La mémoire vintage du cinema Cambodgien
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La mémoire vintage du cinema Cambodgien
La plupart des 400 films produits pendant l’âge d’or du cinéma cambodgien ont été perdus à jamais. Sauf dans les mémoires des cinéphiles de l’époque et… dans les remix des BO de films, raconte le réalisateur Davy Chou.
« En faisant mon film, je suis tombé sur un remix hiphop de la BO d’un film produit par mon grand-père dans les années 1960 »
« Papa, pourquoi tu ne nous a jamais amenés ici avant ? » Devant ce qu’il reste du studio L’Oiseau de Paradis à Phnom Penh, le réalisateur Yvon Hem est face à ses deux enfants. Alors il raconte: « D’abord pour oublier. Ca m’aurait brisé le cœur. Après Pol Pot, il ne restait plus rien. Tout avait brûlé. » Lorsque le réalisateur français Marcel Camus vient tourner L’Oiseau de Paradis au Cambodge au début des années 1960, c’est la sœur d’Yvon, Narie Hem qu’il choisit pour incarner le rôle principal de la danseuse Dara. Alors que le cinéma cambodgien n’en est qu’à ses prémices, ce sera le nom du film de Camus que le réalisateur Yvon Hem donnera à son studio.
400 FILMS Avec Sommeil d’Or, Davy Chou, 28 ans, signe un premier long-métrage documentaire, remarqué mi-octobre au Festival de Busan. Le petit-fils du plus gros producteur du cinéma cambodgien fait revivre l’espace d’une heure trente la production de l’époque : 400 films produits entre 1960 et 1976, dont seuls quelques uns ont survécu au régime de Pol Pot. De la plupart de la production de cet âge d’or du cinéma khmer, les copies n’ont jamais été retrouvées. Beaucoup d’acteurs ou de réalisateurs ont péri pendant le génocide.
Le cinéma cambodgien ne se relèvera jamais de cet épisode. « Quand je suis arrivé au Cambodge en 2009, se souvient Davy Chou, sur les 30 cinémas qu’il y avait en 1975 dans Phnom Penh, il n’en restait plus qu’un. Tout avait été transformé en karokés, restaurants, billards, etc. ». Symbole de cet anéantissement, la caméra de Davy Chou nous fait visiter l’ancien cinéma Hemakcheat (un seul écran, mais 1.000 places assises) transformé en squat depuis 1979: Des parois en taule ou en cartons séparent les pièces, « une montagne d’ordures qui s’amoncellent en plein milieu. Il y a des rats et des chauve-souris partout. »
TRAUMA Parmi les cinéastes qui ont survécu mais qui ont perdu tous leurs films, certains sont réticents à témoigner face caméra. Heureusement, Davy est le petit fils du producteur Van Chann et ça aide. Il retrouve par exemple le réalisateur Ly You Sreang qui a survécu à la guerre en immigrant en France mais « a perdu tous ses films ». Il raconte à la caméra :
« Davy, avant j’étais producteur au Cambodge et là [j’arrivais en France] je n’avais plus rien, je vivais dans une chambre de bonne. »
Il y a aussi Ly Bun Yim, un des plus gros producteurs de l’époque: Le film se termine avec Ly Bun Yim qui fait le pitch d’un de ses films. Le pitch dure 20 minutes. Il commence à raconter l’histoire et ne s’arrête jamais:
« C’est le résultat d’un traumatisme. Puisque le film a disparu, ils vivent sur le regret de ce film qui n’est plus montrable. Alors même si je leur demande de faire très très court c’est impossible pour eux de faire court. Ils parlent, ils parlent et c’est justement le sujet de mon film: comment un film perdu survit. Et notamment par la volonté de le faire persister dans le réel. Et là c’est le cas pour ce cinéaste à qui je demande le résumé de l’histoire du film et il me la fait en 20 minutes. 20 minutes de plan séquence. Je panique complètement parce que j’avais prévu de faire un deuxième plan et que la nuit tombe ; je lui demande de me le faire en beaucoup plus rapide: “Ah, plus rapide… pas de problème”… Et là il me refait une prise : 10 minutes. Pour lui, c’était impossible de compresser plus que ça, parce qu’il y avait toute sa vie dans ce film. »
VINTAGE Davy Chou suit des jeunes cinéastes qui retournent des scènes cultes disparues du cinéma khmer, sans avoir jamais pu les voir mais telles que les racontent les anciens. Les pitchs de films les plus fous reprennent vie: Déesses qui tombent amoureuses d’humains, amours impossibles… Ajoutez à ces contes, ces légendes et ces royaumes perdus, une imagerie sixties et seventies et on est en plein revival vintage. Bollywood et sa naïveté n’est pas loin non plus:
« Dans les années 1950, il y avait déjà des cinémas au Cambodge qui projetaient notamment des films indiens. Les films Bollywood de l’époque ont vachement influencé le cinéma cambodgien. Au final, on a eu un mini-Bollywood cambodgien, dans la naïveté avec laquelle ils faisaient ces films à l’époque. Mais c’est l’âge d’or et en même temps le début du cinéma, qui ne durera qu’une quinzaine d’années. Parce qu’après les Khmers rouges, c’est fini. »
REMIX Les quinquas cinéphiles se remémorent devant la caméra de Davy Chou les films de l’époque, qu’ils continuaient à aller voir même à l’approche des troupes de Pol Pot sur Pnom Penh :
« Malgré les bombes, j’allais malgré tout au cinéma, inquiet mais heureux. »
Parfois, pour retrouver la trace de certains films dans la vie de tous les jours, il suffit de tendre l’oreille :
« A l’époque, il y avait des vinyles, qui contrairement aux bobines de films, existaient en plein d’exemplaires. Chez l’ancienne génération, ils écoutent tout le temps ces musiques. Ils savent quelle musique vient de quel film. Et il suffit d’écouter les paroles pour reconstituer l’histoire du film. [Beaucoup de productions musicales actuelles sont des remixs de] tubes cambodgiens des années 1960 et 1970… Et ils ont bien raison parce que c’étaient des purs génies qui faisaient la musique à l’époque. Et un jour j’ai halluciné, je vais dans une supérette et j’entends un remake hip hop d’une ancienne version de la BO d’un film qu’avait produit mon grand-père ! »
HISTOIRE COMPLIQUÉE Sommeil d’Or n’est pas un documentaire historique ou à vocation pédagogique. C’est un parcours dans les mémoires des Cambodgiens d’aujourd’hui, pour sonder et montrer ce qu’il reste d’un âge d’or qui n’a pas pu atteindre son paroxysme. La question du rôle du régime de Pol Pot dans la disparition de ce pan de culture reste en suspens. Le Kampuchéa démocratique a-t-il délibérément fait détruire les copies de films ? Ou bien est-ce plus compliqué ? Davy Chou :
« La responsabilité des khmers rouges est totale dans la perte des films et dans la disparition du cinéma cambodgien. Mais de là à dire que ça ait été pensé, délibérément, c’est quelque chose que j’avais beaucoup entendu mais pour lequel je n’ai pas trouvé de témoignages de gens qui auraient dit que les khmers rouges ont détruit sciemment les copies de films comme symboles de l’influence occidentale ou de la dépravation de la société cambodgienne avant eux. Ca non.
« La première fois que je suis retourné au Cambodge, je suis allé à l’ancienne maison de mon grand-père qui était un des principaux producteurs de cinéma là-bas et est mort en 1969. Je suis allé au dernier étage, où il stockait toutes ses copies de films, qui n’y étaient plus. Les nouveaux propriétaires nous ont dit « Oui il y avait plein de films, mais on ne savait pas ce que c’était, on a tout jeté (…) Mon grand-père avait produit 40 films, 10% de la production, un truc énorme. Aujourd’hui on peut en trouver 3 en VHS ou VCD. Les 37 autres films ont juste été perdus, au moment très précis où ces gens ont jeté les copies, sachant qu’à cette époque il n’y avait qu’une ou deux copies par film. »
Du long-métrage de Davy Chou on espère qu’il y aura plusieurs copies. Il est programmé pour une sortie en salles en 2012… D’ici là, vous pourrez le retrouver au Festival international du film de Belfort fin novembre. http://www.festival-entrevues.com/
Interview Davy Chou - Sommeil d'or by jo-weisz
TRAILER Regardez la bande annonce en français de Sommeil d’Or
http://www.streetpress.com/sujet/9302-davy-chou-et-la-memoire-vintage-du-cinema-cambodgien
« En faisant mon film, je suis tombé sur un remix hiphop de la BO d’un film produit par mon grand-père dans les années 1960 »
« Papa, pourquoi tu ne nous a jamais amenés ici avant ? » Devant ce qu’il reste du studio L’Oiseau de Paradis à Phnom Penh, le réalisateur Yvon Hem est face à ses deux enfants. Alors il raconte: « D’abord pour oublier. Ca m’aurait brisé le cœur. Après Pol Pot, il ne restait plus rien. Tout avait brûlé. » Lorsque le réalisateur français Marcel Camus vient tourner L’Oiseau de Paradis au Cambodge au début des années 1960, c’est la sœur d’Yvon, Narie Hem qu’il choisit pour incarner le rôle principal de la danseuse Dara. Alors que le cinéma cambodgien n’en est qu’à ses prémices, ce sera le nom du film de Camus que le réalisateur Yvon Hem donnera à son studio.
400 FILMS Avec Sommeil d’Or, Davy Chou, 28 ans, signe un premier long-métrage documentaire, remarqué mi-octobre au Festival de Busan. Le petit-fils du plus gros producteur du cinéma cambodgien fait revivre l’espace d’une heure trente la production de l’époque : 400 films produits entre 1960 et 1976, dont seuls quelques uns ont survécu au régime de Pol Pot. De la plupart de la production de cet âge d’or du cinéma khmer, les copies n’ont jamais été retrouvées. Beaucoup d’acteurs ou de réalisateurs ont péri pendant le génocide.
