Thailande - La populace est sous l’eau et alors ?
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Thailande - La populace est sous l’eau et alors ?
Les inondations qui affectent le pays depuis trois mois ont jeté une lumière crue sur l'insurmontable clivage entre les privilégiés de la capitale et les pauvres des campagnes, écrit, un brin cinglant, le politologue Pavin Chachavalpongpun. Les tensions entre le gouverneur de la ville et le gouvernement n'arrangent rien.
"Ses chaussettes sont trempées. Au cours de ces terribles inondations, il a sillonné tout Bangkok. Vous ne trouverez pas plus dévoué. J’oublie constamment qu'il est le fils de Son Altesse royale le prince Paribatra Sukhumbhand et le petit-fils de sa Majesté le roi Chulalongkorn, l’un des plus grands monarques que la Thaïlande ait connus." Voilà comment, avec fierté, l’une de ses secrétaires décrit Sukhumbhand Paribatra, gouverneur de Bangkok, sur Facebook. Les habitants de Bangkok ont donc "leur" membre de la famille royale prêt à défendre leur capitale bien-aimée. Sukhumbhand, qui appartient lui-même à l’élite, tient à servir, avec enthousiasme, les intérêts de ses sympathisants bangkokois, qui se voient eux aussi comme formant la classe intellectuelle supérieure. Si son grand-père fut le prince de Nakhon Sawan [dans le centre du royaume], Sukhumbhand est désormais le "prince de Bangkok".
Ces crues dévastatrices lui ont donné l’occasion d’asseoir son autorité en tant que gouverneur de Bangkok et jusqu’à présent, il s’en est parfaitement sorti en travaillant indépendamment du gouvernement [allant jusqu’à donner des contrordres aux décisions prises par le gouvernement]. Ce n'est pas la coopération, mais la compétition qui s’est imposée comme le maître mot définissant ses relations avec le Premier ministre [Yingluck Shinawatra]. Sous Sukhumbhand, Bangkok est une île. La capitale a été détachée du reste du pays. Il semble acceptable que les autres provinces soient sous les eaux, mais Bangkok doit rester au sec. La ville doit être épargnée à tout prix.
Que nous enseigne l’attitude de Sukhumbhand, centrée sur la capitale ? Elle montre que Bangkok n’est pas la Thaïlande, et vice versa. C’est un Etat dans l’Etat. Cette façon de penser empêche le gouvernement de mettre en œuvre une solution globale face à ces inondations incontrôlables. Quant aux idées de Sukhumbhand pour maîtriser cette catastrophe, elles sont avant tout élitistes et impériales. Armé de son titre royal de Mom Rajawongse [indiquant qu’il est de descendance royale], un véritable anachronisme dans les autres sociétés civilisées, Sukhumbhand se pose en vieux guerrier luttant pour protéger la métropole. Sauf que cette fois-ci, il ne s’oppose pas aux Birmans ou aux Cambodgiens. L’eau est son ennemi. Métaphoriquement, sa mission de est de préserver "l’indépendance" de Bangkok.
Quelles sont ces conceptions élitistes ? Tout d’abord, Bangkok serait soi-disant la ville la plus importante du royaume : la fierté de la nation, le siège d’une monarchie ô combien vénérée et la source de la richesse économique. C’est là une vue incontestablement autoritaire qui confère trop de poids à la capitale tout en négligeant d’autres provinces jugées moins vitales. Certes, Bangkok contribue à près de 41 % du PIB national, et les analystes ont déjà averti que la croissance souffrirait d’autant plus que la capitale subirait de gros dégâts. N’oublions pas cependant que le centre du pays est sous les eaux depuis des mois. Et c’est dans cette région que sont implantées les grandes usines, dont les constructeurs automobiles Toyota et Honda, les fabricants d’électronique Canon, Apple, Sony et Toshiba, ainsi que Seagate Technology et Western Digital, qui produisent des disques durs.
