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Voter sans véritable espoir

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Message  Admin Ven 29 Oct 2010 - 5:53

Dans les rues de Rangoon, on ne voit pratiquement que les affiches de l’USDP, parti financé par la junte, qui bafoue sans être inquiété la loi électorale.



























Birmanie, mai 2008. Une semaine après le passage d'un cyclone qui a dévasté le pays, la junte militaire au pouvoir maintient le référendum prévu sur la Constitution. Du fait de la catastrophe, la population a d'autres préoccupations; pourtant, le texte est approuvé par plus de 90 % des voix. Aucun observateur impartial ne croit à ce résultat. Dans quelques jours, le 7 novembre, les militaires organisent cette fois des élections législatives, les premières depuis 20 ans.

«J'espère, sans oser espérer, mais j'irai voter», déclare Thu Wai*, un étudiant birman, à propos du scrutin. Il espère, car, comme l'ensemble de la population, il étouffe sous une dictature qui lui interdit d'héberger des étrangers, censure férocement la presse, dénonce comme criminelle la BBC et enferme à tour de bras journalistes et opposants politiques!

Thu Wai n'est pas le seul à espérer. Nay Yé, un blogueur qui risque des années de prison pour égratigner parfois le régime sur Internet et de sérieux ennuis pour parler à un journaliste étranger, fait lui aussi preuve d'optimisme: «Je suis favorable aux élections. Après les élections, il y aura un Parlement, ça amènera peut-être un progrès.»

Croyants et non-croyants

Aung Lin est journaliste, un journaliste au chômage, car sa revue a été fermée par la junte. Après les manifestations de septembre 2007, il a été arrêté et condamné à un an et sept mois de prison, accusé sans preuve d'avoir transmis des informations à des médias étrangers. «Pour décider de la sanction, le juge a ouvert une enveloppe du gouvernement où figurait la peine qu'il devait prononcer.» Que pense-t-il des élections? «La Constitution n'est pas démocratique, je vais boycotter les élections, mais je ne veux pas dissuader autrui d'y participer, certains y croient et il y aura peut-être l'émergence de différents groupes au Parlement.»

Alors que le régime interdit tout véritable débat, au sein de la population l'échange d'idées va parfois bon train. Dans une église baptiste, l'un des responsables présente l'un de ses amis: «C'est un Shan, son parti se présente aux élections contre le gouvernement; moi, je n'y crois pas.» Phyo Win, un traducteur anglais-birman, boycotte les élections. Lui aussi met en cause la Constitution: «Elle n'est pas équitable, un quart des sièges est réservé à l'armée.» Et il avance un autre argument: «La Ligue nationale pour la démocratie ne participe pas au scrutin.»

Suu Kyi

La Ligue nationale pour la démocratie (NLD), c'est le parti d'Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la paix et symbole de la résistance à la dictature, qui avait remporté haut la main les élections de 1990, les dernières à avoir eu lieu en Birmanie, car, au vu des résultats qui ne leur étaient pas favorables, les militaires ont fait main basse sur le pouvoir. La NLD a dénoncé les élections du 7 novembre comme un simulacre et n'y participera pas, ce qui a entraîné son interdiction par la junte! Quant à Aung San Suu Kyi, elle est assignée à résidence, une mesure qui, curieusement, prend fin une semaine après les élections.

Néanmoins, estimant préférable de participer, un groupe dissident de la Ligue joue le jeu électoral et a fondé pour l'occasion un parti, la Force démocratique nationale (NDF). Il espère faire entendre sa voix dans le prochain Parlement, mais pourra-t-il y tenir une place véritablement représentative? Faute de moyens, il se présente dans seulement quelque 160 circonscriptions contre plus de 1100 pour le parti gouvernemental, l'USDP (Parti de la solidarité et du développement de l'Union), et pas loin de 1000 pour le NUP (Parti d'Union nationale), un parti proche lui aussi de la junte en dépit de quelques accrochages. Quant aux autres partis — 37 sont autorisés à se présenter —, ils ne pourront pour la plupart faire que de la figuration. Car pour se présenter, chaque candidat doit payer une taxe de 500 $, une petite fortune dans un pays où la plupart des fonctionnaires gagnent moins de 50 $ par mois.