Le cinéma cambodgien ne se relèvera jamais de cet épisode. « Quand je suis arrivé au Cambodge en 2009, se souvient Davy Chou, sur les 30 cinémas qu’il y avait en 1975 dans Phnom Penh, il n’en restait plus qu’un. Tout avait été transformé en karokés, restaurants, billards, etc. ». Symbole de cet anéantissement, la caméra de Davy Chou nous fait visiter l’ancien cinéma Hemakcheat (un seul écran, mais 1.000 places assises) transformé en squat depuis 1979: Des parois en taule ou en cartons séparent les pièces, « une montagne d’ordures qui s’amoncellent en plein milieu. Il y a des rats et des chauve-souris partout. »
TRAUMA Parmi les cinéastes qui ont survécu mais qui ont perdu tous leurs films, certains sont réticents à témoigner face caméra. Heureusement, Davy est le petit fils du producteur Van Chann et ça aide. Il retrouve par exemple le réalisateur Ly You Sreang qui a survécu à la guerre en immigrant en France mais « a perdu tous ses films ». Il raconte à la caméra :
« Davy, avant j’étais producteur au Cambodge et là [j’arrivais en France] je n’avais plus rien, je vivais dans une chambre de bonne. »
Il y a aussi Ly Bun Yim, un des plus gros producteurs de l’époque: Le film se termine avec Ly Bun Yim qui fait le pitch d’un de ses films. Le pitch dure 20 minutes. Il commence à raconter l’histoire et ne s’arrête jamais:
« C’est le résultat d’un traumatisme. Puisque le film a disparu, ils vivent sur le regret de ce film qui n’est plus montrable. Alors même si je leur demande de faire très très court c’est impossible pour eux de faire court. Ils parlent, ils parlent et c’est justement le sujet de mon film: comment un film perdu survit. Et notamment par la volonté de le faire persister dans le réel. Et là c’est le cas pour ce cinéaste à qui je demande le résumé de l’histoire du film et il me la fait en 20 minutes. 20 minutes de plan séquence. Je panique complètement parce que j’avais prévu de faire un deuxième plan et que la nuit tombe ; je lui demande de me le faire en beaucoup plus rapide: “Ah, plus rapide… pas de problème”… Et là il me refait une prise : 10 minutes. Pour lui, c’était impossible de compresser plus que ça, parce qu’il y avait toute sa vie dans ce film. »
VINTAGE Davy Chou suit des jeunes cinéastes qui retournent des scènes cultes disparues du cinéma khmer, sans avoir jamais pu les voir mais telles que les racontent les anciens. Les pitchs de films les plus fous reprennent vie: Déesses qui tombent amoureuses d’humains, amours impossibles… Ajoutez à ces contes, ces légendes et ces royaumes perdus, une imagerie sixties et seventies et on est en plein revival vintage. Bollywood et sa naïveté n’est pas loin non plus:
« Dans les années 1950, il y avait déjà des cinémas au Cambodge qui projetaient notamment des films indiens. Les films Bollywood de l’époque ont vachement influencé le cinéma cambodgien. Au final, on a eu un mini-Bollywood cambodgien, dans la naïveté avec laquelle ils faisaient ces films à l’époque. Mais c’est l’âge d’or et en même temps le début du cinéma, qui ne durera qu’une quinzaine d’années. Parce qu’après les Khmers rouges, c’est fini. »
REMIX Les quinquas cinéphiles se remémorent devant la caméra de Davy Chou les films de l’époque, qu’ils continuaient à aller voir même à l’approche des troupes de Pol Pot sur Pnom Penh :
« Malgré les bombes, j’allais malgré tout au cinéma, inquiet mais heureux. »
Parfois, pour retrouver la trace de certains films dans la vie de tous les jours, il suffit de tendre l’oreille :
« A l’époque, il y avait des vinyles, qui contrairement aux bobines de films, existaient en plein d’exemplaires. Chez l’ancienne génération, ils écoutent tout le temps ces musiques. Ils savent quelle musique vient de quel film. Et il suffit d’écouter les paroles pour reconstituer l’histoire du film. [Beaucoup de productions musicales actuelles sont des remixs de] tubes cambodgiens des années 1960 et 1970… Et ils ont bien raison parce que c’étaient des purs génies qui faisaient la musique à l’époque. Et un jour j’ai halluciné, je vais dans une supérette et j’entends un remake hip hop d’une ancienne version de la BO d’un film qu’avait produit mon grand-père ! »
HISTOIRE COMPLIQUÉE Sommeil d’Or n’est pas un documentaire historique ou à vocation pédagogique. C’est un parcours dans les mémoires des Cambodgiens d’aujourd’hui, pour sonder et montrer ce qu’il reste d’un âge d’or qui n’a pas pu atteindre son paroxysme. La question du rôle du régime de Pol Pot dans la disparition de ce pan de culture reste en suspens. Le Kampuchéa démocratique a-t-il délibérément fait détruire les copies de films ? Ou bien est-ce plus compliqué ? Davy Chou :
« La responsabilité des khmers rouges est totale dans la perte des films et dans la disparition du cinéma cambodgien. Mais de là à dire que ça ait été pensé, délibérément, c’est quelque chose que j’avais beaucoup entendu mais pour lequel je n’ai pas trouvé de témoignages de gens qui auraient dit que les khmers rouges ont détruit sciemment les copies de films comme symboles de l’influence occidentale ou de la dépravation de la société cambodgienne avant eux. Ca non.
« La première fois que je suis retourné au Cambodge, je suis allé à l’ancienne maison de mon grand-père qui était un des principaux producteurs de cinéma là-bas et est mort en 1969. Je suis allé au dernier étage, où il stockait toutes ses copies de films, qui n’y étaient plus. Les nouveaux propriétaires nous ont dit « Oui il y avait plein de films, mais on ne savait pas ce que c’était, on a tout jeté (…) Mon grand-père avait produit 40 films, 10% de la production, un truc énorme. Aujourd’hui on peut en trouver 3 en VHS ou VCD. Les 37 autres films ont juste été perdus, au moment très précis où ces gens ont jeté les copies, sachant qu’à cette époque il n’y avait qu’une ou deux copies par film. »
Du long-métrage de Davy Chou on espère qu’il y aura plusieurs copies. Il est programmé pour une sortie en salles en 2012… D’ici là, vous pourrez le retrouver au Festival international du film de Belfort fin novembre. http://www.festival-entrevues.com/
Interview Davy Chou - Sommeil d'or by jo-weisz
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Dernière édition par Admin le Jeu 13 Sep 2012 - 22:28, édité 1 fois
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Date d'inscription : 31/05/2009
Les films fantômes du Cambodge
Des 400 films cambodgiens réalisés entre 1960 et 1975 il ne reste quasiment plus rien. Dans Le Sommeil d'Or qui sort le 19 septembre, Davy Chou part à la recherche de ces films fantômes. Le pari de ce magnifique documentaire est de rendre compte de ce cinéma invisible. Prouver que les émotions perdurent par-delà la destruction des images.
Le cinéma fut un art florissant au Cambodge durant quinze ans, de 1960 à 1975. Près de quatre cents films tournés dans le seul pays au monde dirigé par un roi-cinéaste. Des salles de cinéma pleines à craquer. Des affiches chatoyantes présentant les stars de l’époque. Le cinéma était un art populaire, notamment à Phnom Penh qui comptait des salles qui n’avaient rien à envier aux salles parisiennes. Réalisateurs, producteurs, acteurs et chanteurs ont fait vibrer tout un peuple jusqu’à ce que la guerre accouche d’un monstre, les Khmers rouges, qui non seulement assassinèrent le tiers de la population mais détruisirent les films, les photos et les livres. Le Cambodge a ceci de particulier qu’il est aussi l’un des seuls pays au monde à être orphelin de son cinéma. Près de quarante ans après la prise de Phnom Penh, il ne reste quasiment plus rien de la production cambodgienne, si ce n’est quelques pellicules sauvées de l’autodafé et copiées sur des bandes vidéo de piètre qualité. C’est la mémoire de toute une génération que les Khmers rouges ont tenté d’effacer. Le pari de Davy Chou, dont le magnifique Sommeil d’or sort en salle le 19 septembre, c’est de rendre compte de ce cinéma invisible. Prouver que les émotions perdurent par-delà la destruction des images.
La caméra de Davy Chou explore le Cambodge d’aujourd’hui pour nous parler de cet hier tragique. Des jeunes s’amusent dans cette salle de jeu, ce café karoke, dans une apparente insouciance. Dans une grande pauvreté, les habitants d’un vaste squat en ruine apparaissent sur l’écran. Ils vivent dans ce qui fut le cinéma Hemakcheat qui pouvait accueillir un millier de spectateurs. Il ne reste plus rien de cette époque, que les murs lépreux.
Vestiges d'un monde englouti
Pour peu qu’on habite une maison un peu ancienne, on s’est tous plu à imaginer ceux qui nous y ont précédé. Mais la quête de Davy Chou dépasse la seule nostalgie. Ces murs sont les seuls vestiges d’un monde englouti. Il y avait une trentaine de cinéma à Phnom Penh jusqu’à l’arrivée au pouvoir des Khmers rouges. L’un des témoins du Sommeil d’Or affirme que plus la guerre avançait, plus les habitants avaient besoin de cinéma. Malgré les bombes. Ou peut-être à cause des bombes. A Phnom Penh comme à Paris ou à Londres, à Delhi, au Caire ou à Hong-Kong, le cinéma était un lieu de vie, un lieu d’apprentissage. La magie du grand écran. La jeunesse venait pour y rêver, pour y draguer. Les films puisaient leurs histoires dans le fonds populaire khmer. Mais les réalisateurs ne dédaignaient pas la description d’une bourgeoisie occidentalisée de fiction. Oubliant la guerre froide sur les plateaux de cinéma, Norodom Sihanouk était l’un de ces réalisateurs ; il dirigeait sa femme et ses enfants dans des romances ou des comédies qui avaient pour titres Apsara, La forêt enchantée, Ombre sur Angkor. Les cinéastes à succès proposaient des histoires où des princesses se transformaient en serpents, où tout, de toute façon, comme à Bollywood, se terminait par des chansons.