Ensuite, il y a quelques mois, quand Bangkok était au sec alors que les zones rurales étaient déjà submergées, à aucun moment les Bangkokois n’ont exprimé leur inquiétude ou leur solidarité vis-à-vis de ces régions sinistrées. Cela ne semblait pas si grave si ces provinces souffraient, tant que Bangkok était saine et sauve. Ce sont désormais les habitants de la capitale qui se plaignent à grands cris. Les inondations les ont soudain rendus hystériques. Ils amassent de la nourriture, ce qui crée un climat de panique. Le comportement des Bangkokois est-il caractéristique de l’éternel système à deux vitesses qui domine la société thaïlandaise ? Les efforts colossaux déployés pour épargner la capitale sont, à n’en pas douter, le reflet du concept inébranlable de centralisation. Comme toujours, pouvoir et prospérité sont l’apanage de Bangkok. Pour de nombreux habitants de la capitale, il est tout à fait acceptable que d’autres provinces soient maintenues dans leur vulnérabilité et leur impuissance. Ce n’est pas plus gênant qu’elles soient pauvres et sous-développées. A partir de là, elles méritent de subir les inondations. Mais, peu à peu, l’eau s’infiltre dans la ville, comme un symbole du ressentiment croissant des autres provinces, désormais disposées à l’attaquer après tant d’années de mauvais traitement. Depuis bien trop longtemps, Bangkok est bien trop égoïste, et le gouverneur Sukhumbhand n’a réussi qu’à exacerber cette tendance parmi ses administrés.
http://www.courrierinternational.com/article/2011/11/09/la-populace-est-sous-l-eau-et-alors
"Ses chaussettes sont trempées. Au cours de ces terribles inondations, il a sillonné tout Bangkok. Vous ne trouverez pas plus dévoué. J’oublie constamment qu'il est le fils de Son Altesse royale le prince Paribatra Sukhumbhand et le petit-fils de sa Majesté le roi Chulalongkorn, l’un des plus grands monarques que la Thaïlande ait connus." Voilà comment, avec fierté, l’une de ses secrétaires décrit Sukhumbhand Paribatra, gouverneur de Bangkok, sur Facebook. Les habitants de Bangkok ont donc "leur" membre de la famille royale prêt à défendre leur capitale bien-aimée. Sukhumbhand, qui appartient lui-même à l’élite, tient à servir, avec enthousiasme, les intérêts de ses sympathisants bangkokois, qui se voient eux aussi comme formant la classe intellectuelle supérieure. Si son grand-père fut le prince de Nakhon Sawan [dans le centre du royaume], Sukhumbhand est désormais le "prince de Bangkok".
Ces crues dévastatrices lui ont donné l’occasion d’asseoir son autorité en tant que gouverneur de Bangkok et jusqu’à présent, il s’en est parfaitement sorti en travaillant indépendamment du gouvernement [allant jusqu’à donner des contrordres aux décisions prises par le gouvernement]. Ce n'est pas la coopération, mais la compétition qui s’est imposée comme le maître mot définissant ses relations avec le Premier ministre [Yingluck Shinawatra]. Sous Sukhumbhand, Bangkok est une île. La capitale a été détachée du reste du pays. Il semble acceptable que les autres provinces soient sous les eaux, mais Bangkok doit rester au sec. La ville doit être épargnée à tout prix.
Que nous enseigne l’attitude de Sukhumbhand, centrée sur la capitale ? Elle montre que Bangkok n’est pas la Thaïlande, et vice versa. C’est un Etat dans l’Etat. Cette façon de penser empêche le gouvernement de mettre en œuvre une solution globale face à ces inondations incontrôlables. Quant aux idées de Sukhumbhand pour maîtriser cette catastrophe, elles sont avant tout élitistes et impériales. Armé de son titre royal de Mom Rajawongse [indiquant qu’il est de descendance royale], un véritable anachronisme dans les autres sociétés civilisées, Sukhumbhand se pose en vieux guerrier luttant pour protéger la métropole. Sauf que cette fois-ci, il ne s’oppose pas aux Birmans ou aux Cambodgiens. L’eau est son ennemi. Métaphoriquement, sa mission de est de préserver "l’indépendance" de Bangkok.
