité d’élèves privilégiés. Les autres restent sur le carreau.
Promesses et réalités
Signataire du projet « Education pour tous 2015 » lancé par l’Unesco en 2000, le pays s’est pourtant engagé à faire de l’éducation sa priorité. Voilà pour les grands principes. Maintenant, parlons de la pratique. « Les objectifs de la charte sont ambitieux, et la Thaïlande est encore bien loin d’en atteindre ne serait-ce qu’un seul », raconte Lena Weller, de l’association Help Sans Frontières. L’Unesco exige, entre autre, qu’il soit permis à chaque enfant d’achever un cursus scolaire complet. Ainsi que la réduction pour moitié du nombre d’analphabètes. Autant dire que, pour l’instant, le pays est complètement hors jeu. « Et comment voulez-vous qu’on parle de donner à ces enfants une éducation de qualité, alors qu’on est même pas capable d’assurer leur sécurité ! », s’exclame la journaliste Atchareeya Saisin.
En cause, le trop faible nombre de régularisations accordées aux familles de migrants, et notamment aux travailleurs illégaux. Car c’est bien là le cœur du problème. Sans légalité pour les parents, pas de légalité pour l’enfant. « Cela les plonge dans une grande précarité ! Elle fait d’eux des proies faciles pour les filières du trafic humain », ajoute-t-elle. Une idée que confirme Ropharat Aphijanyatham, auteur du livre Perceptions des frontières et migrations humaines. « Beaucoup de migrants quittent la Birmanie pour fuir la misère économique et se rendent compte, une fois arrivés en Thaïlande, que le sort qui leur est réservé est bien pire », analyse Ropharat. Souvent payés à coup de lance-pierre au sein d’usines peu scrupuleuses, ces travailleurs ne gagnent pas suffisamment pour nourrir leur famille. Quand ils ont la chance d’avoir un emploi. Beaucoup d’enfants sont donc, au mieux, exploités par les firmes des environs. Au pire, contraints à la mendicité des rues, et son lot de dangers. Des activités qui, dans les deux cas, sont peu lucratives. Facile ensuite de céder aux sirènes de la prostitution, par l’appât du gain alléché. Bien loin, en tout cas, du chemin menant à l’école.
Des lois périmées
Tous ces vides juridiques augmentent considérablement la vulnérabilité des familles de migrants. La faute à une politique d’immigration trop restrictive pour leur permettre de sortir la tête de l’eau, et donc d’échapper aux traffics. Mais surtout trop ancienne pour être vraiment efficace. Car depuis le premier amendement offrant des possibilités de légalité aux travailleurs migrants, en 1992, rien n’a bougé. Aucune modification apportée. La loi est mot pour mot la même qu’il y a seize ans. « A l’époque, le gouvernement pensait la situation temporaire, et ne prévoyait pas de devoir faire face un jour à un si grand nombre de demande de régularisation », explique Ropharat. « Pourtant, en ce temps-là déjà, les mouvements de population n’étaient pas nouveaux. Puisque dès les années 70, les premières arrivées d’importance ont débuté », précise la jeune femme.
Résultat ? Une politique totalement inadaptée aux réalités actuelles. Et des lois bien trop généralistes pour apporter des solutions concrètes. « Le problème, c’est qu’elles ne prennent aucunement en compte les spécificités régionales », souligne Ropharat. A Bangkok comme près des frontières, les lois sont les mêmes. Sauf que les réalités des migrants, elles, y sont pourtant bien différentes. « Aucune politique locale n’est menée. Et les vides juridiques sont encore trop nombreux pour être réellement adaptés aux provinces les plus problématiques », explique-t-elle. Ajouté à cela, le manque de coopération chronique entre les différentes organes du pouvoir, qui rend la situation on ne peut plus explosive. « Il faudrait déjà que le ministère du Travail et de l’Intérieur se mettent autour d’une table pour analyser la situation et formuler ainsi des solutions plus efficaces, au cas par cas », insiste Ropharat. Notamment en soutenant les acteurs locaux, fins connaisseurs du contexte local. Mais on est loin d’en être là.
