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Message  Admin Mer 5 Mai 2010 - 22:10

La crise en Thaïlande, symptôme d'une fin de règne

La Thaïlande a acquis une certitude : la crise déclenchée par le mouvement antigouvernemental des "chemises rouges" marque un tournant dans la vie du royaume. Un tournant dans un cycle politique entamé en 2006 avec le renversement par un coup d'Etat militaire de Thaksin Shinawatra - seul premier ministre thaïlandais à avoir achevé un premier mandat et à avoir été réélu - et qui s'achèvera avec la mort du roi Bhumibol Adulyadej, le plus ancien souverain de la planète, 82 ans, dont soixante-quatre ans de règne. La Thaïlande entrera alors dans l'ère de toutes les incertitudes.

C'est un tournant car les "chemises rouges" ont révélé aux Thaïlandais la division extrême de leur société. Entre riches et pauvres. Entre de vieilles élites conservatrices, monarchistes, financièrement privilégiées, et une paysannerie victime de l'industrialisation et de l'exode rural. Une nouvelle élite, ayant eu accès au capitalisme triomphant des années Thaksin, émerge par ailleurs, et, elle aussi, rejette les vieilles classes dirigeantes. Encore ces catégories sont-elles trop caricaturales pour décrire à quel point les fractures paraissent multiples et profondes. Et ces divisions, dont les Thaïlandais prennent conscience, leur font peur.

Politiquement, il y a deux manières de regarder la crise. Thaksin Shinawatra, le premier ministre le plus populaire que la Thaïlande ait connu, par ailleurs autoritaire et corrompu, a été injustement renversé, puis deux gouvernements pro-Thaksin ont été renversés par les "chemises jaunes" aujourd'hui au pouvoir. L'actuel gouvernement d'Abhisit Vejjajiva est donc illégitime, né d'intrigues de palais et de la volonté de l'armée. Ce qui est vrai. Dans l'autre camp, on explique que Thaksin, ex-premier ministre en exil suite à des condamnations pour corruption, en cavale entre Dubaï et le Monténégro, lève et finance une horde de dangereux paramilitaires et de manants peu au fait des subtilités de la politique, pour occuper le centre de la capitale et déstabiliser l'économie d'un pays qui n'aspire qu'à la paix et à la démocratie. Et ce n'est pas faux.

Mais les ressorts profonds de la crise sont ailleurs, dans l'évolution d'une société aux inégalités criantes ; dans la prise de conscience que nul, à part Thaksin, clament ses partisans, n'a jamais envisagé de meilleur partage des richesses ; et dans une fin de règne du roi qui ouvre la porte aux craintes les plus sombres.

Ce n'est pas un hasard si les acteurs du pouvoir thaïlandais ont fait preuve de modération face aux "rouges". Ils savent que ces derniers bénéficient d'une popularité qui dépasse de loin les défavorisés, et séduisent aussi des fonctionnaires, des militaires, des policiers, des intellectuels et des entrepreneurs. Intervenir trop radicalement contre les "rouges" comportait le risque de se couper davantage d'une large frange de la société. Sans compter que l'attente de démocratie et de réduction des inégalités est souhaitée bien au-delà des cercles "rouges".

Le premier ministre, Abhisit Vejjajiva, a géré la crise, reclus dans un camp militaire, avec prudence. Mais avait-il le choix ? L'armée et la police lui auraient-elles obéi en cas d'ordre plus radical ? Le chef de l'armée, le général Anupong Paojinda, a appelé à un accord politique, et prévenu qu'il se refusait à utiliser la force contre les "rouges". Mais, outre qu'il achève son mandat en septembre et ne souhaitait pas partir sur un coup d'Etat ou un carnage, avait-il une autre option ? Un coup de force militaire n'aurait-il pas signé un divorce historique entre les Thaïlandais et leur armée ? Le roi Bhumibol Adulyadej, enfin, est resté silencieux. Il n'a pas, comme en 1992, fait s'agenouiller et ramper les protagonistes de la crise devant le trône. Mais - question taboue au royaume de Siam - aurait-il, cette fois, été obéi ? Certains en doutent.