Quelles sont ces conceptions élitistes ? Tout d’abord, Bangkok serait soi-disant la ville la plus importante du royaume : la fierté de la nation, le siège d’une monarchie ô combien vénérée et la source de la richesse économique. C’est là une vue incontestablement autoritaire qui confère trop de poids à la capitale tout en négligeant d’autres provinces jugées moins vitales. Certes, Bangkok contribue à près de 41 % du PIB national, et les analystes ont déjà averti que la croissance souffrirait d’autant plus que la capitale subirait de gros dégâts. N’oublions pas cependant que le centre du pays est sous les eaux depuis des mois. Et c’est dans cette région que sont implantées les grandes usines, dont les constructeurs automobiles Toyota et Honda, les fabricants d’électronique Canon, Apple, Sony et Toshiba, ainsi que Seagate Technology et Western Digital, qui produisent des disques durs.
Ensuite, il y a quelques mois, quand Bangkok était au sec alors que les zones rurales étaient déjà submergées, à aucun moment les Bangkokois n’ont exprimé leur inquiétude ou leur solidarité vis-à-vis de ces régions sinistrées. Cela ne semblait pas si grave si ces provinces souffraient, tant que Bangkok était saine et sauve. Ce sont désormais les habitants de la capitale qui se plaignent à grands cris. Les inondations les ont soudain rendus hystériques. Ils amassent de la nourriture, ce qui crée un climat de panique. Le comportement des Bangkokois est-il caractéristique de l’éternel système à deux vitesses qui domine la société thaïlandaise ? Les efforts colossaux déployés pour épargner la capitale sont, à n’en pas douter, le reflet du concept inébranlable de centralisation. Comme toujours, pouvoir et prospérité sont l’apanage de Bangkok. Pour de nombreux habitants de la capitale, il est tout à fait acceptable que d’autres provinces soient maintenues dans leur vulnérabilité et leur impuissance. Ce n’est pas plus gênant qu’elles soient pauvres et sous-développées. A partir de là, elles méritent de subir les inondations. Mais, peu à peu, l’eau s’infiltre dans la ville, comme un symbole du ressentiment croissant des autres provinces, désormais disposées à l’attaquer après tant d’années de mauvais traitement. Depuis bien trop longtemps, Bangkok est bien trop égoïste, et le gouverneur Sukhumbhand n’a réussi qu’à exacerber cette tendance parmi ses administrés.
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Entretien avec Sophie Boisseau du Rocher, chercheur à l’Asia Centre
« La gestion de l’eau a occupé l’espace public à partir du moment où la plaine centrale proche de Bangkok et la métropole étaient menacés »
Les inondations qui ont meurtri la Thaïlande ces derniers mois ont-elles un impact politique ? Comment expliquer la cacophonie dans leur gestion ?
Sophie Boisseau du Rocher : Au départ, c’est-à-dire dès la fin du mois de juillet, au moment où les barrages, réservoirs, lacs et fleuves étaient déjà saturés, le gouvernement d’Abhisit [Vejajivaj] se préparait à quitter le pouvoir ; a-t-il sciemment ou pas choisi d’ignorer le risque et de ne pas alerter la population ? Il reviendra aux historiens de trancher cette question. Ce qui est sûr, c’est que, quand Yingluck [Shinawatra] est nommée Premier ministre le 5 août, elle n’a pas pris la mesure de la menace et n’entreprendra aucune action suffisante. Quand le nouveau gouvernement commencera à vraiment à observer les dégâts et à s’activer, la cote d’alerte est déjà largement dépassée.