Opacité du système
Très opaque, le processus de légalisation des migrants reste toujours trop flou.
Un manque de transparence auquel le gouvernement ne semble pas vouloir s’attaquer. Une sorte de système sans contrôle qui fait stagner toutes les actions engagées sur le terrain par les ONG. Car aujourd’hui, bien peu nombreux sont les migrants qui connaissent réellement leurs droits. Et ceux qui en ont une brève idée renoncent souvent à faire une demande de régularisation. Sûrement par peur des conséquences que pourraient avoir un refus. « Je crois qu’il faudrait commencer par lancer des campagnes d’information à destination des migrants, et le faire des deux côtés de la frontière », propose Ropharat. Mais pour l’instant, rien n’a encore été envisagé en ce sens. À croire que cette situation arrange bien les affaires des dirigeants en haut lieu. En surfant sur cette vague de méconnaissance, le pays pense ainsi s’éviter les déboires liés à des sollicitations en masse. Face à lui, une population si nombreuse que le royaume se sait finalement incapable de l’absorber, ne serait-ce que de moitié.
Du coup, à Mae Sot, le pessimisme a tendance à gagner un peu les esprits. Les ONG accusent le coup de l’immobilisme ambiant, et les migrants sont aujourd’hui usés de vivre à la manière de fugitifs. ça sent un peu la résignation dans les rangs. « Nous sommes des invités ici, mais nous n’avons aucun droit. Alors comment avoir envie de rester dans un pays qui ne veut pas de nous ? », s’interroge Ko Myo, qui gère l’orphelinat Saw. Dans la région, les drames humains sont légions et personne n’a finalement envie de s’éterniser dans ces conditions. « Moi je ne vois qu’une seule solution : Il faut que la situation change côté birman, sinon c’est peine perdue », insiste Lena Weller d’Help Sans Frontières. Un son de cloche qui est sur toutes les lèvres de la ville. Migrants, ONG, et autorités locales confondues. Tout le monde s’accorde à dire que la solution ne viendra pas de Thaïlande. Et encore moins de son gouvernement, trop dépassé pour inverser un tant soit peu la tendance. La balle est donc dans le camp birman. Mais la encore, personne n’est dupe sur l’issue des prochaines élections. « Montées de toutes pièce pour asseoir le pouvoir des militaires », selon les dires de U Chang. L’avenir ne présage donc rien de bon. Des signes qui, on peut l’imaginer, enfanteront donc d’autres générations de sacrifiés.
http://www.actionenfantsbirmans.org/
source
http://www.gavroche-thailande.com/actualites/actualite/1048-thailande-migrants-birmans-enfants-de-seconde-zone
Tout le monde se souvient sûrement de Thongdee, ce jeune Mong âgé de 12 ans naturalisé pour la gloire en septembre dernier. Ses talents d’avionneur en papier avaient alors poussé la Thaïlande à lui accorder une légalité provisoire, afin de représenter son tout nouveau pays lors d’un championnat au Japon. En un claquement de doigt, le gouvernement a fait ce que trois associations n’avaient pas réussi en dix ans. D’un coup d’un seul, le jeune Mong devenait assez intéressant pour être naturalisé le temps d’un voyage. Une délivrance de passeport à la gloire du royaume, scénarisée à outrance pour émouvoir les foules. On pleurait dans les chaumières, l’honneur était donc sauf. En tout cas pour cette fois.
