Thailande - Abhinya Sawatvarakorn, franc parler anti-élites
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Thailande - Abhinya Sawatvarakorn, franc parler anti-élites
Cette étudiante thaïlandaise est accusée de crime de lèse-majesté pour des commentaires postés sur Internet en 2010. Elle ne fera pas acte de contrition.
Texte ALEXANDRE MARCHAND Illustration CHAU
Si son pays est « une nation d’hypocrites », selon la formule d’un politologue thaïlandais, alors Abhinya Sawatvarakorn est l’exception qui confirme la règle. Visée par une enquête policière pour lèse-majesté, rejetée par sa famille, refusée par trois universités, recourant à un nom d’emprunt en public, l’étudiante accuse déjà un lourd passif, à tout juste 19 ans.
Dans l’enceinte du campus de Rangsit de l’université Thammasat, à une quarantaine de kilomètres au nord de Bangkok, un T-shirt bon marché de Nitirat (un collectif de professeurs de droit appellant à un amendement de la loi sur la lèse-majesté) sur les épaules, elle dit tout haut ce que certains pensent tout bas : la monarchie et son réseau d’hommes et d’intérêts représentent, par leur immixtion dans la politique, un obstacle à la démocratie en Thaïlande. Le code pénal punit la lèse-majesté d’un emprisonnement de trois à quinze ans mais fin 2011 un sexagénaire a été condamné à vingt ans de réclusion pour des sms qui auraient insulté le Roi.
Le coup d’État militaire de 2006, soutenu par l’élite royaliste de Bangkok, fut un électrochoc pour Abhinya : « J’étais anti-Thaksin [Shinawatra, le premier ministre d’alors, N.D.L.R.] à l’époque mais je n’ai pas accepté que l’on évince un gouvernement démocratiquement élu ! ». Cette native de la province centrale de Ratchaburi ne vient pas, à l’en croire, d’une famille progressiste. Abhinya décrit ses parents comme « d’extrême-droite », qui « n’hésiteraient pas à brûler vivant une Chemise rouge opposée à l’élite du pays. » Plongée dans les ouvrages d’histoire et de politique, la jeune femme s’initie avidemment aux idées réformatrices de personnages historiques tels le roi Rama V ou le républicain Pridi Banomyong.
« Aucune chance que je me taise ! »
Elle a 15 ans lorsque deux policiers se présentent à son école à Ratchaburi. « Ils pensaient que j’avais subi un lavage de cerveau. Ils m’ont pris à part, ils sont allés voir mes professeurs, ont discuté avec mes parents. » En cause, des commentaires critiques envers la monarchie qu’elle postait sur un forum Internet. À 16 ans, elle monte sur le podium d’un meeting à Bangkok du Front uni pour la démocratie contre la dictature, base politique du mouvement des Chemises rouges, à l’invitation d’un ancien porte-parole de Thaksin Shinawatra impressionné par l’un de ses essais sur la démocratie. Devant la foule, l’adolescente disserte sur sa vision d’une « démocratie absolue » libérée du carcan de la domination des élites de Bangkok.
Elle a 17 ans quand ses commentaires postés sur Facebook sont collectés par des fonctionnaires qui les transmettent à la police : une procédure judiciaire est engagée contre elle. Son nom et sa photo sont publiés dans un quotidien du mouvement des Chemises jaunes. À 18 ans, elle se voit refuser l’admission à trois grandes universités thaïlandaises pour ses opinions.
Depuis son entrée à Thammasat, Abhinya ne quitte guère le campus de Rangsit où elle essuie les railleries d’étudiants choqués par ses positions. Travaillant à temps partiel comme assistante de professeur, elle ne met presque plus les pieds au foyer familial. « Je n’y ai plus ma chambre, ils ont jeté tout ce qui m’appartenait. » Lorsqu’elle manifeste à Bangkok, c’est avec un masque sur le visage afin d’éviter à ses parents une nouvelle photo d’elle dans le journal.