En Thaïlande, les masses rurales n’ont quasiment aucun droit de parole politique. Elles intéressent peu [les élites, N.D.L.R.] alors qu’elles représentent 68 % de la population nationale (65,5 millions d’habitants en 2008). Lors des dernières inondations en 2006, 2008 et 2010, la situation de milliers de sans-abris n’a pas fait la une des journaux. La gestion de l’eau a occupé l’espace publique à partir du moment où la plaine centrale proche de Bangkok et la métropole (BMA) étaient menacés : c’est bien dans ce petit corridor, petit par rapport au territoire national, que se concentrent 80 % des investissements étrangers. En ce sens, oui, la gestion des inondations a bien montré la hiérarchie des priorités. Ce qui, au demeurant, peut paraître paradoxal puisque c’est d’abord dans les masses rurales que le Pheu Thai [Parti pour les Thaï, fondé en 2008, N.D.L.R.] puise son électorat. Preuve supplémentaire de son inexpérience. De même, je me suis interrogée pour savoir pourquoi le centre de la capitale était épargné alors qu’il y a quelques semaines, le gouvernement a décidé de laisser l’eau s’écouler dans certaines périphéries, certainement plus favorables au Pheu Thai. Ce choix est aujourd’hui lourdement reproché au gouvernement par des populations exaspérées et qui s’attaquent à présent aux digues.
Dans l’urgence, il faut une vraie détermination politique et une équipe compétente pour agir vite : deux qualités qui manquent à la nouvelle Administration. Déclarations contradictoires, manque de coordination des responsables, apparitions publiques maladroites et nominations surprenantes (les dirigeants du Froc, le centre des opérations de secours, n’ont aucune compétence technique), il est vrai que cette crise a révélé les déficiences, et le manque d’autorité politique, du pouvoir. Dès lors, la gestion des inondations devient prétexte à polémique politique. Ceci dit, les problèmes auxquels doit faire face Yingluck [Shinawatra] et son équipe sont des problèmes conjoncturels mais aussi structurels qui relèvent de faiblesses accumulées au cours des vingt dernières années. Pas sûr dans ces conditions qu’Abhisit [Vejajivaj] et le Parti démocrate aient mieux fait même si Sukhumbhand Paribatra, le gouverneur démocrate de Bangkok, a eu une partie beaucoup plus facile avec le manque de professionnalisme de Yingluck Shinawatra !
On remarquera que l’Armée n’est pas entrée dans le règlement de compte et s’est cantonnée à une mission de secours opérationnel aussi utile qu’appréciée (transport alimentaire, aide aux sinistrés, etc.) ; « L’Armée du peuple aide le peuple » pouvait-on lire dans les journaux et au terme de présentations télévisées remarquablement bien orchestrées (le chef d’état-major [des armées], le général Prayuth [Jan-ocha] a doté son équipe de relations publiques d’un très photogénique porte-parole, le lieutenant-colonel Wanchana Sawasdee). Ce qui montre plus les divisions internes (après les récentes nominations du début octobre) que l’absence de débat sur l’opportunité d’un supposé « putsch aquatique », idée bien surprenante lancée par certains journalistes soucieux de sensationnalisme. Jouer son avenir politique et sa légitimité dans ce contexte excessivement aléatoire (pluie, vent, marées sont incontrôlables) et très sensible fonctionnellement présentait un risque que l’Armée thaïlandaise n’était pas prête à assumer. En revanche, travailler son image et améliorer sa popularité après les événements du printemps 2010 sera toujours utile dans un possible deuxième temps.
Cette crise va-t-elle approfondir les divisions déjà observées lors des événements du printemps 2010 ?
