Birmanie : la Dame en campagne
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Birmanie : la Dame en campagne
Dans la circonscription, rurale et enclavée, où se présente Aung San Suu Kyi, la lutte contre la pauvreté demeure l’enjeu majeur pour une population prête à plébisciter l’icône de la démocratie.
Par ARNAUD VAULERIN Envoyé spécial à Kawhmuu
Bienvenue dans la politique au ras de la rizière. On est dans la circonscription de Kawhmuu, une vaste plaine rurale du delta de l’Irrawaddy où Aung San Suu Kyi s’est parachutée pour les législatives partielles du 1er avril. Là, au milieu des champs et des marécages hérissés de rares bosquets vivent 120 000 personnes disséminées dans des dizaines de villages de tôles et de bambous. Qui pensent d’abord à manger et à tenir avec leurs maigres revenus agricoles.
En mai 2008, la zone a été soufflée par le cyclone Nargis. Les centaines de maisons écroulées ont été reconstruites, les routes rebouchées à la va-vite, mais Kawhmuu est restée enclavée. Depuis Rangoun, il faut deux heures, un ferry, un taxi et pas mal de patience pour rejoindre le chef-lieu de la circonscription, qui s’étire sur une route défoncée et poussiéreuse. L’agitation embouteillée de l’ancienne capitale appartient à un autre monde. Ici, la Birmanie des champs interpelle la Birmanie des villes.
Ce matin-là, deux femmes incarnent un dilemme grandissant chez les Birmans. L’une répète à l’envi les termes de «démocratie» et «droits de l’homme». L’autre fait les comptes. Entre elles, un fossé, même si toutes deux soutiennent la candidate Aung San Suu Kyi attendue ici comme le messie. Su Su Nway est venue au village de Sapagan mobiliser une vingtaine d’agriculteurs. Née non loin de là il y a quarante ans, l’activiste indomptable de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) a de l’énergie pour dix quand elle appelle les villageois «à voter sans peur». Elle qui a passé cinq ans dans les geôles birmanes pour «diffamation» et «manifestation interdite», avant d’être libérée en novembre.
Confiscations. A 200 mètres de là, Khin Shwe Latt balaie devant sa maison en bambou. L’agricultrice n’a jamais entendu parler de la Ligue nationale pour la démocratie. Mais, «bien sûr», elle connaît la «Dame» pour qui elle votera «sans aucune peur». Fin de la discussion politique. Khin Shwe Latt est franchement plus loquace quand elle explique la «baisse constante de la production de riz à cause des inondations et de la mauvaise qualité des sols» consécutive à la production intensive et aux engrais. Elle s’estime heureuse quand elle empoche 3 dollars de la vente de son riz et de ses légumes au marché. Alors, elle vit à crédit pour élever ses enfants, comme une bonne partie des habitants d’ici. Elle emprunte auprès d’amis ou d’une petite banque quand les 400 dollars (303 euros) d’aide annuelle du gouvernement ne sont pas versés. Et nourrit ses proches en allant pêcher dans le delta et piocher dans son jardin. «Ces gens doivent pouvoir manger et vivre dignement, analyse Su Su Nway. C’est le premier des droits.» La pasionaria de la LND embraye sur les confiscations des terres agricoles par «les militaires» et la «nécessité d’avoir un bon leader pour défendre les droits des agriculteurs au Parlement».
L’organisateur local de la campagne à Kawhmuu revient à l’assaut. Il a constitué 17 équipes pour ratisser en moto la circonscription. Leur feuille de route tient en deux points : «Enseigner aux villageois qu’il ne faut plus avoir peur et leur dire de voter pour Aung San Suu Kyi, aujourd’hui libre, qui refait de la politique, qui rencontre le président Thein Sein.» Un programme minimaliste. En fait, cette élection n’est pas une législative mais un plébiscite. Une campagne d’adhésion à la personne de la Dame, à l’icône de la démocratie. La LND, c’est elle aux yeux de nombreux Birmans qui méconnaissent le nom de son parti. «L’ambiance à la LND est d’ailleurs parfois dictatoriale, analyse une intellectuelle de Rangoun. On cite souvent l’un des slogans de l’armée : "un sang, une voix, une ligne de commandement". C’est la même chose pour la LND. Car il y a beaucoup d’idéalisme chez Suu Kyi.»
«Microcrédit». A la faveur des réformes annoncées par le gouvernement civil, la Dame s’est assouplie. Très investie depuis sa libération en 2010 dans des discussions avec le régime de Thein Sein et des rencontres internationales, elle ne s’est guère consacrée au quotidien des Birmans. «Nous ferons campagne sur la résolution des problèmes avec les ethnies nationales, l’Etat de droit et l’amendement de la constitution de 2008, expliquait-elle le 15 janvier. Avant de rectifier. Cela doit s’accompagner de grandes mesures sociales et économiques pour sortir le plus de gens de la pauvreté. Nous proposerons notamment des solutions de microcrédit.»
A Kawhmuu, le régime n’a pas attendu pour lancer la campagne. Comme par hasard, les annonces d’électrification se multiplient. Tout comme les travaux depuis plusieurs semaines. Un petit pont brinquebalant depuis des mois a reçu la visite d’ouvriers qui ont lancé un chantier de soutènement. Plus loin, un panneau vert annonce la couleur : «Le Parti de l’union, de la solidarité et du développement [USDP] rassemble de l’argent pour refaire la route.» Comme si le parti et l’Etat ne faisaient qu’un. A Kawhmuu, le siège de l’USDP est un entrepôt où sont stockés des outils et des machines. Personne dans les bureaux. «Les dirigeants du parti sont en meeting à l’autre bout de la circonscription», explique une secrétaire que l’on vient de réveiller. Autrement dit «loin, très loin». Comme si l’élection était jouée d’avance.
http://www.liberation.fr/monde/01012387374-birmanie-la-dame-en-campagne
Par ARNAUD VAULERIN Envoyé spécial à Kawhmuu
Bienvenue dans la politique au ras de la rizière. On est dans la circonscription de Kawhmuu, une vaste plaine rurale du delta de l’Irrawaddy où Aung San Suu Kyi s’est parachutée pour les législatives partielles du 1er avril. Là, au milieu des champs et des marécages hérissés de rares bosquets vivent 120 000 personnes disséminées dans des dizaines de villages de tôles et de bambous. Qui pensent d’abord à manger et à tenir avec leurs maigres revenus agricoles.