Les spectateurs n’imaginaient pas que tout cela serait anéanti brutalement. Il n’existait souvent qu’une copie unique de ces films. Les Khmers rouges ordonnèrent leur destruction. Et même après la guerre, lorsqu’une famille investissait la maison d’un cinéaste assassiné, elle jetait les bobines, ne sachant pas à quoi cela pourrait servir. Si peu a été sauvé ! Certains films seront même détruits avant même d’avoir été montré au public. Le cinéma, est une des nombreuses victimes collatérales d’un génocide qui n’a épargné aucune famille. Ainsi donc, les films cambodgiens n’existent plus. Et ceux qui les ont créés, à quelques exceptions près, ont été assassinés. Acteurs, actrices, réalisateurs, décorateurs, maquilleuses, preneurs de sons, producteurs. Non pas morts parce que le temps a fait son œuvre mais parce que la barbarie a voulu faire table rase de tout un peuple. Et pourtant… Et pourtant, et c’est ce qui fait que la quête de Davy Chou n’a rien de morbide, le cinéma cambodgien a été plus fort que les Khmers rouges, il a réussi à survivre dans le cœur des spectateurs, et de leurs enfants, alors même que sa matérialité est absente.
Dy Saveth, la Brigitte Bardot khmère
L’empathie de Davy Chou pour les rescapés à qui il donne la parole permet, par touches impressionnistes, de se figurer ce que fut cet âge d’or. On aime par exemple Dy Saveth, contemporaine de Brigitte Bardot et aussi adulée qu’elle jusqu’en 1975. Elle est l’une des rares stars de l’époque à avoir survécu. Aujourd’hui entourée des photos des acteurs disparus avec qui elle partagea l’affiche (on apprend qu’il y avait une Kim Nova – sans k), elle enseigne chez elle le cha-cha-cha et le chant à de jeunes Khmers. Davy Chou l’emmène dans un village où Dy Saveth tourna jadis une scène mythique (où elle était censée être lapidée). On est ému de voir les paysans la reconnaître, se rappeler de la scène. L’ancienne actrice plaisante même avec l’un des figurants qui lui avait jeté des pierres tandis qu’elle brûlait sur un bûcher. Et on lit la fierté de la survivante lorsqu’elle découvre enfin, après tant d’année, la colline à laquelle les paysans ont donné son nom. La colline Dy Saveth.
La vérité, c’est qu’on aime tous les personnages de ce film. Tout spécialement Yvon Hem, réalisateur décédé en août dernier. Face à la caméra de Davy Chou, et en présence de ses enfants et de sa femme, il explique ce que fut sa vie de cinéaste. Un témoignage qui lui a coûté. Parce que parler de sa vie d’avant, c’est évoquer sa première famille, entièrement décimée par le régime de Pol Pot. Il emmène Davy Chou et ses enfants sur les lieux de son ancien studio, L’Oiseau de Paradis, nommé ainsi en hommage au film de Marcel Camus (le fameux réalisateur d’Orfeu Negro), dans lequel joua la sœur d’Yvon Hem et qui décida de sa vocation de cinéaste. Le regard attentif de ses enfants serre le cœur. On est reconnaissant à Davy Chou de leur avoir permis, grâce au Sommeil d’Or, de partager ces souvenirs avec leur père.
Récréer la scène culte de l'Etang Sacré
Et puis il y a le truculent Ly Bun Yim, le maître des effets spéciaux, qui fut l’un des cinéastes les plus populaires du Cambodge. On l’écoute raconter, l’œil vif, sourire en coin, le pitch de ses films disparus. Intarissable sur les animaux mythologiques qui peuplent ses films, en particulier un hippocampe qui aurait dû marquer l’Histoire du cinéma. Avec la complicité de Davy Chou, il se livre aussi à des démonstrations de son savoir faire en matière de truquage. Le septuagénaire tiré à quatre épingles a une imagination sans limite et on se plait à imaginer que la jeune génération de cinéastes cambodgiens le remette en scelle et qu’il devienne, tels les papis du Buena Vista Social Club, un cinéaste d’aujourd’hui et non plus seulement un artiste d’hier.
L’une des scènes les plus marquantes du Sommeil d’Or est celle où s’exprime Ly You Sreang, dont la vie est un roman qu’il nous raconte, au bord des larmes. Cinéaste contraint de fuir le Cambodge, travailleur précaire en France qui réussit à force de courage et de volonté à créer des sociétés de taxi, il finit par decider de s’installer au Cambodge pour y passer ses vieux jours. On est plein d’admiration pour cet homme qui a connu la gloire puis l’anonymat, qui a fait de sa femme une star et la retrouve mariée à un autre parce qu’elle l’avait cru mort, comme dans un roman de Duong Thu Hong. Le regard de Davy Chou, toujours bienveillant, l’aide à retisser le fil de sa vie devant nous, sans impudeur.
Malgré la gravité de son sujet, Le Sommeil d’Or est aussi fidèle à l’humour cambodgien. Le réalisateur Ly You Sreang, évoque ainsi son film culte des années 70, L’Etang sacré. Pourquoi le film est-il resté dans les mémoires ? Parce que l'acteur le plus connu, Kong Sam Oeun, sortait de l’étang entièrement nu. Malicieux, le cineaste ne cache pas tout l’intérêt commercial d’une telle scène. Le Alain Delon khmer émoustillait toutes les femmes de l’époque. A peine s’est-on figuré la scène, devant l’étang sacré en question, qui existe toujours aujourd’hui, que Davy Chou entreprend de retourner la scène mythique avec des acteurs contemporains. Pour d’évidentes questions d’ordre commercial, on laissera la surprise aux spectateurs du Sommeil d’Or de découvrir cette scène reconstituée. L’idée nous traverse soudain qu’un remake du film entier serait le bienvenu.
A ces personnages, il faut ajouter aussi la tante de Davy Chou, Sohong Stehlin, qui apparaît au début du film. Elle a joué un rôle central dans sa découverte du sujet puisque c’est elle qui a expliqué à Davy Chou en quoi consistait le travail de son grand-père, Van Chann qui fut un des principaux producteurs de cinéma au Cambodge dans les années 60 et 70 (Il a produit une quarantaine de films, soit 10 % de l’ensemble des films réalisés au Cambodge, jusqu’à son décès en 1969). Cette filiation, on l’a compris, est le point de départ du film mais l’enquête dépasse largement la quête familiale même si l’on se doute que le nom de Van Chann a dû ouvrir quelques portes lorsqu’il s’est agi de rencontrer les témoins de cette époque.
Rendre justice aux cinéastes
Le Sommeil d’Or est l’aboutissement d’une belle histoire. En 2008, à 24 ans, Davy Chou part au Cambodge pour la première fois. L’année suivante, il s’installe quelque temps à Phnom Penh pour apprendre le khmer et approfondir sa connaissance du pays. Il anime un atelier avec des étudiants qui aboutit à la réalisation du film Twin Diamonds et fonde en même temps un collectif avec ces jeunes, le Kon Khmer Koun Khmer qui a depuis produit plusieurs films au Cambodge, dont l’ambitieux Boyfriend et est très actif sur la scène artistique cambodgienne. (Les membres du collectif font d’ailleurs une apparition joyeuse dans le remake de L’Etang Sacré) Davy Chou s’est documenté, a multiplié les rencontres. Accompagné de Rotha Moeng, un acteur cambodgien qui a grandi en France et dont j’ai raconté l’enfance dans Le Chœur des Enfants Khmers, il fait ainsi la connaissance à Paris du cinéaste Biv Chhay Leang qui ne figure pas dans le film (mais apparaîtra peut-être dans les bonus du DVD). J’ai eu la chance de le rencontrer moi aussi, grâce à Rotha Moeng et son ami Vannak et je l’ai évoqué dans mon roman. Comme les autres réalisateurs, Biv Chhay Leang, qui est aujourd’hui âgé et malade, ne se remet pas de la perte de ses films. Dans les années 80 et 90, il a tenté de leur redonner vie en écrivant des romans à compte d’auteur inspirés de ses longs métrages. Ses murs sont couverts de tableaux représentant les affiches de ses films disparus et qui ont été executés de mémoire par ses proches. Je me rappelle son amertume quand il découvrait, dans des DVD de karaoke importés du Cambodge, que ses histoires avaient été reprises, pour ne pas dire pillées, sans que personne ne mentionne qu’il en était l’auteur. Et c’est tout le mérite de Davy Chou que de rendre justice à ces créateurs qui furent au coeur de la vie culturelle du Cambodge dans les années précédant la prise de Phnom Penh par les Khmers rouges. Espérons qu’ils soient un jour honorés officiellement par les autorités cambodgiennes d’une manière ou d’une autre.