La crise révèle la réalité de la Thaïlande : d’une part, un vrai élan de solidarité nationale et de prise en charge collective dans un sang-froid qui force l’admiration ; d’autre part, un individualisme assumé (on stocke de l’eau ou des médicaments sans aucun souci de laisser le voisin s’approvisionner) ; enfin, cette crise révèle la dépendance de l’économie, et de l’organisation (sociale, urbaine, logistique) qui en découle, à la mondialisation : cette Thaïlande « utile » a évidemment plus de poids. En revanche, il me semble que les interprétations politiques qui s’expriment sur cette hiérarchie (terme que je préfère à celui de fracture sociale) sont trop simplistes.
Le Parti démocrate est-il derrière la récente demande d’enquête exprimée par le Conseil des juristes de Thaïlande ?
L’arme judiciaire a été le fer de lance politique du Parti démocrate depuis l’arrivée de Thaksin Shinawatra au pouvoir en 2001 et les juges ont acquis un pouvoir nouveau. Avec plus ou moins d’abus d’ailleurs et une interprétation parfois très subjective des lois. Des différentes interviews que j’ai faites ici, il transparaît que la société thaïlandaise est aussi fatiguée par ces manœuvres dont la substance technique lui échappe la plupart du temps. Rien n’indique donc qu’actuellement, la population, qui a massivement voté en faveur du Pheu Thai aux élections législatives de juillet dernier, interprète bien ces manipulations. Éprouvée, voire excédée, par la fatigue accumulée ces dernières semaines, il ne me semble pas qu’elle trouve les attaques du Parti démocrate à-propos. Et rapidement s’exprimerait en retour la critique qu’Abhisit [Vejajivaj] aurait pu agir plus tôt.
À mon avis, c’est vers le mois de janvier, quand toute menace sera vraiment écartée, que l’agitation anti-Yingluck va reprendre et sera orchestrée probablement par le Parti démocrate. Question suivante : est-ce que le Premier ministre aura repris à cette période, les rênes du pouvoir ? La visite [de la secrétaire d’État américaine] Hillary Clinton, le 17 novembre à Bangkok, pourrait fournir un coup de pouce appréciable en la confortant dans ses projets de reconstruction et réhabilitation.
Thaksin Shinawatra a été relativement discret ces dernières semaines. A-t-il renoncé à ses ambitions de retour ? Et la monarchie ?
Si Yingluck [Shinawatra] est critiquée, voire écartée du pouvoir, son frère n’aurait aucun intérêt à être associée à son action, qui a objectivement fait preuve d’amateurisme. Si elle parvient à retrouver une certaine crédibilité politique et à relancer dans les mois qui viennent la machine économique, il pourra toujours dire qu’il l’a conseillée discrètement. Thaksin [Shinawatra] est un fin politique : il se rend parfaitement compte qu’agiter un débat supplémentaire aujourd’hui se retournerait contre lui. Il attend, pragmatique, se contentant d’envoyer des messages de sympathie aux millions de Thaïlandais se trouvant dans une situation précaire ; tirer la couverture médiatique à lui alors que la détresse domine serait une erreur politique de premier ordre qu’il ne commettra pas.
Les membres de la famille royale quant à eux entretiennent des réseaux de charité largement activés ces dernières semaines. Et sur ce terrain-là aussi, une lecture politique est possible. Au-delà des dons octroyés par le couple royal (très discret du fait de l’état de santé du roi « éprouvé par la situation de son peuple » – il a été victime d’un malaise la semaine dernière), la princesse Sirindhorn fait beaucoup, soutient de multiples causes et se déplace énormément suivie par les caméras. Le prince Vajiralongkorn a également fait des dons mais ceux-ci ont été moins médiatisés. Un indicateur à suivre tant la question implicite est sensible.
* Sophie Boisseau du Rocher, chercheur à l’Asia Centre (Paris), est l’auteure de L’Asie du Sud-Est prise au piège, Perrin, Paris, 2009, 452 p. et de Cambodge, la survie d’un peuple, Belin, Paris, 2011, 208 p.
http://www.editions-perrin.fr/_docs/9782262028978.pdf
source http://webasies.com/inondations-en-thailande-entretien-avec-sophie-boisseau-du-rocher-chercheur/
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Le désespoir des oubliés des inondations
Quand les inondations ont gagné son quartier, l’eau est entrée dans la maison d’Arunee Ninkaew par les canalisations, entre les carreaux du plancher, à travers les murs. Un mois plus tard, les journaux n’en parlent presque plus mais l’eau est toujours là, putride.