Organiser une réunion électorale tient du chemin de croix. Il faut demander l'autorisation une semaine à l'avance, indiquer le nombre de personnes qui seront présentes et fournir la biographie de chacun des orateurs. Tout tract ou publication est soumis à la censure préalable, avec interdiction de critiquer le gouvernement. Quant aux brèves interventions à la radio et à la télévision, elles doivent être enregistrées au préalable et soumises pour approbation à la commission électorale. Dans les rues de Rangoon, on ne voit pratiquement que les affiches de l'USDP, parti financé par la junte, qui bafoue sans être inquiété la loi électorale interdisant à un parti politique de bénéficier du soutien de l'État. Et il a les moyens de faire taire la moindre critique: en septembre, la censure avait laissé passer une caricature légèrement ironique à son égard dans le magazine, Favorite News. L'USDP s'est plaint et Favorite News a été suspendu pendant deux semaines. Autrement dit, la censure est au service de l'USDP.

Aussi le scrutin ressemble-t-il beaucoup au combat de David contre Goliath, à ceci près que Goliath est assuré de l'emporter. Hormis les militaires qui disposent de sièges réservés, ce sont les membres de l'USDP qui formeront l'essentiel du Parlement chargé d'élire le futur président, avec parmi eux le chef de la junte, le général Than Shwe, et une dizaine d'autres hauts gradés qui ont démissionné en août de l'armée, sans doute pour réapparaître en civil dans le prochain gouvernement. «Les élections, ce sont les généraux qui changent d'habit, c'est tout», nous confiait Thu Wai, l'étudiant qui ira cependant voter.

Laissés pour compte

Mais ces subtilités et le système électoral relativement complexe échappent à une grande partie de la population, qui n'attend pas grand-chose de ces élections, d'autant que le gouvernement ne lui explique pratiquement rien et que l'opposition n'en a pas les moyens. Ainsi ce vendeur clandestin d'antennes paraboliques (on voit des paraboles partout) qui explique qu'elles sont interdites, mais que l'on en vend sous le manteau, tandis que le gouvernement ferme les yeux. Que pense-t-il des élections? «Je ne m'y intéresse pas, je ne suis pas bien informé. J'irai voter, mais je ne sais pas pour quel parti.»

Dans un village non loin de Rangoon, Mme Da Wint est assez représentative d'une partie de la population. Elle ne possède ni télé ni radio et, comme il n'y a pas de marchand de journaux à proximité, elle ne sait pas trop ce qui se passe en dehors de son village. «Je ne connais rien à la politique. Pour les élections, je ferai ce qu'on me dira», confie-t-elle. Quant à sa fille de 13 ans, elle a passé en tout et pour tout deux ans à l'école et sait à peine lire et écrire. Elle travaille comme bonne à tout faire pour 20 $ par mois, sans horaire précis ni jour de congé attribué, et ne se sent guère concernée par les élections.

Néanmoins, à l'image de ce chauffeur de taxi qui, passant non loin de University Avenue, où réside Aung San Suu Kyi, s'exclame: «Une dame très courageuse habite là», l'ensemble de la population parle avec respect de «la dame», ainsi que tout le monde la désigne. C'est elle, la dirigeante légitime de la Birmanie, mais elle ne peut ni se présenter aux élections ni voter. Décidément de bien étranges élections...

***

Collaboration spéciale

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* Ce nom ainsi que tous les autres dans cet article ont été changés de manière à ne pas faire courir de risque à ceux qui nous ont parlé.

source  http://www.ledevoir.com/international/asie/298646/birmanie-voter-sans-veritable-espoir
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