Le casting ne serait pas complet sans les deux cinéphiles, qui ne se connaissaient pas avant le Sommeil d’Or et qui se remémorent sous nos yeux leurs films préférés, les acteurs, les actrices, les décors, les répliques cultes et toutes les chansons qui ont traversé le temps. L’un d’eux dira même qu’il a oublié les visages de ses proches disparus sous Pol Pot mais qu’il se remémore encore parfaitement les traits des acteurs qu’il aimait. Ils sont la mémoire du cinéma cambodgien et l’on imagine le plaisir des vieux réalisateurs en regardant les yeux émerveillés de ces deux cinéphiles. Malgré les pellicules brûlées et le meurtre des principaux cinéastes et acteurs, le cinéma de ces années-là n’a jamais quitté le cœur des Cambodgiens durant les années de guerre. Sohong Stehlin, la tante de Davy Chou, raconte comment les Khmers, malgré la peur, chantaient dès qu’ils n’étaient pas surveillés par leurs geôliers. Quand le Cambodge a enfin pu se débarrasser des génocidaires, les films fantômes ont continué de vivre dans les familles. Notamment dans les camps de réfugiés en Thaïlande où tant de jeunes Cambodgiens osèrent interroger pour la première fois leurs parents sur la vie d’avant. Miracle de la parole, de la transmission : certains jeunes d’aujourd’hui se souviennent de films qu’ils n’ont jamais vu.
On voudrait aussi évoquer les longs travelings qui rythment Le Sommeil d’Or, et qui nous montrent une jeunesse khmère tournée vers l’avenir, la bande son prodigieuse qui met en relief des pépites musicales qu’on souhaiterait écouter en boucle, on aimerait décrire aussi ce dernier plan qui nous scotche à nos fauteuils : images du passé projetées sur un mur de cinéma décati. Ce sera d’ailleurs la seule bribe de film offerte aux spectateurs car Davy Chou a pris le parti de ne pas les exhumer dans le Sommeil d’Or.
Que nous dit le beau titre choisi par Davy Chou pour résumer sa quête ? Que le cinéma cambodgien n’est pas mort mais seulement endormi ? Qu’il est sur le point de se réveiller ? Ce superbe documentaire, assurément, réveille des fantômes.
Ce cinéma cambodgien de l’âge d’or est peut-être aussi un rappel des temps heureux. Si les B52 de l’armée américaine avaient déjà répandu la mort dans les campagnes cambodgiennes, si les Khmers rouges avaient déjà commencé à actionner leur machine de mort dans certaines régions, ces années 60 et 70 ne laissaient pas deviner que les Cambodgiens allaient subir un enfer long de trois ans, huit mois et vingt jours, entre avril 75 et janvier 79. Le cinéma, pour les jeunes de cette époque, correspond à une forme d’insouciance malgré la guerre pourtant bien présente. Sin Sisamouth, le crooner cambodgien dont le répertoire est connu de Ratanakiri à Svay Rieng et qui fut assassiné en pleine gloire par les Khmers rouges, était à son apogée. Les acteurs vivaient. Les films vivaient. Les Cambodgiens vivaient. Un tiers d’entre eux vivait encore…
La génération qui a vu ces films a aujourd’hui une soixantaine d’années. Les plus jeunes ont cinquante ans. On imagine l’émotion des spectateurs d’hier à l’évocation de ces films populaires, cousins des films indiens et hong-kongais. C’est toute la réussite du Sommeil d’Or : sans jamais montrer d’extrait de film (à l’exception de la scène finale) il parvient à recréer la magie de cet âge d’or. Les souvenirs se croisent, se superposent aux images du présent, l’imaginaire du spectateur se met en marche.
Que l’auteur d’une telle enquête, Davy Chou, n’ait que 28 ans, apporte une belle promesse. L’âge d’or revient toujours, du moins chaque époque connaît son âge d’or. Rendre hommage aux derniers survivants de cette époque, reconnaître leur rôle dans ce qui a fécondé l’imagination de tout un peuple, est une étape nécessaire. Le Cambodge d’aujourd’hui vit, chante et danse. Sa mémoire se vivifie grâce à ses artistes, de la diaspora ou de l’intérieur. Rithy Panh qui tout en poursuivant son œuvre encourage les vocations. Le dessinateur Sera qui d’album en album raconte l’irracontable. Les projets franco-khmers se multiplient. De beaux projets. Cambodge, me voici, la très belle pièce créée à Paris par Jean-Baptiste Phou vient d’être jouée pour la première fois en khmer à Phnom Penh. Avec Dy Saveth, la diva khmère. Vingt-six ans après sa création par Ariane Mnouchkine, L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge, chef-d’œuvre d’Hélène Cixoux, a pris une nouvelles dimension dans son interprétation en langue khmère par la troupe Phare Ponleu Selpak venue de Battambang (avec un roi Sihanouk magistralement interprété par une jeune femme, Maradi San).
Et on rêve aujourd’hui aux films de demain.
Loïc Barrière
Le Sommeil d’Or de Davy Chou. Sortie nationale le 19 septembre.
http://blogs.mediapart.fr/blog/loic-barriere/110912/les-films-fantomes-du-cambodge
Le cinéma fut un art florissant au Cambodge durant quinze ans, de 1960 à 1975. Près de quatre cents films tournés dans le seul pays au monde dirigé par un roi-cinéaste. Des salles de cinéma pleines à craquer. Des affiches chatoyantes présentant les stars de l’époque. Le cinéma était un art populaire, notamment à Phnom Penh qui comptait des salles qui n’avaient rien à envier aux salles parisiennes. Réalisateurs, producteurs, acteurs et chanteurs ont fait vibrer tout un peuple jusqu’à ce que la guerre accouche d’un monstre, les Khmers rouges, qui non seulement assassinèrent le tiers de la population mais détruisirent les films, les photos et les livres. Le Cambodge a ceci de particulier qu’il est aussi l’un des seuls pays au monde à être orphelin de son cinéma. Près de quarante ans après la prise de Phnom Penh, il ne reste quasiment plus rien de la production cambodgienne, si ce n’est quelques pellicules sauvées de l’autodafé et copiées sur des bandes vidéo de piètre qualité. C’est la mémoire de toute une génération que les Khmers rouges ont tenté d’effacer. Le pari de Davy Chou, dont le magnifique Sommeil d’or sort en salle le 19 septembre, c’est de rendre compte de ce cinéma invisible. Prouver que les émotions perdurent par-delà la destruction des images.
La caméra de Davy Chou explore le Cambodge d’aujourd’hui pour nous parler de cet hier tragique. Des jeunes s’amusent dans cette salle de jeu, ce café karoke, dans une apparente insouciance. Dans une grande pauvreté, les habitants d’un vaste squat en ruine apparaissent sur l’écran. Ils vivent dans ce qui fut le cinéma Hemakcheat qui pouvait accueillir un millier de spectateurs. Il ne reste plus rien de cette époque, que les murs lépreux.
Vestiges d'un monde englouti
Pour peu qu’on habite une maison un peu ancienne, on s’est tous plu à imaginer ceux qui nous y ont précédé. Mais la quête de Davy Chou dépasse la seule nostalgie. Ces murs sont les seuls vestiges d’un monde englouti. Il y avait une trentaine de cinéma à Phnom Penh jusqu’à l’arrivée au pouvoir des Khmers rouges. L’un des témoins du Sommeil d’Or affirme que plus la guerre avançait, plus les habitants avaient besoin de cinéma. Malgré les bombes. Ou peut-être à cause des bombes. A Phnom Penh comme à Paris ou à Londres, à Delhi, au Caire ou à Hong-Kong, le cinéma était un lieu de vie, un lieu d’apprentissage. La magie du grand écran. La jeunesse venait pour y rêver, pour y draguer. Les films puisaient leurs histoires dans le fonds populaire khmer. Mais les réalisateurs ne dédaignaient pas la description d’une bourgeoisie occidentalisée de fiction. Oubliant la guerre froide sur les plateaux de cinéma, Norodom Sihanouk était l’un de ces réalisateurs ; il dirigeait sa femme et ses enfants dans des romances ou des comédies qui avaient pour titres Apsara, La forêt enchantée, Ombre sur Angkor. Les cinéastes à succès proposaient des histoires où des princesses se transformaient en serpents, où tout, de toute façon, comme à Bollywood, se terminait par des chansons.
Les spectateurs n’imaginaient pas que tout cela serait anéanti brutalement. Il n’existait souvent qu’une copie unique de ces films. Les Khmers rouges ordonnèrent leur destruction. Et même après la guerre, lorsqu’une famille investissait la maison d’un cinéaste assassiné, elle jetait les bobines, ne sachant pas à quoi cela pourrait servir. Si peu a été sauvé ! Certains films seront même détruits avant même d’avoir été montré au public. Le cinéma, est une des nombreuses victimes collatérales d’un génocide qui n’a épargné aucune famille. Ainsi donc, les films cambodgiens n’existent plus. Et ceux qui les ont créés, à quelques exceptions près, ont été assassinés. Acteurs, actrices, réalisateurs, décorateurs, maquilleuses, preneurs de sons, producteurs. Non pas morts parce que le temps a fait son œuvre mais parce que la barbarie a voulu faire table rase de tout un peuple. Et pourtant… Et pourtant, et c’est ce qui fait que la quête de Davy Chou n’a rien de morbide, le cinéma cambodgien a été plus fort que les Khmers rouges, il a réussi à survivre dans le cœur des spectateurs, et de leurs enfants, alors même que sa matérialité est absente.
Dy Saveth, la Brigitte Bardot khmère
L’empathie de Davy Chou pour les rescapés à qui il donne la parole permet, par touches impressionnistes, de se figurer ce que fut cet âge d’or. On aime par exemple Dy Saveth, contemporaine de Brigitte Bardot et aussi adulée qu’elle jusqu’en 1975. Elle est l’une des rares stars de l’époque à avoir survécu. Aujourd’hui entourée des photos des acteurs disparus avec qui elle partagea l’affiche (on apprend qu’il y avait une Kim Nova – sans k), elle enseigne chez elle le cha-cha-cha et le chant à de jeunes Khmers. Davy Chou l’emmène dans un village où Dy Saveth tourna jadis une scène mythique (où elle était censée être lapidée). On est ému de voir les paysans la reconnaître, se rappeler de la scène. L’ancienne actrice plaisante même avec l’un des figurants qui lui avait jeté des pierres tandis qu’elle brûlait sur un bûcher. Et on lit la fierté de la survivante lorsqu’elle découvre enfin, après tant d’année, la colline à laquelle les paysans ont donné son nom. La colline Dy Saveth.