Car ce que l’on a plus facilement tendance à oublier, en revanche, ce sont les 500 000 autres. Tous ceux qui, eux, n’ont pas eu la chance du jeune Thongdee. Et ne l’auront sûrement jamais. Des centaines de milliers d’enfants nés de parents birmans, ou issus de minorités ethniques sans aucun statut légal. En la matière, la loi est on ne peut plus claire. Selon les textes du code d’obtention de la nationalité, ils ne peuvent prétendre au statut de citoyen du pays. Même si ce dernier est celui qui les a vu naître. Donc, logiquement, le leur. Impossible également de retourner sur les lieux dont sont originaires leurs parents de façon légale. Bref, des enfants sans patrie, et donc sans droits…
Little Burma
10h du matin sur le marché de Mae Sot, dans la province de Tak. L’agitation y est la même qu’un peu partout ailleurs à cette heure. Oui, mais à un détail près. Les bouches autour des étals ne pipent pas un mot en thaïlandais. Ici, on parle birman, un point c’est tout. La ville de Mae Sot n’a donc pas volé son surnom de « little Burma ». Bien au contraire. Située à seulement 8 km de la frontière entre les deux pays, 80% de la population y est d’origine birmane. Et ils ne sont qu’une minuscule poignée à maîtriser la langue de leur pays d’adoption.
Sur les 200 000 birmans que compte la province, 130 000 sont des réfugiés. Installés dans l’un des neuf camps environnant la ville, ils ont interdiction formelle d’en sortir. Du moins officiellement. Quant aux 70 000 autres, ce sont ce que l’on appelle des « migrants illégaux ». Des hommes et des femmes qui, bien souvent, vivent et travaillent ici depuis plus de 20 ans. Donc, logiquement, y ont vu naître leurs progénitures. Des enfants qui, officiellement toujours, auraient le droit de bénéficier des mêmes conditions de scolarisation que n’importe quel autre enfant thaïlandais. Oui, mais.
Écoles de seconde zone
Entre la théorie et la pratique, il y a un gouffre. En Thaïlande, seuls 60 000 enfants dits « sans patrie » ont la chance de suivre un cursus dans une des écoles publiques ou privées du pays. Cent mille autre, en revanche, sont inscrits dans ce que l’on a coutume de nommer des « migrant schools ». Des écoles mises en place par les ONG pour combler les carences d’une société thaïlandaise peut préoccupée du sort éducatif de ces enfants de seconde zone. Mae Sot et ses environs comptent 64 de ces centres d’apprentissage. Onze mille enfants y sont scolarisés pour un total de 625 professeurs mobilisés. Sans doute la concentration la plus importante du pays. Tous ces centres n’ont bien sûr pas le même niveau d’équipement. Ni la même qualité d’enseignement. Pour la majorité d’entre eux, des cours avec de simples notions d’anglais et quelques bases de mathématiques. Un peu de géographie en plus pour d’autres, parfois de la physique et, que très rarement, quelques bribes de thaïlandais.
« Dans toutes les écoles, les cours sont donnés en birman », raconte François Couturier, jeune professeur volontaire à l’école One Dream One World. Le Français y enseigne trois heures quotidiennement à des enfants agés de 3 à 14 ans. « Mais je vous rassure, le niveau est assez homogène », ironise-t-il, comme pour dédramatiser la situation. Au programme ce matin dans cette bicoque à ciel ouvert, les couleurs primaires, et les chiffres de un à dix en anglais. En tout cas pour les plus jeunes. Installés à l’étage, les plus âgés planchent, eux, sur la différence entre « A » et « The ». Autant dire que l’on est ici à des années lumière des exigences des programmes des écoles thaïlandaises. « Oui, mais c’est toujours mieux que rien » souligne Carole Pépé, également volontaire aux côtés de François. Au départ, cette école n’était qu’un centre d’accueil de jour. Un lieu permettant de préserver les enfants des rues de la mendicité.
Des parcours scolaires sans contrôles
Car si 11 000 enfants mettent chaque jour les pieds à l’école, 20 000 autres passent encore leur journée, gobelet à la main, pour amasser un hypothétique butin. « On les ramassait le matin, les nourrissait, avant de les reconduire chez eux le soir venu », raconte Myat Thu, à l’origine de la fondation Aiya qui a mis en place cette école. Cet ancien professeur de physique de l’Institut de Technologie de Rangoun fut, jadis, l’un des piliers de la contestation étudiante birmane de 1988. Il a donc dû fuir le pays. Un aller simple pour Mae Sot, où il réside maintenant depuis 20 ans. « Je me suis dis que je ne servirais plus à grand chose si j’étais mort ou en prison. Alors je suis venu ici pour agir autrement. Je ne fais plus de politique mais agis localement, en tant qu’individu », raconte-t-il. Et, à ses yeux, rien de plus important pour l’avenir que d’offrir à ces enfants de vraies possibilités éducatives.
