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Golfe de Thaïlande : s'organiser ou disparaître

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Message  Admin Sam 16 Avr 2011 - 10:57

Depuis trente ans, la mer avale 30 à 40 mètres de terre chaque année.

Envoyée spéciale à Khun Samut Chin

C'est un petit temple enguirlandé de stuc, entre ciel et mer. Balafré par les pluies de mousson, envahi par l'océan à chaque marée, il est menacé de mort lente, par noyade.

Posée sur une île peau de chagrin, au bout d'un réseau alambiqué de passerelles au-dessus du golfe de Thaïlande, «la pagode n'en peut plus», estime Somnuk Attipanyo, un bonze drapé d'orange qui en a la garde. Le sel en a grignoté les assises, attaqué les mortiers. Et le plancher a été tellement surélevé qu'il faut se courber pour franchir les portes devenues minuscules.

Les limites de la terre et de l'eau sont bien incertaines à Khun Samut Chin. Dans ce village peu à peu englouti par la mer, on circule à pied sur des talus de coquillages entre deux miroirs d'eau. Les champs sont des étangs à crevettes. Même les poissons ne savent plus où ils en sont et se meuvent sur la terre ferme en se dressant sur leurs nageoires.

À 30 kilomètres au sud-est de Bangkok, là où la brise moite colle à la peau, la vie quotidienne est régulée par ce trop-plein. Depuis son temple cerné par la mer qui était autrefois adossé à une forêt, Somnuk le bonze montre une rangée de pylônes électriques émergeant de façon incongrue à un kilomètre au large. «Ces poteaux ont été installés en 1980, aujourd'hui c'est tout ce qu'il reste de l'ancien village.»

Le blanc laiteux qui baigne cette côte toute proche de Bangkok a un goût de chagrin. Depuis trente ans, la mer avale 30 à 40 mètres de terre chaque année. «C'est un ogre», explique Nu Wisuksin, recroquevillée dans sa frêle maison de bambou sur pilotis. À 74 ans, elle a déménagé à huit reprises. À chaque fois que l'eau lui arrivait à la cheville, elle reculait dans les terres. L'océan est à nouveau à ses pieds, mais «je n'ai plus la force de me battre contre lui», explique cette femme épuisée.

Le vent qui gronde, les nuages couleur de plomb et l'océan qui roule ses montagnes d'écume sur le rivage ont rythmé ses peines. L'année du typhon Gay, elle a perdu un enfant, l'année de Linda un autre est parti à la ville et son veuvage date de Prapiroon. «J'ai peur de la mer, des marées, de la pluie.» Alors pour ne plus entendre le clapotement rythmé, elle allume à plein volume la télévision dont l'antenne a été ficelée à une gaule démesurée.

«La mer mange la terre»
En Thaïlande, 600 kilomètres de littoral subissent une érosion sévère. S'il est difficile de prévoir précisément l'avancée de la mer dans les terres, le géologue Thanawat Jarupongsakul, directeur du centre d'études sur les catastrophes, table sur 1,3 kilomètre d'ici à vingt ans, 2,5 km d'ici à cinquante ans et 6 à 8 kilomètres d'ici à cent ans.

Les raisons en sont multiples. Le sol s'affaisse sur toute la côte. Avec le réchauffement climatique, le niveau des eaux dans le golfe de Thaïlande monte de 42 millimètres par an, les vents de mousson sont plus forts et créent des vagues plus violentes. Enfin, les sédiments, qui freinaient l'érosion, ont diminué de 70 % en trente ans, retenus par les barrages en amont sur les fleuves.

«Dans cinquante ans, nous aurons perdu de façon irréversible cinquante kilomètres carrés de terre entre la mer et Bangkok. Ce sont des zones industrielles densément peuplées et très construites. Où iront ces gens ? Qu'adviendra-t-il du titre de propriété de ces terres ?», s'interroge le chercheur de Chulalongkorn.

Ce coin de Thaïlande où «la mer mange la terre» a engendré des gens de trempe. Dans sa baraque de guingois, où par dérision elle a accroché une bouée de sauvetage, Samorn Kengsamut interrompt les taquineries qu'elle distribue aux hommes de la maison. L'heure est grave. Il s'agit de son village en sursis. «En vingt ans, le tiers des villageois sont partis dans d'autres provinces», explique la responsable locale aux hanches généreuses. Et «personne n'a reçu de compensation pour les terres avalées».

«Aucune technologie ne pourra nous protéger»
Oubliés du gouvernement, les 300 villageois restants tentent de s'organiser. «Nous ne voulons pas disparaître et n'être plus qu'un nom dans les registres», insiste-t-elle tout en montrant des photos jaunies du village et des graphiques multicolores de la mer qui gagne du terrain. Pour enrayer l'érosion, les habitants tentent de reconstituer cette mangrove où les crabes font tant de raffut et les tortues viennent mourir. Ils peinent. Les vagues engendrées par la mousson du nord-est arrachent les plants de palétuvier. «Il y a dix ans, nous avions des vagues d'un mètre de haut, aujourd'hui, elles font deux à quatre mètres», explique un ramasseur de coquillages qui glisse sur la grève, agenouillé sur une planche, tout en laissant traîner une épuisette.

La haie de pylônes astucieusement disposés le long de la côte et baptisée par les villageois «digue de Thanawat», du nom du scientifique de Bangkok qui l'a mise au point, est censée diminuer la force des vagues et retenir les sédiments tout en laissant circuler les poissons. «Elle a permis le retour des crustacés et des coquillages mais n'offre qu'une protection relative», constate l'équilibriste. «Nous ne faisons que ralentir l'avancée de la mer. Comme aucune technologie ne pourra nous protéger, il ne nous reste qu'à prier que la mer fasse le moins de dégât possible».

Pour Samorn la matrone, les malheurs de Khun Samut Chin sont prophétiques des risques qu'encourt la capitale : «La mer finira par noyer Bangkok.»

source http://www.lefigaro.fr/international/2011/04/15/01003-20110415ARTFIG00676-golfe-de-thailande-s-organiser-ou-disparaitre.php
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