La vérité, c’est qu’on aime tous les personnages de ce film. Tout spécialement Yvon Hem, réalisateur décédé en août dernier. Face à la caméra de Davy Chou, et en présence de ses enfants et de sa femme, il explique ce que fut sa vie de cinéaste. Un témoignage qui lui a coûté. Parce que parler de sa vie d’avant, c’est évoquer sa première famille, entièrement décimée par le régime de Pol Pot. Il emmène Davy Chou et ses enfants sur les lieux de son ancien studio, L’Oiseau de Paradis, nommé ainsi en hommage au film de Marcel Camus (le fameux réalisateur d’Orfeu Negro), dans lequel joua la sœur d’Yvon Hem et qui décida de sa vocation de cinéaste. Le regard attentif de ses enfants serre le cœur. On est reconnaissant à Davy Chou de leur avoir permis, grâce au Sommeil d’Or, de partager ces souvenirs avec leur père.
Récréer la scène culte de l'Etang Sacré
Et puis il y a le truculent Ly Bun Yim, le maître des effets spéciaux, qui fut l’un des cinéastes les plus populaires du Cambodge. On l’écoute raconter, l’œil vif, sourire en coin, le pitch de ses films disparus. Intarissable sur les animaux mythologiques qui peuplent ses films, en particulier un hippocampe qui aurait dû marquer l’Histoire du cinéma. Avec la complicité de Davy Chou, il se livre aussi à des démonstrations de son savoir faire en matière de truquage. Le septuagénaire tiré à quatre épingles a une imagination sans limite et on se plait à imaginer que la jeune génération de cinéastes cambodgiens le remette en scelle et qu’il devienne, tels les papis du Buena Vista Social Club, un cinéaste d’aujourd’hui et non plus seulement un artiste d’hier.
L’une des scènes les plus marquantes du Sommeil d’Or est celle où s’exprime Ly You Sreang, dont la vie est un roman qu’il nous raconte, au bord des larmes. Cinéaste contraint de fuir le Cambodge, travailleur précaire en France qui réussit à force de courage et de volonté à créer des sociétés de taxi, il finit par decider de s’installer au Cambodge pour y passer ses vieux jours. On est plein d’admiration pour cet homme qui a connu la gloire puis l’anonymat, qui a fait de sa femme une star et la retrouve mariée à un autre parce qu’elle l’avait cru mort, comme dans un roman de Duong Thu Hong. Le regard de Davy Chou, toujours bienveillant, l’aide à retisser le fil de sa vie devant nous, sans impudeur.
Malgré la gravité de son sujet, Le Sommeil d’Or est aussi fidèle à l’humour cambodgien. Le réalisateur Ly You Sreang, évoque ainsi son film culte des années 70, L’Etang sacré. Pourquoi le film est-il resté dans les mémoires ? Parce que l'acteur le plus connu, Kong Sam Oeun, sortait de l’étang entièrement nu. Malicieux, le cineaste ne cache pas tout l’intérêt commercial d’une telle scène. Le Alain Delon khmer émoustillait toutes les femmes de l’époque. A peine s’est-on figuré la scène, devant l’étang sacré en question, qui existe toujours aujourd’hui, que Davy Chou entreprend de retourner la scène mythique avec des acteurs contemporains. Pour d’évidentes questions d’ordre commercial, on laissera la surprise aux spectateurs du Sommeil d’Or de découvrir cette scène reconstituée. L’idée nous traverse soudain qu’un remake du film entier serait le bienvenu.
A ces personnages, il faut ajouter aussi la tante de Davy Chou, Sohong Stehlin, qui apparaît au début du film. Elle a joué un rôle central dans sa découverte du sujet puisque c’est elle qui a expliqué à Davy Chou en quoi consistait le travail de son grand-père, Van Chann qui fut un des principaux producteurs de cinéma au Cambodge dans les années 60 et 70 (Il a produit une quarantaine de films, soit 10 % de l’ensemble des films réalisés au Cambodge, jusqu’à son décès en 1969). Cette filiation, on l’a compris, est le point de départ du film mais l’enquête dépasse largement la quête familiale même si l’on se doute que le nom de Van Chann a dû ouvrir quelques portes lorsqu’il s’est agi de rencontrer les témoins de cette époque.
Rendre justice aux cinéastes
Le Sommeil d’Or est l’aboutissement d’une belle histoire. En 2008, à 24 ans, Davy Chou part au Cambodge pour la première fois. L’année suivante, il s’installe quelque temps à Phnom Penh pour apprendre le khmer et approfondir sa connaissance du pays. Il anime un atelier avec des étudiants qui aboutit à la réalisation du film Twin Diamonds et fonde en même temps un collectif avec ces jeunes, le Kon Khmer Koun Khmer qui a depuis produit plusieurs films au Cambodge, dont l’ambitieux Boyfriend et est très actif sur la scène artistique cambodgienne. (Les membres du collectif font d’ailleurs une apparition joyeuse dans le remake de L’Etang Sacré) Davy Chou s’est documenté, a multiplié les rencontres. Accompagné de Rotha Moeng, un acteur cambodgien qui a grandi en France et dont j’ai raconté l’enfance dans Le Chœur des Enfants Khmers, il fait ainsi la connaissance à Paris du cinéaste Biv Chhay Leang qui ne figure pas dans le film (mais apparaîtra peut-être dans les bonus du DVD). J’ai eu la chance de le rencontrer moi aussi, grâce à Rotha Moeng et son ami Vannak et je l’ai évoqué dans mon roman. Comme les autres réalisateurs, Biv Chhay Leang, qui est aujourd’hui âgé et malade, ne se remet pas de la perte de ses films. Dans les années 80 et 90, il a tenté de leur redonner vie en écrivant des romans à compte d’auteur inspirés de ses longs métrages. Ses murs sont couverts de tableaux représentant les affiches de ses films disparus et qui ont été executés de mémoire par ses proches. Je me rappelle son amertume quand il découvrait, dans des DVD de karaoke importés du Cambodge, que ses histoires avaient été reprises, pour ne pas dire pillées, sans que personne ne mentionne qu’il en était l’auteur. Et c’est tout le mérite de Davy Chou que de rendre justice à ces créateurs qui furent au coeur de la vie culturelle du Cambodge dans les années précédant la prise de Phnom Penh par les Khmers rouges. Espérons qu’ils soient un jour honorés officiellement par les autorités cambodgiennes d’une manière ou d’une autre.
Le casting ne serait pas complet sans les deux cinéphiles, qui ne se connaissaient pas avant le Sommeil d’Or et qui se remémorent sous nos yeux leurs films préférés, les acteurs, les actrices, les décors, les répliques cultes et toutes les chansons qui ont traversé le temps. L’un d’eux dira même qu’il a oublié les visages de ses proches disparus sous Pol Pot mais qu’il se remémore encore parfaitement les traits des acteurs qu’il aimait. Ils sont la mémoire du cinéma cambodgien et l’on imagine le plaisir des vieux réalisateurs en regardant les yeux émerveillés de ces deux cinéphiles. Malgré les pellicules brûlées et le meurtre des principaux cinéastes et acteurs, le cinéma de ces années-là n’a jamais quitté le cœur des Cambodgiens durant les années de guerre. Sohong Stehlin, la tante de Davy Chou, raconte comment les Khmers, malgré la peur, chantaient dès qu’ils n’étaient pas surveillés par leurs geôliers. Quand le Cambodge a enfin pu se débarrasser des génocidaires, les films fantômes ont continué de vivre dans les familles. Notamment dans les camps de réfugiés en Thaïlande où tant de jeunes Cambodgiens osèrent interroger pour la première fois leurs parents sur la vie d’avant. Miracle de la parole, de la transmission : certains jeunes d’aujourd’hui se souviennent de films qu’ils n’ont jamais vu.
On voudrait aussi évoquer les longs travelings qui rythment Le Sommeil d’Or, et qui nous montrent une jeunesse khmère tournée vers l’avenir, la bande son prodigieuse qui met en relief des pépites musicales qu’on souhaiterait écouter en boucle, on aimerait décrire aussi ce dernier plan qui nous scotche à nos fauteuils : images du passé projetées sur un mur de cinéma décati. Ce sera d’ailleurs la seule bribe de film offerte aux spectateurs car Davy Chou a pris le parti de ne pas les exhumer dans le Sommeil d’Or.
Que nous dit le beau titre choisi par Davy Chou pour résumer sa quête ? Que le cinéma cambodgien n’est pas mort mais seulement endormi ? Qu’il est sur le point de se réveiller ? Ce superbe documentaire, assurément, réveille des fantômes.
Ce cinéma cambodgien de l’âge d’or est peut-être aussi un rappel des temps heureux. Si les B52 de l’armée américaine avaient déjà répandu la mort dans les campagnes cambodgiennes, si les Khmers rouges avaient déjà commencé à actionner leur machine de mort dans certaines régions, ces années 60 et 70 ne laissaient pas deviner que les Cambodgiens allaient subir un enfer long de trois ans, huit mois et vingt jours, entre avril 75 et janvier 79. Le cinéma, pour les jeunes de cette époque, correspond à une forme d’insouciance malgré la guerre pourtant bien présente. Sin Sisamouth, le crooner cambodgien dont le répertoire est connu de Ratanakiri à Svay Rieng et qui fut assassiné en pleine gloire par les Khmers rouges, était à son apogée. Les acteurs vivaient. Les films vivaient. Les Cambodgiens vivaient. Un tiers d’entre eux vivait encore…
La génération qui a vu ces films a aujourd’hui une soixantaine d’années. Les plus jeunes ont cinquante ans. On imagine l’émotion des spectateurs d’hier à l’évocation de ces films populaires, cousins des films indiens et hong-kongais. C’est toute la réussite du Sommeil d’Or : sans jamais montrer d’extrait de film (à l’exception de la scène finale) il parvient à recréer la magie de cet âge d’or. Les souvenirs se croisent, se superposent aux images du présent, l’imaginaire du spectateur se met en marche.