Cette crise, au-delà des revendications politiques et sociales, est aussi une manifestation d'une fin de règne. Sans même présager de la difficulté pour le prince héritier Maha Vajiralongkorn de succéder à un père qui aura régné plus de six décennies avec un statut égal à celui d'un dieu, la question est : quelle Thaïlande après Bhumibol ? Même les monarchistes les plus fervents s'interrogent. Le système reposant sur un roi vénéré, entouré d'un conseil privé composé de fidèles généraux (dirigé depuis 1998 par le puissant et habile Prem Tinsulanonda) et d'une armée qui contrôle ou influence les gouvernements avant de leur obéir, semble peu compatible avec la quête de démocratie des Thaïlandais.

Le fait que la famille royale soit l'une des premières fortunes de la planète, dans un pays où les défavorisés sont oubliés, commence aussi à être critiqué.

Si guerre de succession il y a, c'est donc celle d'un système. Thaksin n'a pas été renversé uniquement parce qu'il était corrompu, ou parce qu'il déplaisait au roi, à Prem et à l'armée, mais parce que son autorité et son insolente popularité mettaient en péril l'édifice. Parce qu'il a fait entrevoir aux défavorisés qu'ils avaient des droits, à commencer par celui d'avoir un gouvernement se préoccupant d'eux, et aux urbains qu'ils pouvaient prétendre être l'élite de demain.

Les slogans "Thaksin président", murmurés par des "rouges" eux-mêmes effrayés par une telle audace, ne sont pas rares. Cela ne signifie pas que le peuple veuille échanger la monarchie pour une république, mais cela montre que la soif de changement ne concerne pas que la politique économique et sociale.

Le tournant est là, dans cette libération de la parole, cette libération des rêves des Thaïlandais. Conservatisme et arrogance des élites traditionnelles, corruption, identité nationale et classes sociales, rôle du conseil privé et de l'armée, ère post-Bhumibol : tous les sujets sensibles sont désormais évoqués. Dans une société où l'on apprend au peuple à obéir en souriant, sans poser de questions, les tabous sont peu à peu levés. Les verrous psychologiques sautent. Déclenchant, poison ou progrès, sans retour en arrière possible, ce qui est à la fois une peur et une ivresse de l'inconnu.

Rémy Ourdan

source www.lemonde.fr
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Message  Admin Mer 5 Mai 2010 - 22:12

Une masse rurale de moins en moins docile

Le gouvernement a fini par proposer, le 3 mai, un compromis qui satisfait les manifestants rassemblés à Bangkok. Ces derniers, originaires des campagnes, refusent de se sloumettre à l'influence du pouvoir central.

La nouvelle est le genre littéraire dans lequel excellent les auteurs thaïlandais. L’une des plus célèbres s'intitule La Grenouille aux pattes d’or, de Khamsing Srinawk [né en 1930 dans le Nord-Est rural, d’où sont originaires un grand nombre des manifestants antigouvernement rassemblés depuis près de deux mois à Bangkok]. Quand l’histoire débute, Nak est assis le long d’une route poussiéreuse, adossé à un arbre, écrasé par la chaleur intense de l’après-midi, et il repense aux événements de la journée. Tôt le matin, il était parti aux champs avec deux de ses cinq enfants pour attraper des grenouilles. Son plus jeune fils en avait pourchassé une qui avait sauté dans une profonde empreinte de buffle. En voulant la ramasser, le petit garçon avait été mordu par un serpent. Le temps que Nak le ramène au village, l’enfant s'était affaibli et les guérisseurs ne savaient comment le soigner. Un voisin dit à Nak qu’il doit aller en ville, parce que le gouvernement offre une prime de 200 bahts [aujourd’hui 4,5 euros] aux familles pauvres comptant cinq enfants ou plus. Inquiet pour son fils, Nak refuse. Mais le chef du village intervient, et le prévient qu’il sera emprisonné s’il n’y va pas.

