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Rendez-vous avec la Dame de Rangoon

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Message  thanaka Sam 25 Déc 2010 - 12:45

Rendez-vous avec la Dame de Rangoon Aung-San-Suu-Kyi-Aung-San-Suu-Kyi_articlephoto
Aung San Suu Kyi dans le bureaude sa maison du 54 University Avenue. Cette belle demeure coloniale est délabrée : elle a tenté de l’entretenir elle-même pendant ses longues années d’emprisonnement. Photo Soe Zeya Tun/REUTER

Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la paix, nous a reçus chez elle, dans la maison où elle a été assignée à résidence pendant des années

Par Flore Olive - Paris Match

Paris Match. Qu’avez-vous fait ­depuis que vous avez été libérée ?
Aung San Suu Kyi. J’ai repris contact avec mes proches, puis avec le reste du monde. Cela explique que je ne trouve que difficilement des moments de calme, notamment pour lire. Avant, j’étais capable de rester des heures plongée dans un livre. Depuis ma libération, je n’ai pu consacrer que trois ou quatre heures à la lecture. Il va falloir que j’y remédie, et pas seulement parce que j’aime lire. Je pense qu’il est important de rester en prise avec les idées des autres, aussi bien à travers les livres qu’à travers les échanges avec les gens. Avant, ma vie était si calme... Maintenant, elle est chaotique ! C’est dur. Pas psychologiquement, bien sûr, mais physiquement. J’aimerais dormir une journée entière !

Quels sont les auteurs qui vous touchent ?
Il y en a beaucoup mais, parmi les auteurs français, j’aime particulièrement Victor Hugo à cause des “Misérables”. Parce que, dans son œuvre, il évoque ces révolutionnaires qui ne sont pas que des jeunes gens. Son héros, Jean Valjean, en était un dans un certain sens, et j’aime ça.

Qu’entendez-vous par “révolutionnaire” ?
Je n’ai pas besoin d’expliquer aux Français ce qu’est l’esprit révolutionnaire, ce sont eux qui l’ont inventé ! Ce que nous voulons, c’est que la Birmanie devienne libre. Ici, les gens ne sont pas libres parce que la pauvreté les maintient enchaînés, et d’autres ne le sont pas à cause de leurs idées. Mais la principale raison pour laquelle les gens ne sont pas libres ici, c’est parce que la loi n’y signifie rien. Les lois sont bien là, mais on ne sait jamais comment elles vont être mises en œuvre. Vivre dans un pays où la loi est appliquée correctement vous procure un sentiment de sécurité. Si vous tuez quelqu’un, vous êtes jugé et emprisonné. Mais nous, les membres de la LND, nous ne savons même pas pourquoi nous sommes arrêtés. Ici, nous ne sommes pas libres parce que la loi ne règne pas en maître.

Comment se passaient vos journées lorsque vous étiez recluse ?
Ma vie quotidienne était très organisée : je me levais tôt, vers 4 h 30, puis j’écoutais les programmes de la radio birmane, qui démarrent à 5 h 30, ainsi que ceux de Voice of America, Radio France international et Democratic Voice of Burma. Cela m’occupait durant trois heures environ. Ensuite, je prenais un bain et je faisais mes prières avant le petit déjeuner. Je passais le reste de la journée à lire et à faire des petits travaux d’entretien dans ma maison, qui est vieille et n’est plus en très bon état. Il y a toujours des choses à y faire. J’y effectuais notamment de petits travaux d’électricité. Pour les grosses pannes, je devais faire appel à quelqu’un. Mais je dois dire que je suis devenue assez compétente en ce qui concerne les petites réparations électriques !

Quels sont les principaux changements que vous avez perçus dans la société birmane ?
Le plus évident, c’est l’implication des jeunes. Ceux qui nous soutiennent semblent plus nombreux qu’il y a sept ans. Je pense que cela est dû à l’amélioration des communications, qui se sont énormément développées. Maintenant, tout le monde a un “téléphone à main” [portable], ils prennent des photos et, bien sûr, il y a Internet. Tout ce qui se passe ici se retrouve aussitôt sur Internet. Cette prolifération de l’information représente le plus gros changement, parceque les gens sont mieux informés sur la politique.

Un diplomate a déclaré que la LND était un parti “de vieux militants malades”. Qu’en dites-vous, et comptez-vous nouer des liens avec la jeune élite birmane ?
Bien sûr, c’est inévitable. Les gens disent toujours que les cadres du parti sont âgés, et il est évident que les jeunes doivent y avoir leur place. Cependant, on oublie une chose : à quel point nos “vieux leaders” ont travaillé dur et ont été loyaux en dépit de leur grand âge. Certains sont en très mauvaise santé, mais ils ont continué à faire ce qu’ils pouvaient, tout en encourageant les jeunes à prendre la parole et à s’impliquer. Dans un mouvement comme le nôtre, une fois que vous y êtes, c’est jusqu’à la victoire ou jusqu’à la mort. Vous ne le quittez pas. C’est ce que font nos anciens : ils continuent tout en protégeant les plus jeunes. Et, bien qu’ils soient en première ligne, cela n’empêche pas les jeunes de se faire régulièrement arrêter. Ceci est un de nos plus gros problèmes : les jeunes sont plus susceptibles d’être arrêtés que les anciens. Malgré cela, nous comprenons le besoin d’injecter du sang neuf dans notre parti, et c’est ce que nous faisons.