« Ce qu’a du mal à comprendre ce pays, c’est que l’avenir d’un climat apaisé dans la zone se joue d’abord et avant tout dans la cour des écoles », insiste Myat Thu. Alors, certes, le ministère de l’Education autorise l’action des ONG. Mais, ironie du sort, la condamne de concert. En septembre dernier, Chaiwuti Bannwat, vice-ministre de l’Education, déclarait qu’il n’était plus possible de laisser les ONG agir sans contrôle aucun. En cause, des standards d’apprentissage trop divergeants de ceux fixés par le ministère. Et, surtout, pas un mot de thaïlandais enseigné. Même s’il reconnaît les mérites des actions engagées, le gouvernement n’envisage pourtant pas d’y apposer son tampon. Donc pas question non plus d’y engager le moindre baht.
Des enseignants sans statut légal
Résultat ? Une éducation à deux vitesses, sans aucun cadre ni règle. Vide juridique le plus complet. « Soyons clairs, la majorité des profs n’ont aucun statut légal. Entrés en Thaïlande grâce à un visa touristique, ils exercent ici dans la plus complète illégalité », explique Atchareeya Saisin, journaliste spécialisée sur la question. C’est le cas de François et Carole, les deux jeunes Français volontaires de l’école One Dream One World. « Honnêtement, mis à part les profs employés par les plus grosses ONG, je ne connais personne ici qui soit en règle… », constate François. Et, comme lui, très peu ont une formation d’enseignant. « En général, ce sont des gens qui sont là car ils se sentent concernés par le sort de ces enfants, et souhaitent donner un peu de leur temps pour les aider », précise Atchareeva Saisin. Illégal également, Thay Hlaing, professeur de physique à l’école BHSOH, qui compte près de deux cents élèves. Réfugié politique à la suite de la révolution Safran d’octobre 2007, il enseigne sans y être autorisé. « Je n’ai pas de papiers donc, officiellement, je n’ai pas le droit de travailler. C’est un peu comme si je n’existais pas, finalement », dit-il d’un ton amer.
Pourtant, à l’inverse de beaucoup de ses confrères, ce travailleur de l’ombre est réellement professeur, un vrai. Avec des diplômes à ne plus savoir qu’en faire, tous obtenus côté birman, à la suite d’un long cursus universitaire. « Mais ici, tout ça ne vaut plus rien ! C’est comme si toutes ces années d’études n’avaient jamais existé », ajoute-t-il. Et si l’école BHSOH ne lui avait pas donné le pouvoir d’exercer, l’homme n’aurait sûrement jamais eu la chance de retourner à son métier d’origine. Quant à son salaire, il n’excède pas les 4950 bahts, entièrement financés par les ONGs. Soit deux fois moins qu’un professeur rémunéré par le ministère de l’Education. Mais malgré tout, Thay Hlaing se sait privilégié. Car l’école où il enseigne présente un semblant de programme scolaire, grâce à la présence de deux enseignants qualifiés. Mais bien peu nombreuses sont les écoles qui ont les moyens de s’offrir les service de vrais professeurs. Quant aux volontaires, ils sont généralement mangés à la sauce rémunération zéro. Sans parler des cahiers et autres ardoises financés de leur poche pour améliorer l’apprentissage de leurs élèves. « Du coup, beaucoup prennent leurs jambes à leur cou dès la première semaine », raconte François Couturier.