La scène clé a lieu lorsque Nak arrive au bureau du district. Les fonctionnaires le traitent comme un moins que rien. Ils le font attendre. “Idiot, tu ne vois pas que les gens travaillent ? Va attendre dehors.” Ils l’insultent. L’un d’entre eux lui demande pourquoi il a autant d’enfants. Les fonctionnaires le font attendre jusque dans l’après-midi dans le seul but de lui montrer leur pouvoir, et peut-être dans le vague espoir qu’il leur versera un pot-de-vin. Finalement, ils lui donnent son argent. Deux cents bahts, ce n’est peut-être rien, mais c’est plus qu’il n’en a jamais eu de toute sa vie. La fin est d’une terrible brutalité. Le fils de Nak est mort. Son voisin lui fait remarquer qu’il a eu de la chance d’aller en ville aujourd’hui, car le lendemain, cela aurait été trop tard. On ne sait si c’est parce que la prime n'aurait plus été offerte, ou parce que Nak n’y aurait plus eu droit puisqu’il n’a désormais plus que quatre enfants.

Un mélodrame en quatre pages. Cette nouvelle est à juste titre saluée comme un brillant tableau où s’entrelacent misère et pouvoir. Les petits fonctionnaires sont gras, oisifs, cruels. Nak est éperdu, démoralisé, soumis. Quand le texte a été publié, il y a quarante ans, on a loué sa capacité à décrire la réalité de la Thaïlande rurale. Quand on le relit aujourd’hui, on y trouve un message très différent. Comme les choses ont changé ! Certes, le soleil de l’après-midi est toujours écrasant, les serpents sont toujours dangereux, certains paysans vivent toujours dans la même oppression que Nak, et partout, les petits fonctionnaires continuent d’abuser de leur autorité. Mais aujourd’hui, Nak n’a pas cinq enfants. Les familles de cette importance sont devenues rares. Il est allé au collège, conduit un pick-up et affiche un robuste scepticisme face à tout ce qui est officiel. S’il a besoin d’aide, il peut s’adresser aux représentants des conseils locaux qui lui avaient demandé de voter pour eux. Au bureau du district, les fonctionnaires ont suivi une formation en matière de services, ils ont des objectifs à remplir. Il y a une clinique dans le village, et, dans le cadre du programme de santé universel, Nak peut emmener son fils à l’hôpital du district. Mais, surtout, la soumission totale de Nak, élément clé de l’histoire, a disparu.

Toutefois, beaucoup de gens continuent apparemment de croire que les agriculteurs thaïlandais sont toujours comme Nak. Ils s’accrochent à cette image, s’imaginent que les paysans sont toujours pauvres, sans éducation et opprimés. Il y a un ou deux ans, j’ai entendu un homme politique de haut rang parler des partisans de Thaksin Shinawatra, dont un grand nombre de partisans manifestent à Bangkok, comme de la “masse des mal-lavés”. Il pense sûrement vivre encore dans le monde du fonctionnaire de district de Nak, qui peut insulter qui bon lui semble parce que son pouvoir est immuable. Le mouvement de protestation des “chemises rouges” s’étant consolidé, ces vieilles attitudes remontent à la surface. Les paysans sont sans éducation, stupides, dans l’erreur, vendus, barbares, sauvages. Bien sûr, en réalité, ces attitudes sont un mécanisme de défense. Le véritable message de l’évolution politique de ces dernières années est que les gens ont davantage conscience de leurs propres intérêts, résultat d’une meilleure éducation, d’un meilleur accès aux médias, d’une augmentation de leurs revenus et de leurs moyens, et du niveau croissant de l’organisation politique. Mais c’est une idée trop complexe, trop révolutionnaire pour être acceptée. Mieux vaut se trouver une empreinte de buffle où se cacher.

source www.courrierinternational.com
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Message  Admin Ven 7 Mai 2010 - 6:05

En 70 ans, le pays a connu dix-sept coups d'Etat.

Une sortie de crise semble se présenter en Thaïlande. Les Rouges ont accepté, le 4 mai, la proposition du Premier ministre, Abhisit Vejjajiva, d'organiser des élections parlementaires le 14 novembre. Mais la sortie de crise est timide: mercredi, les Rouges restaient néanmoins retranchés dans le centre-ville de Bangkok.