Que l’auteur d’une telle enquête, Davy Chou, n’ait que 28 ans, apporte une belle promesse. L’âge d’or revient toujours, du moins chaque époque connaît son âge d’or. Rendre hommage aux derniers survivants de cette époque, reconnaître leur rôle dans ce qui a fécondé l’imagination de tout un peuple, est une étape nécessaire. Le Cambodge d’aujourd’hui vit, chante et danse. Sa mémoire se vivifie grâce à ses artistes, de la diaspora ou de l’intérieur. Rithy Panh qui tout en poursuivant son œuvre encourage les vocations. Le dessinateur Sera qui d’album en album raconte l’irracontable. Les projets franco-khmers se multiplient. De beaux projets. Cambodge, me voici, la très belle pièce créée à Paris par Jean-Baptiste Phou vient d’être jouée pour la première fois en khmer à Phnom Penh. Avec Dy Saveth, la diva khmère. Vingt-six ans après sa création par Ariane Mnouchkine, L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge, chef-d’œuvre d’Hélène Cixoux, a pris une nouvelles dimension dans son interprétation en langue khmère par la troupe Phare Ponleu Selpak venue de Battambang (avec un roi Sihanouk magistralement interprété par une jeune femme, Maradi San).
Et on rêve aujourd’hui aux films de demain.
Loïc Barrière
Le Sommeil d’Or de Davy Chou. Sortie nationale le 19 septembre.
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Norodom Sihanouk, roi cinéaste
"Le roi a baigné dans une famille cultivée et éclairée sur les choses artistiques, note Jean-Baptiste Martin, réalisateur de Norodom Sihanouk, roi cinéaste (1997), un documentaire consacré à l'oeuvre cinématographique du souverain cambodgien, écrit par Frédéric Mitterrand. C'était un amateur éclairé, entouré de techniciens de qualité, formés au Cambodge. Il a réalisé des films qui, sans constituer des prouesses techniques, étaient de bonne facture, et qui étaient projetés dans les cinémas du pays. Ce n'étaient pas des films d'apparat destinés à une intelligentsia."
Dans le documentaire que lui ont consacré Frédéric Mitterrand, Jean-Baptiste Martin et son épouse, Marie Mitterrand, Norodom Sihanouk apparaît humble lorsqu'il évoque son œuvre, doutant même de ses capacités de comédien : "Quand j'étais jeune, je voulais être Clark Gable, je voulais être Robert Montgomery... On dit que ma femme est très douée. Mais moi, en tant qu'acteur, je ne le suis pas"
www.lemonde.fr
Dans le documentaire que lui ont consacré Frédéric Mitterrand, Jean-Baptiste Martin et son épouse, Marie Mitterrand, Norodom Sihanouk apparaît humble lorsqu'il évoque son œuvre, doutant même de ses capacités de comédien : "Quand j'étais jeune, je voulais être Clark Gable, je voulais être Robert Montgomery... On dit que ma femme est très douée. Mais moi, en tant qu'acteur, je ne le suis pas"
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Norodom Sihanouk, mort d’un "roi cinéaste"
Lorsque les médias annoncèrent la mort, le 15 octobre 2012 à presque 90 ans, de celui qui fut successivement roi, prince premier ministre puis à nouveau roi du Cambodge durant plus de 25 ans, avec les péripéties et éclipses que l’on connaît, il fut rarement question de son œuvre de cinéaste, et c’est finalement assez logique. Et même doublement. Car la vie de Norodom Sihanouk fut bien évidemment d’abord marquée par l’histoire de son pays, l’une des plus tragiques de la seconde moitié du 20ème siècle. Mais aussi parce que ses films, pourtant extrêmement nombreux (une trentaine de longs-métrages, de nombreux courts-métrages et documentaires), ont été très peu montrés en France, souvent même pas du tout. Une certaine perplexité les entoure forcément : lubie artistique d’un despote éclairé (au sens où on pouvait l’entendre aux 18ème et 19ème siècles) en mal d’amour de ses sujets ? Il y avait sans doute de cela chez Sihanouk, lui qui a tellement voulu placer sa vie sous le signe d’un "amour fusionnel" entre son peuple et lui, qui a tellement voulu être le père protecteur des Cambodgiens (ne se faisait-il pas appeler aussi "Monseigneur Papa" ?) qu’il est allé jusqu’à la compromission de tous les dangers avec les Khmers rouges, dont il fut tout à la fois l’allié, la caution et l’otage.
Mais il y avait aussi autre chose, et d’abord une passion cinéphile ancienne et sincère chez celui qui, tout jeune, se rêvait en Clark Gable ou Robert Montgomery.
Dans l’entretien qu’il nous a accordé cet été à l’occasion de la sortie de son premier film, Le Sommeil d’or, évocation poétique des traces laissés par le cinéma cambodgien pré-Khmers rouges dans un pays aujourd’hui pacifié, Davy Chou nous expliquait justement la spécificité du cinéma de Sihanouk (qui justifiait à ses yeux qu’il n’en fasse pas mention dans son film). L’homme d’état ne se rêvait pas seulement star d’Hollywood mais aussi grand cinéaste reconnu par les festivals occidentaux les plus prestigieux, ce qui ne fut jamais le cas. Il développa donc un cinéma aux prétentions plus "artistiques" que celui qui s’épanouissait alors au Cambodge (qui est justement l’objet du Sommeil d’or), un cinéma, surtout, avec une ambition d’"édification des masses" (ce qu’il appelait, avec une certaine dose d’un paternalisme qui ne l’a jamais quitté, le "petit peuple"). Plusieurs de ses films, notamment les premiers (Apsara, La Forêt enchantée, Le Petit prince du peuple), étaient donc aussi conçus comme une glorification des tranditions ancestrales d’un peuple khmer au passé glorieux (les somptueux temples d’Angkor étaient évidemment, pour cela, largement mis à contribution). Mais avaient aussi une visée plus politique : celle de la légitimation de l’œuvre bienfaitrice de la monarchie. Et donc, de Sihanouk lui-même et de sa famille, très largement mise à contribution dans ses films.
"Norodom Sihanouk, roi cinéaste"
Car c’est l’une des autres singularités des films de Norodom Sihanouk : celle d’être des "super productions"" (à l’échelle du pays, bien évidemment, mais il pouvait mobiliser des ressources, militaires, notamment, pour certains de ses films, inaccessibles aux autres producteurs cambodgiens) mais aussi, d’une certaine façon, des home movies. Apsara (du nom des nymphes légendaires khmères), son premier long-métrage tourné en 1965, mettait ainsi en scène sa propre fille, la très belle princesse Bopha Devi, émérite danseuse traditionnelle du ballet national khmer, qui avait fait ses débuts cinématographiques dans L’Oiseau de Paradis de Marcel Camus trois ans auparavant et tourné au Cambodge (dont on peut voir un extrait dans Le Sommeil d’or), le propre époux de cette dernière, le prince Sisowath Chivan Monirak, un autre de ses fils, Norodom Naridrapong, mais aussi, ce qui semble encore plus fou, le général Tioulong, l’un de ses plus éminents ministres ! Le Petit prince du peuple (1967) n’était autre que Norodom Sihamoni, l’actuel souverain règnant du pays. Sa septième et dernière épouse, Monique (eurasienne franco-cambodgienne) (1), fut la vedette de plusieurs de ses films mais n’accepta de faire l’actrice qu’à la condition que Sihanouk lui-même lui donne la réplique. Ce qui lui permit ainsi notamment de camper un officier japonais dans Rose de Bokor (1969), un film historique illustrant la période d’occupation japonaise de l’ex-Indochine durant la Seconde Guerre mondiale. Mais surtout de signer des films politiques plus ouvertement autobiographiques, voire même étrangement prémonitoires, comme Ombre sur Angkor (1968), qui s’appuyait certes sur une tentative de coup d’état militaire (appuyé par la CIA) ayant échoué quelques temps auparavant mais qui préfigurait aussi celui du général Lon Nol qui allait réussir deux ans plus tard et plonger un peu plus le pays dans la corruption et dans un rôle d’allié objectif des Etats-Unis dans leur guerre contre le Vietnam communiste, qui fut, en réaction, le "meilleur" ferment qui soit pour le développement des Khmers rouges.
Avec une ironie amère dont il ne pouvait pas être tout à fait conscient (mais qu’il pressentait peut-être), Sihanouk signa aussi en 1968 un film, La Joie de vivre, qui se voulait tout à la fois une dénonciation de la corruption des élites de son propre pays (dont il était le propre chef de l’état !), prenant, avec des accents populistes, toujours partie pour son cher "petit peuple" (une rhétorique pas si éloignée de celles des Khmers rouges), un film de gangsters mettant en scène la mafia locale mais aussi une ôde à la modernité rock’n’roll de Phnom Penh (on y entend un orchestre local massacrer gentiment le All Day and All of the Night des Kinks). On peut aussi y voir des échos du cinéma post-Nouvelle Vague triomphant un peu partout dans le monde depuis plusieurs années.