Le rêve universitaire
Autant de paramètres qui interdisent à ces enfants l’accès à un cursus scolaire digne de ce nom. Alors que dire de leur possibilité d’aller un jour à l’université ? Quasi nulle. Les plus chanceux d’entre eux sont stoppés dans leur course au grade 12. Les autres, pour la majorité, quittent les bancs de l’école bien avant. Pourtant, officiellement, la loi leur autorise l’accès aux universités du pays. Oui mais, pour cela, encore faudrait-il que les familles en aient les moyens. Pour s’inscrire à la faculté, il faut avoir obtenu le GED, passeport d’entrée rendu obligatoire par le gouvernement. Pour le passer, des papiers en règle sont exigés, ce dont peu peuvent se vanter. Pour l’obtenir, deux ans de formation. Coût total de l’opération : 400 dollars. Sans aucune garantie, bien sûr, d’empocher le précieux sésame. Car l’examen est complexe. Des questions d’anglais, de thaïlandais, de maths, et de physique chimie. Plus des notions en sciences économiques et sociales. Alors comment espérer réussir lorsque l’on traîne derrière soi des wagons de lacunes? « L’année dernière, sur les mille enfants qui ont eu la chance de le passer, seul 1% l’a obtenu », constate U Chang, également professeur de physique et migrant illégal
C’est donc pour tenter de changer un peu la donne que U Chang et six cents autres de ses confrères ont décidé de se réunir sous les couleurs d’une association. Créée en 2005, la Burmese Migrant Teacher Association a pour but de fédérer l’ensemble du corps enseignant des 64 écoles pour migrants. « C’est le seul moyen que nous ayons trouvé pour avoir un peu plus de poids », constate U Chang. On y discute stratégie commune, ouverture de nouvelles écoles et harmonisation des programmes. Mais on y organise aussi des rencontres avec des professeurs thaïlandais. Le but, à terme, étant d’organiser des échanges entre les deux types d’écoles. « Mais comme chaque école bénéficie de moyens très variés, ce n’est pas facile d’amorcer un enseignement équivalent partout », précise U Chang. Et il est bien peu probable que ce rêve devienne un jour réalité. Car le quotidien de beaucoup d’entre elles s’inscrit malheureusement dans le concept de la grande débrouille. C’est marabout et bouts de ficelle version salle de classe, quand il y en a une…
Face à cela, les ONGs qui financent ces établissements semblent bien impuissantes. Mais cela ne les empèche pas, elles aussi, de vouloir faire corps. Réunies sous l’égide d’un comité appelé CCSDPT (voire encadré), les ONG les plus importantes de la région y réfléchissent ensemble pour changer la donne. Le but ? Optimiser leurs actions respectives. « Mais les problématiques sont nombreuses, et les choses avancent lentement », raconte Lena Weller, d’Help Sans Frontières. Symbole d’une situation éducative que l’on à trop laissé pourrir pour arriver à l’intégrer au menu du jour. L’objectif est donc aussi de faire pression sur le gouvernement thaïlandais. Car si enjeu il y a, c’est bien celui-là. Sans levier politique, pas de changement. Sans changements ? « D’autres générations d’enfants sacrifiés » répond Atchareeva Saisin, journaliste.
Vers une prise de conscience ?
Pourtan, depuis trois ans, les choses semblent un peu évoluer. Et dans le bon sens. Notamment dans les régions de Chang Mai, Ranong, et Samut Sakorn. Il semblerait que les écoles thaïlandaises y ouvrent un peu plus facilement leurs portes aux enfants de travailleurs birmans. « C’est par exemple le cas à l’école Sirimongkol de Samut Sakorn. Aujourd’hui, plus de 90% des élèves inscrits sont d’origine birmane », raconte la journaliste. Oui, mais. Ces petits privilégiés ne représentent toujours que 5% de la population migrante âgée de moins de 15 ans vivant dans cette province. Et l’afflux permanent de nouveaux arrivants y est bien moins massif que dans les environs de Mae Sot. Mais après 20 ans d’immobilisme et de politique de l’autruche, le gouvernement semblerait enfin chercher de vraies solutions. Longuement consulté en haut lieu, Weerawit Tienchainan, président du Comité des Nations Unies aux réfugiés et migrants (USCRI), semble avoir été écouté. Son désir le plus cher ? Que les autorités locales prennent enfin leurs responsabilités.