***

Depuis 1932, date de l'abolition de la monarchie absolue, le système politique thaïlandais n'a jamais trouvé un rythme de croisière. De dépit, le roi de l'époque a abdiqué en 1935 et l'armée a pris la relève. Le trône est demeuré vacant pendant quinze ans, jusqu'au couronnement de Bhumibol Adulyadej, le monarque actuel qui célèbre donc, le 6 mai, le soixantième anniversaire de son intronisation. Entre temps, des dictatures militaires se sont succédées. Le maréchal Phibul Songkram, qui a collaboré avec le Japon pendant la Deuxième Guerre mondiale et a été interné pour crimes de guerre, a repris le pouvoir dès 1947, grâce à la guerre froide et à l'anti-communisme du protecteur américain. En 70 ans, la Thaïlande a connu dix-sept coups d'Etat, les uns contre des militaires en place, d'autres contre des gouvernements élus.

Une société complexe

Des militaires ont procédé à des massacres, en 1973, en 1976, en 1992. Le prestige de la monarchie ayant été rétabli au fil des décennies par Bhumibol, souverain adulé, ce dernier a pu s'imposer comme un arbitre, renvoyant dos à dos les adversaires du jour. Alors que la Thaïlande s'enrichissait considérablement, l'autorité morale de son roi lui a permis d'éviter l'irréparable. Toutefois, sur le plan politique, un équilibre réel n'a jamais pris racine. Une société devenue de plus en plus complexe, avec l'émergence de classes moyennes urbanisées, a vécu de report en report jusqu'à la crise financière régionale de 1997-1998 qui s'est ébauchée à Bangkok.

Le désert politique a été occupé par le mariage entre affaires et pouvoir jusqu'au jour où un milliardaire opportuniste, pur produit du sysème, ancien officier de police, Thaksin Shinawatra, a raflé la mise en garantissant aux petites gens -les ruraux, les pauvres des villes-, santé quasi-gratuite et crédits avantageux. Il a bénéficié de raz de marée électoraux en 2001 et 2005. Il s'est rempli, au passage, les poches. Il a remis en cause des situations acquises, celle de l'armée, de la bureaucratie, de grandes sociétés, de courtiers. Ses manœuvres, son autoritarisme ont été assez cousus de fil blanc pour provoquer un retour de vapeur. Il a été limogé par l'armée en 2006, sans effusion de sang.

Ce rappel historique dresse la toile de fond sur laquelle ont eu lieu les manifestations de Rouges à Bangkok et dans plusieurs provinces depuis le 14 mars. Leur revendication première est la fin du «deux poids deux mesures», d'un système à deux vitesses. Etre «phrai», membre du petit peuple, est devenu leur fierté. Ils se battent pour rogner les privilèges de l'«ammat», terme intraduisible qui englobe tous ceux qui ont des situations acquises. Beaucoup de militants rouges veulent sincèrement une société plus égalitaire et, pour y parvenir, réclament de nouvelles élections.

Trop loin

Mais, cette fois-ci, les choses sont allées loin -trop loin estiment certains. Le 29 avril, affirmant que des militaires s'étaient retranchés dans l'hôpital Chulalongkorn, qui compte 1.400 lits et jouxte leur campement en plein centre-ville, des Rouges ont lancé un raid musclé à l'intérieur de cet établissement, provoquant panique généralisée et indignation générale. Le personnel hospitalier a été contraint d'évacuer six cents malades et de fermer ses portes. Aucun soldat ne se trouvait dans l'enceinte de l'hôpital et les policiers de faction ont laissé faire. A plusieurs reprises, des ambulances transportant des blessés ont été bloquées en ville par des postes de contrôle mis en place par des Rouges.

Surtout, dans la soirée du 10 avril, alors que les forces de sécurité avaient reçu l'ordre de faire évacuer un autre campement de rouges, alors situé au cœur de la ville historique, des officiers ont été pris pour cibles par des tireurs d'élite disséminés parmi les manifestants. Un colonel a été tué, un général et un autre officier supérieur grièvement blessés. Les échanges de tirs ont fait 21 morts et plus de huit cents blessés. L'opération a été décommandée. Lors de leur repli, des soldats ont abandonné blindés, armes, munitions. Quelques-uns d'entre eux ont été pris en otage par les manifestants, qui ont fini par les libérer après les avoir exhibés.