Mais le plus étonnant dans le destin de réalisateur de Norodom Sihanouk et la meilleure preuve de passion "originelle" pour le cinéma, est que la catastrophe du génocide n’y a pas mis fin. Evidemment, durant son exil (en Chine populaire, en Corée du Nord ou même dans son propre pays), l’heure n’était certainement plus à faire des films. Mais il reprit la caméra dès la fin des années 80, alors que la guerre civile était très loin de toucher à sa fin et que de faire du cinéma cambodgien était encore très loin de renaître de ses cendres (2). Mais à partir de 1987, ses films sont le plus souvent d’une nature bien différente, souvent plus documentaire. Même si l’on peut penser que certains furent aussi pour lui une façon de "témoigner à décharge" sur sa conduite très ambigue durant toute la période de la guerre civile, une façon de toujours se présenter comme la "victime" des circonstances, jamais l’allié des bourreaux. Ce dont nous laisserons les historiens juges…
Lorsque Charles de Gaulle accomplit sa fameuse visite présidentielle au Cambodge en août 1966, ce n'est nul autre que Norodom Sihanouk lui-même qui en signe le film officiel !
La plupart de ces informations sont issues du film extrêmement précieux que Frédéric Mitterrand (pour l’écriture) et Jean-Baptiste Martin (pour la réalisation) ont réalisé en 1997, Norodom Sihanouk, roi cinéaste. Le film (qui nécessite de passer outre la grandiloquence pompeuse habituelle de Mitterrand et son ton assez obséquieux) est visible ici et présente de nombreux extraits des films cités plus haut ainsi que des témoignages de Sihanouk, de sa feme Monique et de ses enfants Bopha Devi et Sihamoni.
Autre adresse précieuse, celle du site Cinéartistes http://www.cineartistes.com/fiche-Norodom+Sihanouk.html qui présente a priori la filmographie la plus complète de Sihanouk, sa fiche sur le site référence ImdB étant, en revanche, très parcellaire. Ce qui montre bien à quel point son cinéma reste à redécouvrir.
Encore plus précieux, le site officiel de la famille royale permet d’accéder à des fac similés des synopsys de ses films
http://www.norodomsihanouk.info/?page=document.php&selectedPage=include/item_page.php&menuID=11&itemID=70
A lire aussi ce beau texte de Davy Chou sur ce cinéaste pionnier.
http://www.lepetitjournal.com/cambodge/126290-norodom-sihanouk-ou-la-modernite-du-cinema-cambodgien-par-davy-chou.html
(1) Norodom Sihanouk pratiqua la polygamie, que le boudhisme n’interdit pas. Ayant donc eu sept épouses et quatorze enfants (dont cinq furent victimes des Khmers rouges), il est vrai qu’il avait ainsi pas mal de comédiens potentiels à disposition.
(2) Rithy Panh ne tournera son premier film au Cambodge, Les Gens de la rizière, qu’en 1993.
Oui, c’est bien le bon roi Norodom Sihanouk qui tourne, dans La Joie de vivre, cette scène de danse endiablée au son du Sva Rom Monkey de l’une des grandes stars de la chanson cambodgienne de l’époque, Pan Ron. On est loin des danses traditionnelles apsara mais on peut noter avec quelle gourmandise coquine le souverain filme les courbes de ses actrices…
http://www.culturopoing.com/Cinema/Norodom+Sihanouk+mort+d%E2%80%99un+roi+cineaste+-5137
Mais il y avait aussi autre chose, et d’abord une passion cinéphile ancienne et sincère chez celui qui, tout jeune, se rêvait en Clark Gable ou Robert Montgomery.
Dans l’entretien qu’il nous a accordé cet été à l’occasion de la sortie de son premier film, Le Sommeil d’or, évocation poétique des traces laissés par le cinéma cambodgien pré-Khmers rouges dans un pays aujourd’hui pacifié, Davy Chou nous expliquait justement la spécificité du cinéma de Sihanouk (qui justifiait à ses yeux qu’il n’en fasse pas mention dans son film). L’homme d’état ne se rêvait pas seulement star d’Hollywood mais aussi grand cinéaste reconnu par les festivals occidentaux les plus prestigieux, ce qui ne fut jamais le cas. Il développa donc un cinéma aux prétentions plus "artistiques" que celui qui s’épanouissait alors au Cambodge (qui est justement l’objet du Sommeil d’or), un cinéma, surtout, avec une ambition d’"édification des masses" (ce qu’il appelait, avec une certaine dose d’un paternalisme qui ne l’a jamais quitté, le "petit peuple"). Plusieurs de ses films, notamment les premiers (Apsara, La Forêt enchantée, Le Petit prince du peuple), étaient donc aussi conçus comme une glorification des tranditions ancestrales d’un peuple khmer au passé glorieux (les somptueux temples d’Angkor étaient évidemment, pour cela, largement mis à contribution). Mais avaient aussi une visée plus politique : celle de la légitimation de l’œuvre bienfaitrice de la monarchie. Et donc, de Sihanouk lui-même et de sa famille, très largement mise à contribution dans ses films.
"Norodom Sihanouk, roi cinéaste"
Car c’est l’une des autres singularités des films de Norodom Sihanouk : celle d’être des "super productions"" (à l’échelle du pays, bien évidemment, mais il pouvait mobiliser des ressources, militaires, notamment, pour certains de ses films, inaccessibles aux autres producteurs cambodgiens) mais aussi, d’une certaine façon, des home movies. Apsara (du nom des nymphes légendaires khmères), son premier long-métrage tourné en 1965, mettait ainsi en scène sa propre fille, la très belle princesse Bopha Devi, émérite danseuse traditionnelle du ballet national khmer, qui avait fait ses débuts cinématographiques dans L’Oiseau de Paradis de Marcel Camus trois ans auparavant et tourné au Cambodge (dont on peut voir un extrait dans Le Sommeil d’or), le propre époux de cette dernière, le prince Sisowath Chivan Monirak, un autre de ses fils, Norodom Naridrapong, mais aussi, ce qui semble encore plus fou, le général Tioulong, l’un de ses plus éminents ministres ! Le Petit prince du peuple (1967) n’était autre que Norodom Sihamoni, l’actuel souverain règnant du pays. Sa septième et dernière épouse, Monique (eurasienne franco-cambodgienne) (1), fut la vedette de plusieurs de ses films mais n’accepta de faire l’actrice qu’à la condition que Sihanouk lui-même lui donne la réplique. Ce qui lui permit ainsi notamment de camper un officier japonais dans Rose de Bokor (1969), un film historique illustrant la période d’occupation japonaise de l’ex-Indochine durant la Seconde Guerre mondiale. Mais surtout de signer des films politiques plus ouvertement autobiographiques, voire même étrangement prémonitoires, comme Ombre sur Angkor (1968), qui s’appuyait certes sur une tentative de coup d’état militaire (appuyé par la CIA) ayant échoué quelques temps auparavant mais qui préfigurait aussi celui du général Lon Nol qui allait réussir deux ans plus tard et plonger un peu plus le pays dans la corruption et dans un rôle d’allié objectif des Etats-Unis dans leur guerre contre le Vietnam communiste, qui fut, en réaction, le "meilleur" ferment qui soit pour le développement des Khmers rouges.
Avec une ironie amère dont il ne pouvait pas être tout à fait conscient (mais qu’il pressentait peut-être), Sihanouk signa aussi en 1968 un film, La Joie de vivre, qui se voulait tout à la fois une dénonciation de la corruption des élites de son propre pays (dont il était le propre chef de l’état !), prenant, avec des accents populistes, toujours partie pour son cher "petit peuple" (une rhétorique pas si éloignée de celles des Khmers rouges), un film de gangsters mettant en scène la mafia locale mais aussi une ôde à la modernité rock’n’roll de Phnom Penh (on y entend un orchestre local massacrer gentiment le All Day and All of the Night des Kinks). On peut aussi y voir des échos du cinéma post-Nouvelle Vague triomphant un peu partout dans le monde depuis plusieurs années.
Mais le plus étonnant dans le destin de réalisateur de Norodom Sihanouk et la meilleure preuve de passion "originelle" pour le cinéma, est que la catastrophe du génocide n’y a pas mis fin. Evidemment, durant son exil (en Chine populaire, en Corée du Nord ou même dans son propre pays), l’heure n’était certainement plus à faire des films. Mais il reprit la caméra dès la fin des années 80, alors que la guerre civile était très loin de toucher à sa fin et que de faire du cinéma cambodgien était encore très loin de renaître de ses cendres (2). Mais à partir de 1987, ses films sont le plus souvent d’une nature bien différente, souvent plus documentaire. Même si l’on peut penser que certains furent aussi pour lui une façon de "témoigner à décharge" sur sa conduite très ambigue durant toute la période de la guerre civile, une façon de toujours se présenter comme la "victime" des circonstances, jamais l’allié des bourreaux. Ce dont nous laisserons les historiens juges…
Lorsque Charles de Gaulle accomplit sa fameuse visite présidentielle au Cambodge en août 1966, ce n'est nul autre que Norodom Sihanouk lui-même qui en signe le film officiel !
La plupart de ces informations sont issues du film extrêmement précieux que Frédéric Mitterrand (pour l’écriture) et Jean-Baptiste Martin (pour la réalisation) ont réalisé en 1997, Norodom Sihanouk, roi cinéaste. Le film (qui nécessite de passer outre la grandiloquence pompeuse habituelle de Mitterrand et son ton assez obséquieux) est visible ici et présente de nombreux extraits des films cités plus haut ainsi que des témoignages de Sihanouk, de sa feme Monique et de ses enfants Bopha Devi et Sihamoni.
Autre adresse précieuse, celle du site Cinéartistes http://www.cineartistes.com/fiche-Norodom+Sihanouk.html qui présente a priori la filmographie la plus complète de Sihanouk, sa fiche sur le site référence ImdB étant, en revanche, très parcellaire. Ce qui montre bien à quel point son cinéma reste à redécouvrir.