Et, depuis quelques mois, le ministère de l’Education change de ton. Mais aussi de discours. « La nouvelle politique de la Thaïlande se fera dans le respect des droits humains de ces enfants », déclarait Chaiwut Bannawat. Et notamment en renforçant les dispositifs de coopération avec les écoles. Parmi l’un deux, un projet pilote mené depuis deux ans en partenariat avec 45 des « migrants schools » du pays. Son nom ? BMWEC, pour Burmese Migrants Workers Education Comittee. Ce programme fournit une aide logistique aux écoles en terme de régularisation des professeurs. L’objectif est aussi d’y calquer le modèle des écoles thaïlandaises en matière de programme, et de les aider dans leur récolte de fond internationaux. Mais ce genre de projet pilote demeure encore trop marginal pour en apprécier les effets positifs. De plus, il ne concerne que des établissements déjà bien assis financièrement, donc beaucoup plus développés que ne le sont la majorité des écoles. Une politique basée sur le « sauvons ce qui peut l’être », ne concernant qu’une minorité d’élèves privilégiés. Les autres restent sur le carreau.
Promesses et réalités
Signataire du projet « Education pour tous 2015 » lancé par l’Unesco en 2000, le pays s’est pourtant engagé à faire de l’éducation sa priorité. Voilà pour les grands principes. Maintenant, parlons de la pratique. « Les objectifs de la charte sont ambitieux, et la Thaïlande est encore bien loin d’en atteindre ne serait-ce qu’un seul », raconte Lena Weller, de l’association Help Sans Frontières. L’Unesco exige, entre autre, qu’il soit permis à chaque enfant d’achever un cursus scolaire complet. Ainsi que la réduction pour moitié du nombre d’analphabètes. Autant dire que, pour l’instant, le pays est complètement hors jeu. « Et comment voulez-vous qu’on parle de donner à ces enfants une éducation de qualité, alors qu’on est même pas capable d’assurer leur sécurité ! », s’exclame la journaliste Atchareeya Saisin.
En cause, le trop faible nombre de régularisations accordées aux familles de migrants, et notamment aux travailleurs illégaux. Car c’est bien là le cœur du problème. Sans légalité pour les parents, pas de légalité pour l’enfant. « Cela les plonge dans une grande précarité ! Elle fait d’eux des proies faciles pour les filières du trafic humain », ajoute-t-elle. Une idée que confirme Ropharat Aphijanyatham, auteur du livre Perceptions des frontières et migrations humaines. « Beaucoup de migrants quittent la Birmanie pour fuir la misère économique et se rendent compte, une fois arrivés en Thaïlande, que le sort qui leur est réservé est bien pire », analyse Ropharat. Souvent payés à coup de lance-pierre au sein d’usines peu scrupuleuses, ces travailleurs ne gagnent pas suffisamment pour nourrir leur famille. Quand ils ont la chance d’avoir un emploi. Beaucoup d’enfants sont donc, au mieux, exploités par les firmes des environs. Au pire, contraints à la mendicité des rues, et son lot de dangers. Des activités qui, dans les deux cas, sont peu lucratives. Facile ensuite de céder aux sirènes de la prostitution, par l’appât du gain alléché. Bien loin, en tout cas, du chemin menant à l’école.
Des lois périmées
Tous ces vides juridiques augmentent considérablement la vulnérabilité des familles de migrants. La faute à une politique d’immigration trop restrictive pour leur permettre de sortir la tête de l’eau, et donc d’échapper aux traffics. Mais surtout trop ancienne pour être vraiment efficace. Car depuis le premier amendement offrant des possibilités de légalité aux travailleurs migrants, en 1992, rien n’a bougé. Aucune modification apportée. La loi est mot pour mot la même qu’il y a seize ans. « A l’époque, le gouvernement pensait la situation temporaire, et ne prévoyait pas de devoir faire face un jour à un si grand nombre de demande de régularisation », explique Ropharat. « Pourtant, en ce temps-là déjà, les mouvements de population n’étaient pas nouveaux. Puisque dès les années 70, les premières arrivées d’importance ont débuté », précise la jeune femme.