Bangkok a également été le théâtre de plusieurs attentats, souvent à la grenade. Des lance-grenades M79 circulent. Un soldat a été abattu par une balle à haute vélocité, le travail d'un tireur d'élite. L'armée admet qu'il existe une minorité de «pastèques», des soldats en uniforme vert et au cœur rouge. L'un des responsables de la sécurité dans le camp rouge qui occupe actuellement le centre touristique et commercial de Rajprasong, est un général d'active, Kattiya Sawasdipol, alias «Seh Daeng», présent sur les barricades en treillis vert bardé de décorations. Seh Daeng n'occupe aucune fonction, mais n'a pas encore été rayé des cadres. Les «pastèques» se chargent aussi d'informer les Rouges sur les décisions du commandement. Enfin, beaucoup d'unités de police ont choisi la neutralité: elles ne bougent pas.

Le rôle des «pastèques»

Des enquêtes ont été ouvertes sur les tirs de grenades et le rôle éventuel de soldats dévoyés. C'est l'autre aspect de la crise: si la revendication des Rouges est populaire, leurs méthodes le sont moins, en dépit de leur prétention à la non-violence. Le rôle des «pastèques», dont certains seraient d'anciens membres des rangers, ou forces spéciales, provoque un profond ressentiment au sein du commandement. Il y a de la vengeance dans l'air. Les «pastèques» alimentent la thèse du complot: se servir des manifestants rouges pour mettre à bas le régime.

Le gouvernement d'Abhisit Vejjajiva et le commandement militaire se retrouvent donc dans une position très délicate. D'un côté, les gens expriment de plus en plus leurs frustrations à l'égard d'autorités qui annoncent un coup de balai mais ne bougent guère. De l'autre, compte tenu des armes qui circulent, comment se débarrasser du campement de Rajprasong, encore occupé par quelques milliers de Rouges, sans provoquer un bain de sang et, probablement, des réactions violentes dans le Nord et le Nord-Est du royaume, les fiefs des Rouges? La police a choisi la «neutralité». Les soldats n'ont aucune formation au contrôle de foules. Dans de telles circonstances, peut-il y avoir encore un arbitrage? Et s'il y en avait un, serait-il davantage qu'un nouveau report? Agé de 82 ans et hospitalisé depuis déjà près de huit mois (il est brièvement sorti ce 5 mai), le roi aurait exprimé sa profonde tristesse.

Jean-Claude Pomonti

source http://www.slate.fr
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La Thailande aujourd'hui Empty un bain de sang mais pas de solution politique

Message  Admin Lun 31 Mai 2010 - 11:32

La crise politique que traverse la Thaïlande et qui s'est soldée par la mort d'au moins 85 personnes et près de 2000 blessés, la plupart des civils, n'est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Olivier Evrard, ethnologue à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), et Danielle Sabai, journaliste indépendante, décryptent les raisons profondes du conflit.

Certains commentateurs se sont étonnés de telles violences dans une Thaïlande réputée pacifique et se demandent ce qu'est devenue la « culture Thaï » du consensus. C'est méconnaître la réalité d'un pays qui a été régulièrement traversé par des révoltes populaires et qui a vécu sous le joug de nombreuses dictatures et régimes autoritaires depuis la fin de la monarchie absolue en 1932. Jusqu'à présent ces crises se sont régulièrement soldées par un bain de sang : 1973, 1976, 1992 et maintenant 2010 pour ne citer que les dernières.

Les événements politiques des dernières semaines trouvent leur origine dans le coup d'État militaire du 19 septembre 2006, qui a mis fin à près de six années de démocratie parlementaire, la plus longue période que la Thaïlande ait jamais connue. Après plusieurs mois de manifestations contre le gouvernement de Thaksin Shinawatra, un homme d'affaire milliardaire devenu premier ministre en 2001 et réélu triomphalement en 2005, les militaires ont organisé un coup d'État pour chasser Thaksin afin, disaient-ils, de « combattre la corruption » et de « restaurer l'unité du pays ». L'establishment, les forces royalistes mais aussi une grande partie de l'intelligentsia et des classes moyennes se sont félicités de son renversement par un coup d'État opéré sans verser le sang.