Cette femme de 48 ans vit dans une seule pièce du premier étage, avec un mari diabétique, sa belle-mère et son petit fils. Du rez-de-chaussé inondé, envahi de détritus, émane une odeur pestilentielle qui semble installée pour l’éternité. Alors elle se réveille la nuit. « Je me demande quand. Quand cette eau va-t-elle partir ? ».
La Thaïlande a été confrontée depuis juillet à ses pires inondations depuis cinquante ans, qui ont fait plus de 600 morts. Aujourd’hui, l’heure est au nettoyage, aux comptes et aux stratégies pour redémarrer l’appareil productif. Mais on circule encore en bateau dans le district de Don Mueang, où vit Arunee et sa famille.
Elle et ses voisins se considèrent comme des oubliés des autorités, maintenant que le centre-ville financier et commercial n’est plus menacé et que les grands magasins détruisent avec bonheur les murs de sacs de sable bâtis il y a quelques semaines, au cas où l’eau arriverait jusqu’à eux. Pour épargner les forces vives de son économie, le pouvoir a érigé d’immenses digues qui, tout en protégeant le centre, ont submergé les quartiers qui se trouvaient du mauvais côté des barrières.
Mais plus d’un mois après, la colère est vive chez les sinistrés. Les journaux font état de manifestations et d’incidents quasi-quotidiens, les résidents des zones inondées se rassemblant parfois pour ouvrir des brèches et évacuer l’eau plus vite. »Je regarde les informations jusqu’à en devenir dingue. Je vois la ville à sec alors que personne ne vient voir le niveau d’eau ici. Le gouvernement se fiche de nous », proteste Arunee.
Par endroit, les eaux stagnantes ont été gagnées par des larves d’insectes. Les murs pourrissent dans la moiteur, les nuages de moustiques sont visibles dans l’ombre. »On ne s’attendait pas à ça, ni à ce que cela dure aussi longtemps. On a vraiment souffert. C’est très dur ».
Elle gagne sa vie en vendant de la petite épicerie, mais elle n’a pas pu travailler depuis le début des inondations et ni son mari, ni sa belle-mère n’ont quitté la maison. Ils survivent donc avec de l’argent envoyé par son fils et tuent le temps dans cette petite chambre du premier, abrutis par la télévision.
Quelque 42 000 personnes sont encore hébergées dans des centres d’évacuation autour de la capitale. Mais beaucoup sont restés chez eux, à l’image de la vingtaine d’habitations encore occupées autour de chez Arunee.
Son voisin, Anuroj Jaisaard, se demande encore comment le désastre a pu prendre de telles proportions, dans un pays habitué aux moussons abondantes et aux inondations annuelles. »Ne me faites pas parler politique, je ne sais pas m’arrêter », dit-il, en pêchant depuis le premier étage de sa maison. « Mais ce n’est une situation normale. Ce n’est pas naturel. Quelqu’un doit en assumer les responsabilités ».
La Première ministre Yingluck Shinawatra a déclaré la semaine dernière que la capitale était totalement hors de danger. Mais Arunee a du mal avec ce discours. »Je veux qu’elle aide les pauvres pour qu’ils puissent reprendre le travail », réclame-t-elle. « Ce village a été oublié ».
Le ministre de la Défense, le général Yutthasak Sasiprapa, a estimé de son côté que les inondations auraient disparu avant le nouvel an, en redemandant aux sinistrés d’être patients. Pour Arunee et ses voisins, c’est beaucoup demander.
source http://webasies.com/en-thailande-le-desespoir-des-oublies-des-inondations/
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