Résultat ? Une politique totalement inadaptée aux réalités actuelles. Et des lois bien trop généralistes pour apporter des solutions concrètes. « Le problème, c’est qu’elles ne prennent aucunement en compte les spécificités régionales », souligne Ropharat. A Bangkok comme près des frontières, les lois sont les mêmes. Sauf que les réalités des migrants, elles, y sont pourtant bien différentes. « Aucune politique locale n’est menée. Et les vides juridiques sont encore trop nombreux pour être réellement adaptés aux provinces les plus problématiques », explique-t-elle. Ajouté à cela, le manque de coopération chronique entre les différentes organes du pouvoir, qui rend la situation on ne peut plus explosive. « Il faudrait déjà que le ministère du Travail et de l’Intérieur se mettent autour d’une table pour analyser la situation et formuler ainsi des solutions plus efficaces, au cas par cas », insiste Ropharat. Notamment en soutenant les acteurs locaux, fins connaisseurs du contexte local. Mais on est loin d’en être là.
Opacité du système
Très opaque, le processus de légalisation des migrants reste toujours trop flou.
Un manque de transparence auquel le gouvernement ne semble pas vouloir s’attaquer. Une sorte de système sans contrôle qui fait stagner toutes les actions engagées sur le terrain par les ONG. Car aujourd’hui, bien peu nombreux sont les migrants qui connaissent réellement leurs droits. Et ceux qui en ont une brève idée renoncent souvent à faire une demande de régularisation. Sûrement par peur des conséquences que pourraient avoir un refus. « Je crois qu’il faudrait commencer par lancer des campagnes d’information à destination des migrants, et le faire des deux côtés de la frontière », propose Ropharat. Mais pour l’instant, rien n’a encore été envisagé en ce sens. À croire que cette situation arrange bien les affaires des dirigeants en haut lieu. En surfant sur cette vague de méconnaissance, le pays pense ainsi s’éviter les déboires liés à des sollicitations en masse. Face à lui, une population si nombreuse que le royaume se sait finalement incapable de l’absorber, ne serait-ce que de moitié.
Du coup, à Mae Sot, le pessimisme a tendance à gagner un peu les esprits. Les ONG accusent le coup de l’immobilisme ambiant, et les migrants sont aujourd’hui usés de vivre à la manière de fugitifs. ça sent un peu la résignation dans les rangs. « Nous sommes des invités ici, mais nous n’avons aucun droit. Alors comment avoir envie de rester dans un pays qui ne veut pas de nous ? », s’interroge Ko Myo, qui gère l’orphelinat Saw. Dans la région, les drames humains sont légions et personne n’a finalement envie de s’éterniser dans ces conditions. « Moi je ne vois qu’une seule solution : Il faut que la situation change côté birman, sinon c’est peine perdue », insiste Lena Weller d’Help Sans Frontières. Un son de cloche qui est sur toutes les lèvres de la ville. Migrants, ONG, et autorités locales confondues. Tout le monde s’accorde à dire que la solution ne viendra pas de Thaïlande. Et encore moins de son gouvernement, trop dépassé pour inverser un tant soit peu la tendance. La balle est donc dans le camp birman. Mais la encore, personne n’est dupe sur l’issue des prochaines élections. « Montées de toutes pièce pour asseoir le pouvoir des militaires », selon les dires de U Chang. L’avenir ne présage donc rien de bon. Des signes qui, on peut l’imaginer, enfanteront donc d’autres générations de sacrifiés.
http://www.actionenfantsbirmans.org/
source
http://www.gavroche-thailande.com/actualites/actualite/1048-thailande-migrants-birmans-enfants-de-seconde-zone
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Date d'inscription : 31/05/2009
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