Lorsqu'il était premier ministre, Thaksin avait bouleversé les équilibres traditionnels du pouvoir. Dans ce pays, le pouvoir et l'argent sont concentrés dans les mains des militaires, de la haute bureaucratie, de la monarchie et de quelques grandes familles industrielles. Tous partagent un mépris profond pour le peuple qu'ils jugent inculte et inapte à la démocratie : la vingtaine de coups d'État depuis la fin de la monarchie absolue en 1932 en atteste. La démocratie, ils en veulent bien, mais une démocratie « version thaï » qui serait « mieux adaptée» à l'histoire, aux « valeurs asiatiques » et à la culture thaïlandaise.
Les élites politiques attendent du peuple qu'il reste soumis et à l'écart de la vie politique. Quant aux gouvernants, ils n'ont pas à motiver ni à rendre compte de leur action. Les libertés démocratiques sont conditionnées à la soumission à l'ordre établi et cela se fait à grand renfort de censure, de lois d'exception et de coups d'États militaires.

Le jeu politique est totalement dévoyé. Les liens politiques sont d'abord des rapports marchands et clientélistes : achat de voix à grande échelle et collusion entre business et politique. Dans les années 1990, plus de la moitié des députés sont issus des milieux d'affaires. Les différents partis politiques ne représentent en rien une alternative mais se constituent au gré des circonstances pour peser dans des coalitions gouvernementales où ils espèrent profiter des opportunités pour s'enrichir. Un retour sur investissement en quelque sorte car se constituer une base électorale coûte très cher.
Thaksin est arrivé au pouvoir en 2001, après la grande crise financière de 1997-98. Issu d'une famille bourgeoise sino-thaï du Nord de la Thaïlande, il s'est enrichi dans les télécommunications grâce à des licences et des concessions qu'il a obtenues des différents gouvernements et des militaires dans les années 1990. L'instabilité politique et économique due à la crise le pousse avec d'autres hommes d'affaires à se lancer en politique.

Dans les milieux patronaux, l'idée s'est répandue que les militaires ne sont plus à même de gérer les affaires publiques dans un monde complexe et globalisé. Thaksin fonde le Thaï Rak Thaï (les Thaï aiment les Thaï) en 1998. Il se fait élire en 2001 sur une plateforme politique qui essaye de répondre à de nombreuses demandes sociales, parfois contradictoires. Il est le premier chef de parti politique à avoir organisé des campagnes électorales basées sur un programme politique. Il a su fidéliser une masse d'électeurs par ses largesses personnelles (distribution de billets de banques aux pauvres durant ses tournées) mais aussi en implantant une politique favorable aux pauvres.

Son gouvernement donne à chaque village un million de baths pour financer des projets de développement, propose un moratoire de plusieurs années sur la dette des petits paysans et développe une politique d'accès aux soins à 30 baths la consultation (moins d'un euro).

La politique de Thaksin est d'autant plus appréciée à la base qu'elle s'inscrit en remplacement d'un « modèle thaïlandais » de développement hérité des années 1986-96 et stoppé par la crise de 1997-98. Durant cette période, le pays a connu des taux de croissance parmi les plus élevés au monde, de l'ordre de 10% par an, notamment dans les secteurs industriel et touristique.

La crise de 1997-98 a brisé cette dynamique et en a révélé la fragilité : parce qu'elle reposait sur des salaires peu élevés, un fort taux d'endettement des ménages, l'utilisation fréquente d'une main d'œuvre en situation illégale (Laos, Birmans et Cambodgiens notamment) et une absence quasi-totale de règlementation du travail et de protection sociale, elle n'a jamais permis une véritable redistribution des richesses.

Thaksin ne rompt pas avec les pratiques de corruption, de népotisme et d'autoritarisme qui prévalaient avant lui. Sa politique s'inscrit très clairement dans une tradition populiste classique : satisfaire certaines demandes des paysans et des ouvriers pour s'assurer une base électorale et la stabilité nécessaire à la bonne marche des affaires. Dans le même temps, il musèle le mouvement ouvrier par des les lois restreignant l'activité syndicale et maintient un système électoral qui, en obligeant les ouvriers urbains à voter dans leur région rurale d'origine, bloque l'émergence de partis de gauche. Il a également été l'instigateur d'une politique de lutte contre la drogue qui se traduit par 2000 exécutions extrajudiciaires et a relancé un conflit meurtrier dans le sud du pays avec les autonomistes musulmans.

Malgré cette violence étatique, le volet social de sa politique lui vaut une popularité immense. Elle lui permettra d'être le seul homme politique thaïlandais à obtenir un deuxième mandat consécutif en 2005 dans un scrutin marqué par un record historique de participation.