En mai 2008, la zone a été soufflée par le cyclone Nargis. Les centaines de maisons écroulées ont été reconstruites, les routes rebouchées à la va-vite, mais Kawhmuu est restée enclavée. Depuis Rangoun, il faut deux heures, un ferry, un taxi et pas mal de patience pour rejoindre le chef-lieu de la circonscription, qui s’étire sur une route défoncée et poussiéreuse. L’agitation embouteillée de l’ancienne capitale appartient à un autre monde. Ici, la Birmanie des champs interpelle la Birmanie des villes.
Ce matin-là, deux femmes incarnent un dilemme grandissant chez les Birmans. L’une répète à l’envi les termes de «démocratie» et «droits de l’homme». L’autre fait les comptes. Entre elles, un fossé, même si toutes deux soutiennent la candidate Aung San Suu Kyi attendue ici comme le messie. Su Su Nway est venue au village de Sapagan mobiliser une vingtaine d’agriculteurs. Née non loin de là il y a quarante ans, l’activiste indomptable de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) a de l’énergie pour dix quand elle appelle les villageois «à voter sans peur». Elle qui a passé cinq ans dans les geôles birmanes pour «diffamation» et «manifestation interdite», avant d’être libérée en novembre.
Confiscations. A 200 mètres de là, Khin Shwe Latt balaie devant sa maison en bambou. L’agricultrice n’a jamais entendu parler de la Ligue nationale pour la démocratie. Mais, «bien sûr», elle connaît la «Dame» pour qui elle votera «sans aucune peur». Fin de la discussion politique. Khin Shwe Latt est franchement plus loquace quand elle explique la «baisse constante de la production de riz à cause des inondations et de la mauvaise qualité des sols» consécutive à la production intensive et aux engrais. Elle s’estime heureuse quand elle empoche 3 dollars de la vente de son riz et de ses légumes au marché. Alors, elle vit à crédit pour élever ses enfants, comme une bonne partie des habitants d’ici. Elle emprunte auprès d’amis ou d’une petite banque quand les 400 dollars (303 euros) d’aide annuelle du gouvernement ne sont pas versés. Et nourrit ses proches en allant pêcher dans le delta et piocher dans son jardin. «Ces gens doivent pouvoir manger et vivre dignement, analyse Su Su Nway. C’est le premier des droits.» La pasionaria de la LND embraye sur les confiscations des terres agricoles par «les militaires» et la «nécessité d’avoir un bon leader pour défendre les droits des agriculteurs au Parlement».
L’organisateur local de la campagne à Kawhmuu revient à l’assaut. Il a constitué 17 équipes pour ratisser en moto la circonscription. Leur feuille de route tient en deux points : «Enseigner aux villageois qu’il ne faut plus avoir peur et leur dire de voter pour Aung San Suu Kyi, aujourd’hui libre, qui refait de la politique, qui rencontre le président Thein Sein.» Un programme minimaliste. En fait, cette élection n’est pas une législative mais un plébiscite. Une campagne d’adhésion à la personne de la Dame, à l’icône de la démocratie. La LND, c’est elle aux yeux de nombreux Birmans qui méconnaissent le nom de son parti. «L’ambiance à la LND est d’ailleurs parfois dictatoriale, analyse une intellectuelle de Rangoun. On cite souvent l’un des slogans de l’armée : "un sang, une voix, une ligne de commandement". C’est la même chose pour la LND. Car il y a beaucoup d’idéalisme chez Suu Kyi.»
«Microcrédit». A la faveur des réformes annoncées par le gouvernement civil, la Dame s’est assouplie. Très investie depuis sa libération en 2010 dans des discussions avec le régime de Thein Sein et des rencontres internationales, elle ne s’est guère consacrée au quotidien des Birmans. «Nous ferons campagne sur la résolution des problèmes avec les ethnies nationales, l’Etat de droit et l’amendement de la constitution de 2008, expliquait-elle le 15 janvier. Avant de rectifier. Cela doit s’accompagner de grandes mesures sociales et économiques pour sortir le plus de gens de la pauvreté. Nous proposerons notamment des solutions de microcrédit.»
A Kawhmuu, le régime n’a pas attendu pour lancer la campagne. Comme par hasard, les annonces d’électrification se multiplient. Tout comme les travaux depuis plusieurs semaines. Un petit pont brinquebalant depuis des mois a reçu la visite d’ouvriers qui ont lancé un chantier de soutènement. Plus loin, un panneau vert annonce la couleur : «Le Parti de l’union, de la solidarité et du développement [USDP] rassemble de l’argent pour refaire la route.» Comme si le parti et l’Etat ne faisaient qu’un. A Kawhmuu, le siège de l’USDP est un entrepôt où sont stockés des outils et des machines. Personne dans les bureaux. «Les dirigeants du parti sont en meeting à l’autre bout de la circonscription», explique une secrétaire que l’on vient de réveiller. Autrement dit «loin, très loin». Comme si l’élection était jouée d’avance.
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Date d'inscription : 31/05/2009
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