Quelle est aujourd’hui votre marge de manœuvre ?
Je pense que nous devons créer notre propre espace. Nous ne faisons rien d’inconsidéré ou d’irréfléchi, mais nous ne comptons pas rester passifs. Car, dans ce cas, nous n’aurions plus de raison d’être. Mais il n’y a aucune garantie que nous ne serons pas arrêtés : quoi que nous fassions, même si ça ne semble pas beaucoup, quand les autorités se sentent menacées, elles nous arrêtent. Donc, nous travaillons et mettons en œuvre notre politique sans garder perpétuellement un œil sur le fait que nous pouvons être arrêtés, sinon nous ne ferions rien.

Avez-vous un dialogue avec la junte, même par médias interposés ?
Ils écrivent parfois des articles sur nous dans la presse, et ce ne sont pas des compliments. Si vous cherchez les papiers où ils ont reconnu nos qualités, vous ne les compterez même pas sur les doigts d’une main. Ce n’est pas un “dialogue”, mais c’est au moins une réaction à ce que nous faisons, grâce à laquelle nous pouvons parier sur ce qu’ils pensent.

Vous avez déclaré que “ce n’est pas le pouvoir qui corrompt, mais la peur”. Pouvez-vous nous expliquer ce que cela signifie ?
Quand les gens ont le pouvoir, ils ne veulent pas le perdre. Cette peur de le perdre les corrompt. Cela les amène à des comportements injustes parce qu’ils se cramponnent au pouvoir. Et ceux qui sont soumis à ce pouvoir sont également corrompus par la peur. S’ils essaient de faire ce qu’ils estiment juste, ils peuvent être persécutés, emprisonnés. Cela signifie qu’ils sont corrompus : ils préféreront rester en sécurité et faire même ce qu’ils savent ne pas être juste. Dans notre société où le régimeest de nature autoritaire, je pense que la peur corrompt bien plus de gens que tout un tas de faits d’autre nature.

Pensez-vous qu’il faille maintenir les sanctions internationales contre la Birmanie ?
Nous devons réexaminer notre position sur cette question, regarder si les sanctions ont un véritable impact. Je pense qu’elles ont un impact politique, et qu’elles pourraient avoir aussi un impact commercial, mais des organisations internationales comme le FMI ont déclaré, dans un récent rapport, que les conséquences économiques de ces sanctions n’avaient qu’un effet minimum. Elles n’affectent pas vraiment la vie quotidienne des Birmans. Certains prétendent pourtant que des milliers de travailleurs auraient perdu leur travail... Nous devons nous pencher là-dessus. Ce n’est pas nous qui avons imposé ni même proposé les sanctions, mais nous les avons approuvées d’un point de vue politique.

Si la Birmanie devenait une terre de liberté, quel est le premier pays où vous iriez ?
J’irais en Norvège, car je l’ai promis. En 1991, quand j’étais dans une situation très difficile, après les élections que nous avions gagnées et après la répression que les militaires ont exercée à notre encontre, la Norvège a attiré sur nous l’attention internationale en m’attribuant le Nobel. Tout à coup, nous avons su que le monde ne nous oubliait pas, malgré l’arrestation ou l’exil de la plupart de nos militants. Pour cette raison, j’ai promis que le premier pays que je visiterais quand je le pourrais serait la Norvège. Mais j’adore Paris !

Quels souvenirs en gardez-vous ?
J’en ai beaucoup. J’ai souvent repensé à des crêpes à la crème de marron que j’avais mangées dans le quartier de Montparnasse. Je les avais achetées dans une petite baraque. J’étais jeune étudiante, je les avais mangées dans la rue, et je trouvais cela charmant. Je garde également de très bons souvenirs des Parisiens.

Regrettez-vous l’Europe ?
Mes amis me manquent et il y a de nombreux endroits que j’aime en Europe. Oxford, surtout, où vit ma famille ainsi que mon plus jeune fils, Kim. Souvent, j’aimerais y retourner.

Comment se sont passées les ­retrouvailles avec votre fils ?
Très agréablement. Je n’ai ressenti aucun décalage entre nous, alors que nous ne nous étions pas vus depuis dix ans.

Si vous aviez eu une autre vie, qu’aurait-elle été ?
L’un des plus beaux moments de mon existence, durant mon arrestation, c’est quand j’ai réalisé que je n’aurais vraiment pas voulu être quelqu’un d’autre. Pas parce que je me trouve merveilleuse, mais parce que chacun a ses propres problèmes. Je me suis dit qu’être quelqu’un d’autre ne serait pas mieux que d’être qui je suis. Comprendre
cela m’a donné de la force. Je suis préparée à faire face. Quels que soient mes problèmes, je ne les fuis pas. Dans tous les cas, je n’estime pas que j’ai tant souffert.

Cette année, le prix Nobel de la paix a été attribué à Liu Xiaobo, actuellement détenu en Chine. Quels conseils pourriez-vous lui donner ?
Je ne sais pas grand-chose de lui. J’en ai seulement entendu parler à la radio car, ces deux dernières années, mes lectures étaient censurées. Je ne me crois pas en position de conseiller qui que ce soit, mais je considère que chacun, où qu’il soit dans le monde, doit valoriser les droits de l’homme. Il ne faut pas travailler pour soi, mais pour l’ensemble du genre humain.

Quelle est la valeur la plus ­importante pour vous ?
La gentillesse. Elle a été très importante pour nous qui travaillons pour la démocratie en Birmanie. Nous en avons besoin. Il n’y a pas tant de gens gentils dans ce monde. Alors, quand nous en rencontrons, nous savons les apprécier.

source http://www.parismatch.com/Actu-Match/Monde/Actu/Aung-San-Suu-Kyi-Birmanie-Rangoon-234327/
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