Durant son premier mandat, Thaksin a profité à plein du système pour s'enrichir. Il a favorisé ses entreprises et des entreprises « amies ». L'establishment traditionnel se sent désormais menacé : les opportunités financières, les contrats juteux leur échappent et le conseil privé du roi perd la main sur les promotions dans l'armée. Le parti démocrate, principal parti d'opposition et allié de l'establishment n'est pas en mesure de rivaliser avec le TRT par la voie des urnes. Il n'a pas remporté d'élections depuis près de dix ans. La monarchie elle-même se sent menacée et l'ordre traditionnel est bouleversé.

L'ascension de Thaksin coïncide aussi avec une irruption de la société civile. Le massacre de 1992 a ouvert une réflexion sur la nécessité de transparence en politique et sur le rôle des militaires au sein de la société. Un processus de plusieurs années aboutit laborieusement à la rédaction d'une nouvelle constitution en 1997, appelée « constitution du peuple ». Pour la première fois dans l'histoire de la Thaïlande, les deux chambres sont élues au suffrage universel, les pouvoirs exécutifs et législatifs sont séparés et des contre-pouvoirs sont établis pour combattre la corruption et défendre les droits de l'homme. La constitution n'en a pas moins de sérieuses limites. Pour assurer la stabilité politique du pouvoir exécutif le rôle du premier ministre est renforcé. Dans le même temps, le roi reste une figure au dessus des intérêts partisans et un arbitre en cas de crise.

Cette ambivalence va être utilisée par les opposants pro-royalistes de l'« alliance du peuple pour la démocratie » (PAD), les Chemises jaunes, pour organiser la contestation contre Thaksin. Pour eux, la souveraineté n'émane pas du peuple, elle réside dans la monarchie. En invoquant la légitimité des urnes, Thaksin est accusé de violer les prérogatives royales. Les manifestations continuelles des Chemises jaunes se soldent par le coup d'État militaire de 2006, seul moyen pour les vieilles élites traditionnelles de reprendre le contrôle du pouvoir.

Dans l'année qui suit, tout est mis en œuvre pour détruire les instruments du pouvoir de Thaksin : le Thai Rak Thai (TRT) est dissout, 111 parlementaires du parti sont jugés inéligibles pour les 5 ans à venir, une partie des avoirs de Thaksin est gelée (près de 2 milliards de dollars). Une nouvelle constitution est écrite sous la dictée des militaires. Sans succès : entre le 19 septembre 2006 et décembre 2008, deux nouveaux gouvernements fidèles à Thaksin et légitimement élus sont renversés par des décisions de justice. L'actuel gouvernement d'Abhisit arrive ainsi au pouvoir en décembre 2008 à la faveur d'un renversement d'alliance au parlement organisé par les militaires.

C'est dans ce contexte qu'est né début 2009 le « Front Uni pour la démocratie et contre la dictature » (UDD), le mouvement des Chemises rouges. Ce mouvement politique et social est constitué à l'origine par l'union des défenseurs de Thaksin et des forces pour la démocratie qui ont vu le jour après le coup d'État. Cette alliance a su mobiliser une base populaire constituée pour la plupart de paysans, de villageois et d'ouvriers urbains, en particulier du nord et du nord-est du pays. Ils sont fatigués par le double langage de la justice, par l'absence de démocratie et par le maintien d'inégalités profondes malgré une réelle modernisation du pays.
Pour eux, et bien qu'il ait en partie repris à son compte les réformes politiques de Thaksin, Abhisit apparaît d'abord comme le représentant des élites traditionnelles. Le mouvement réclame donc sa démission et l'organisation de nouvelles élections parlementaires démocratiques.

De part sa composition, l'UDD est dès le départ un mouvement large et hétéroclite mais la majorité de ses représentants se dit royaliste. Les Chemises rouges ne sont pas les dangereux « terroristes » et comploteurs contre la monarchie dépeints par le gouvernement ; ce sont des gens ordinaires. C'est ce qui rend ce mouvement politique différent des révoltes précédentes de 1973, 1976 et 1992.