Dans cette société ligaturée par une élite qui redoute l’effondrement d’un système alors que le souverain vient de célébrer son 84e anniversaire, les débats de la jeune femme et ses amis détonnent. L’enquête policière a été repoussée à une date indéfinie. « Ils espèrent que je vais me tenir tranquille et que la leçon sera retenue par les autres. Aucune chance que je me taise ! Sinon après moi viendra un second cas, puis un troisième, puis un quatrième… »
source http://webasies.com/abhinya-sawatvarakorn-le-franc-parler-anti-elites/
Texte ALEXANDRE MARCHAND Illustration CHAU
Si son pays est « une nation d’hypocrites », selon la formule d’un politologue thaïlandais, alors Abhinya Sawatvarakorn est l’exception qui confirme la règle. Visée par une enquête policière pour lèse-majesté, rejetée par sa famille, refusée par trois universités, recourant à un nom d’emprunt en public, l’étudiante accuse déjà un lourd passif, à tout juste 19 ans.
Dans l’enceinte du campus de Rangsit de l’université Thammasat, à une quarantaine de kilomètres au nord de Bangkok, un T-shirt bon marché de Nitirat (un collectif de professeurs de droit appellant à un amendement de la loi sur la lèse-majesté) sur les épaules, elle dit tout haut ce que certains pensent tout bas : la monarchie et son réseau d’hommes et d’intérêts représentent, par leur immixtion dans la politique, un obstacle à la démocratie en Thaïlande. Le code pénal punit la lèse-majesté d’un emprisonnement de trois à quinze ans mais fin 2011 un sexagénaire a été condamné à vingt ans de réclusion pour des sms qui auraient insulté le Roi.
Le coup d’État militaire de 2006, soutenu par l’élite royaliste de Bangkok, fut un électrochoc pour Abhinya : « J’étais anti-Thaksin [Shinawatra, le premier ministre d’alors, N.D.L.R.] à l’époque mais je n’ai pas accepté que l’on évince un gouvernement démocratiquement élu ! ». Cette native de la province centrale de Ratchaburi ne vient pas, à l’en croire, d’une famille progressiste. Abhinya décrit ses parents comme « d’extrême-droite », qui « n’hésiteraient pas à brûler vivant une Chemise rouge opposée à l’élite du pays. » Plongée dans les ouvrages d’histoire et de politique, la jeune femme s’initie avidemment aux idées réformatrices de personnages historiques tels le roi Rama V ou le républicain Pridi Banomyong.
« Aucune chance que je me taise ! »
Elle a 15 ans lorsque deux policiers se présentent à son école à Ratchaburi. « Ils pensaient que j’avais subi un lavage de cerveau. Ils m’ont pris à part, ils sont allés voir mes professeurs, ont discuté avec mes parents. » En cause, des commentaires critiques envers la monarchie qu’elle postait sur un forum Internet. À 16 ans, elle monte sur le podium d’un meeting à Bangkok du Front uni pour la démocratie contre la dictature, base politique du mouvement des Chemises rouges, à l’invitation d’un ancien porte-parole de Thaksin Shinawatra impressionné par l’un de ses essais sur la démocratie. Devant la foule, l’adolescente disserte sur sa vision d’une « démocratie absolue » libérée du carcan de la domination des élites de Bangkok.
Elle a 17 ans quand ses commentaires postés sur Facebook sont collectés par des fonctionnaires qui les transmettent à la police : une procédure judiciaire est engagée contre elle. Son nom et sa photo sont publiés dans un quotidien du mouvement des Chemises jaunes. À 18 ans, elle se voit refuser l’admission à trois grandes universités thaïlandaises pour ses opinions.
Depuis son entrée à Thammasat, Abhinya ne quitte guère le campus de Rangsit où elle essuie les railleries d’étudiants choqués par ses positions. Travaillant à temps partiel comme assistante de professeur, elle ne met presque plus les pieds au foyer familial. « Je n’y ai plus ma chambre, ils ont jeté tout ce qui m’appartenait. » Lorsqu’elle manifeste à Bangkok, c’est avec un masque sur le visage afin d’éviter à ses parents une nouvelle photo d’elle dans le journal.
Dans cette société ligaturée par une élite qui redoute l’effondrement d’un système alors que le souverain vient de célébrer son 84e anniversaire, les débats de la jeune femme et ses amis détonnent. L’enquête policière a été repoussée à une date indéfinie. « Ils espèrent que je vais me tenir tranquille et que la leçon sera retenue par les autres. Aucune chance que je me taise ! Sinon après moi viendra un second cas, puis un troisième, puis un quatrième… »
source http://webasies.com/abhinya-sawatvarakorn-le-franc-parler-anti-elites/
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Date d'inscription : 31/05/2009
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