Pour la première fois, ce sont les pauvres de province mais aussi les classes moyennes les moins riches de Bangkok qui se mobilisent. Les migrations des années 80 et 90 ont vu un nombre très important de travailleurs originaires de province venir s'installer dans la capitale : c'est ce qui explique la forte sympathie dont les Chemises rouges ont bénéficié dans Bangkok même. La base du mouvement s'est ensuite élargie car une partie des classes moyennes a pris conscience du coût élevé qu'a représenté le coup d'État, tant en termes politiques qu'économiques et elle soutient maintenant un mouvement qui cherche à rétablir la démocratie.

Des décennies de répression des dirigeants de syndicats ouvriers, de mouvements de paysans et de partis politiques progressistes font qu'il n'y a plus aujourd'hui de partis de gauche. Cela explique que la contestation politique ait pris la forme inédite des Chemises rouges : un mouvement politique qui n'est ni un parti ni une association, hétérogène et traversé de contradictions mais dont l'essentiel est son lien avec le peuple.

L'UDD a su mettre en lumière la spécificité de cette révolte en réactualisant les termes désuets dans la langue thaïe de « phrai » (serf) et « amart » (nobles). Ces termes ont servi à illustrer l'oppression et les injustices dont sont victimes ceux qui « n'ont rien » en opposition aux privilégiés. Il s'agit bien d'une lutte de classes, de la révolte des laissés pour compte contre l'ordre établi au centre duquel se place la monarchie.

Ces événements historiques ont mis à nu la réalité politique du pays. Aujourd'hui, la Thaïlande est devenue l'un des pays les plus inégalitaires du monde : les 5% les plus riches de la population gagnent un salaire 13 à 15 fois plus élevé que les 5% les plus pauvres (à titre de comparaison, cet écart est de 9 à 11 chez les voisins de la Thaïlande, de 5 à 8 en Europe et en Amérique du Nord, et de 3 à 4 en Scandinavie ou au Japon).
Une deuxième ligne de fracture, plus culturelle, transparait également dans la composition du mouvement des Chemises Rouges : la plupart de leurs membres sont des habitants du Nord, connus aussi sous le nom de Khon Muang, et du Nord-Est, connus sous le nom d'Isaan. Ils se distinguent des Thai du Centre du pays à la fois par leur langue, leur histoire et certains aspects de leurs pratiques religieuses. Derrière l'opposition d'une grande partie des élites thaïlandaises au mouvement des Chemises Rouges et leur peur face à l'invasion des « hordes rurales » (une formule employée par le quotidien Bangkok Post lors de l'arrivée des Chemises Rouges dans Bangkok à la mi-mars) transparaît donc non seulement une logique de classe mais aussi en filigrane une définition exclusive et siamoise de l'identité thaïlandaise.

L'establishment n'est pas à même de contrer un tel soulèvement populaire. Pour se faire, il lui faudrait accepter de satisfaire les demandes sociales et politiques des Chemises rouges et de reconnaître le verdict des urnes. Le gouvernement d'Abhisit a choisi une toute autre voie : la répression, la censure et la terreur. Les dirigeants des Chemises rouges risquent la peine de mort s'ils sont jugés coupables de terrorisme ou de 3 à 15 ans de prison pour crime de lèse-majesté.

La Thaïlande n'est sans doute pas une dictature au sens du Chili de Pinochet mais la démocratie y est sous tutelle. Les élites tentent de maintenir leur pouvoir en maintenant une démocratie autoritaire et en ayant recours à la figure « extraconstitutionnelle » du roi. Ce système n'a pas d'avenir car - c'est un des paradoxes des années Thaksin- l'expérience politique vécue depuis 2001 dans ce pays a libéré la parole politique et rend d'autant plus illégitime aujourd'hui sa confiscation.

En organisant ce nouveau bain de sang, les élites ont peut être gagné une bataille mais elles n'ont pas gagné la guerre et l'histoire ne va pas dans leur sens. Comme le dit le proverbe thaï, « Qui échappe au tigre rencontre le crocodile »...


Olivier Evrard, ethnologue à l'Institut de recherche pour le développement (IRD)
Danielle Sabai, journaliste indépendante.

source http://www.mediapart.fr/club/edition/les-invites-de-mediapart/article/310510/thailande-un-bain-de-sang-mais-pas-de-solution-
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