Encore plus précieux, le site officiel de la famille royale permet d’accéder à des fac similés des synopsys de ses films
http://www.norodomsihanouk.info/?page=document.php&selectedPage=include/item_page.php&menuID=11&itemID=70
A lire aussi ce beau texte de Davy Chou sur ce cinéaste pionnier.
http://www.lepetitjournal.com/cambodge/126290-norodom-sihanouk-ou-la-modernite-du-cinema-cambodgien-par-davy-chou.html
(1) Norodom Sihanouk pratiqua la polygamie, que le boudhisme n’interdit pas. Ayant donc eu sept épouses et quatorze enfants (dont cinq furent victimes des Khmers rouges), il est vrai qu’il avait ainsi pas mal de comédiens potentiels à disposition.
(2) Rithy Panh ne tournera son premier film au Cambodge, Les Gens de la rizière, qu’en 1993.
Oui, c’est bien le bon roi Norodom Sihanouk qui tourne, dans La Joie de vivre, cette scène de danse endiablée au son du Sva Rom Monkey de l’une des grandes stars de la chanson cambodgienne de l’époque, Pan Ron. On est loin des danses traditionnelles apsara mais on peut noter avec quelle gourmandise coquine le souverain filme les courbes de ses actrices…
http://www.culturopoing.com/Cinema/Norodom+Sihanouk+mort+d%E2%80%99un+roi+cineaste+-5137
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La joie de vivre de Norodom Sihanouk
Le commissaire Siporak et l’inspecteur Sam Baun opèrent une descente dans un tripot de luxe de Kirirom tenu par le prince Chantavong, sous couverture de serres d’orchidées. Son épouse Sulpra, qu’il délaisse, se donne du bon temps avec son neveu. Son mari arrêté, elle fait la connaissance de Sneha Sambat, promoteur de complexes hôteliers, qui l’emmène sur la plage d’une île au large de Sihanoukville. Libéré, le mari se lance à ses trousses en compagnie
d’une "gâchette". Le nain qui pilote leur canot à moteur leur fait prendre un bain forcé. Tous vont se retrouver au dancing d’Etat de Pochentong. L’inspecteur Baun y découvrira que sa femme a été aussi indélicate que la belle Sulpra, à qui le prince Chantavong accorde son pardon.
6 ème film de fiction de S.M. NORODOM SIHANOUK réalisé au Cambodge en 1968 et présenté au public en 1969
Il s'agit d'une comédie et d'une critique (sans malveillence) des moeurs ... peu exemplaires de certains grands bourgeois et bourgeoises khmers et certains princes et princesses khmers au temps où la vie au Cambodge était facile et où la paix paraissait durable et solide.
Un film de NORODOM SIHANOUK¸ réalisé au Cambodge en 1969
Extraits d'un article de Jean Barré publié dans la revue (magazine) phnom-penhoise "Réalités Cambodgiennes"¸ numéro de Mai 1969 :
« C'est une comédie de moeurs montrant un certain côté de la vie (des Khmers de la haute société). Après avoir ri à gorge déployée à certaines séquences et où abondent les "gags" heureux¸ et retenu mon souffle¸ comme les autres spectateurs¸ à certaines scènes d'amour¸ je me suis demandé¸ une fois rentré chez moi¸ si le propos de Samdech (Sihanouk) n'était pas¸ en présentant une certaine "bonne société" cherchant sans gêne son plaisir dans l'adultère¸ le jeu¸ voire la drogue¸ de tenter d'amener celle-ci à se réformer quelque peu en lui montrant¸ comme dans un miroir¸ ce qu'elle a parfois d'un peu risible.
(...) Le scénario imaginé par l'auteur est simple et drôle. Mais¸ dit Samdech (Sihanouk)¸ "ce que je raconte est le résultat de mes observations". En bref¸ c'est l'histoire d'une très belle jeune femme à laquelle son vieux mari¸ un Prince¸ tenancier de tripot de luxe à Kirirom¸ ne donne pas les satisfactions physiques que sa nature ardente exige. Un habile commissaire (de police) opère une descente couronnée de succès sur le tripot et arrête le Prince¸ qui restera détenu pendant quelques jours. Sa jeune femme est miraculeusement libre.
Comment va-t-elle employer sa liberté? Très mal¸ ou très bien¸ selon le point de vue où l'on se place: en se donnant à un jeune et beau garçon de la famille de son mari¸ puis à un "Don Juan" sexagénaire plein d'expérience - et c'est à ce dernier que restera¸ sinon son coeur¸ du moins son souvenir ému. Mais le vieux mari est libéré. Accompagné d'un garde-de-corps du genre "pistolero"¸ il part à la poursuite de l'infidèle pour venger son honneur. Le jeune séducteur¸ lui-même abandonné¸ est vite mis hors de cause. L'infidèle est à Sihanoukville¸ sur la plage de rêve d'une île où son complice lui prodigue ses caresses.
Le mari trompé tombera à l'eau alors qu'il engageait la poursuite sur un canot à moteur. Et tout le monde se retrouve finalement au Dancing Club de Pochentong où¸ après une bagarre homérique et des coups de pistolet dans tous les azimuts¸ la belle retrouvera son mari¸ qui¸ sagement¸ lui pardonne.
Tout est bien qui finit bien - la fin¸ au moins¸ est morale.
Un film comme celui-là ne se raconte pas. Il faut le voir¸ mené à un rythme très vif¸ plein d'innombrables trouvailles¸ résolument gai. (...) Tous les acteurs sans exception¸ qu'ils soient professionnels ou amateurs¸ sont à féliciter¸ même ceux qui ne font que de courtes apparitions. Ils jouent¸ en effet¸ "décontractés"¸ avec un naturel total. (...) Un film spirituel du commencement à la fin¸ mené à toute allure¸ qui connaîtra le plus franc succès tant ici (au Cambodge) qu'au dehors.
Enfin un film follement gai¸ qui exprime bien mieux le caractère véritable des Khmers que ces "mélos" larmoyants¸ qu'on impose trop souvent à un public sentimental. »
http://www.norodomsihanouk.info/?page=media.php&mediaType=film.php&filmID=9&menuID=6
d’une "gâchette". Le nain qui pilote leur canot à moteur leur fait prendre un bain forcé. Tous vont se retrouver au dancing d’Etat de Pochentong. L’inspecteur Baun y découvrira que sa femme a été aussi indélicate que la belle Sulpra, à qui le prince Chantavong accorde son pardon.
6 ème film de fiction de S.M. NORODOM SIHANOUK réalisé au Cambodge en 1968 et présenté au public en 1969
Il s'agit d'une comédie et d'une critique (sans malveillence) des moeurs ... peu exemplaires de certains grands bourgeois et bourgeoises khmers et certains princes et princesses khmers au temps où la vie au Cambodge était facile et où la paix paraissait durable et solide.
Un film de NORODOM SIHANOUK¸ réalisé au Cambodge en 1969
Extraits d'un article de Jean Barré publié dans la revue (magazine) phnom-penhoise "Réalités Cambodgiennes"¸ numéro de Mai 1969 :
« C'est une comédie de moeurs montrant un certain côté de la vie (des Khmers de la haute société). Après avoir ri à gorge déployée à certaines séquences et où abondent les "gags" heureux¸ et retenu mon souffle¸ comme les autres spectateurs¸ à certaines scènes d'amour¸ je me suis demandé¸ une fois rentré chez moi¸ si le propos de Samdech (Sihanouk) n'était pas¸ en présentant une certaine "bonne société" cherchant sans gêne son plaisir dans l'adultère¸ le jeu¸ voire la drogue¸ de tenter d'amener celle-ci à se réformer quelque peu en lui montrant¸ comme dans un miroir¸ ce qu'elle a parfois d'un peu risible.
(...) Le scénario imaginé par l'auteur est simple et drôle. Mais¸ dit Samdech (Sihanouk)¸ "ce que je raconte est le résultat de mes observations". En bref¸ c'est l'histoire d'une très belle jeune femme à laquelle son vieux mari¸ un Prince¸ tenancier de tripot de luxe à Kirirom¸ ne donne pas les satisfactions physiques que sa nature ardente exige. Un habile commissaire (de police) opère une descente couronnée de succès sur le tripot et arrête le Prince¸ qui restera détenu pendant quelques jours. Sa jeune femme est miraculeusement libre.
Comment va-t-elle employer sa liberté? Très mal¸ ou très bien¸ selon le point de vue où l'on se place: en se donnant à un jeune et beau garçon de la famille de son mari¸ puis à un "Don Juan" sexagénaire plein d'expérience - et c'est à ce dernier que restera¸ sinon son coeur¸ du moins son souvenir ému. Mais le vieux mari est libéré. Accompagné d'un garde-de-corps du genre "pistolero"¸ il part à la poursuite de l'infidèle pour venger son honneur. Le jeune séducteur¸ lui-même abandonné¸ est vite mis hors de cause. L'infidèle est à Sihanoukville¸ sur la plage de rêve d'une île où son complice lui prodigue ses caresses.
Le mari trompé tombera à l'eau alors qu'il engageait la poursuite sur un canot à moteur. Et tout le monde se retrouve finalement au Dancing Club de Pochentong où¸ après une bagarre homérique et des coups de pistolet dans tous les azimuts¸ la belle retrouvera son mari¸ qui¸ sagement¸ lui pardonne.
Tout est bien qui finit bien - la fin¸ au moins¸ est morale.
Un film comme celui-là ne se raconte pas. Il faut le voir¸ mené à un rythme très vif¸ plein d'innombrables trouvailles¸ résolument gai. (...) Tous les acteurs sans exception¸ qu'ils soient professionnels ou amateurs¸ sont à féliciter¸ même ceux qui ne font que de courtes apparitions. Ils jouent¸ en effet¸ "décontractés"¸ avec un naturel total. (...) Un film spirituel du commencement à la fin¸ mené à toute allure¸ qui connaîtra le plus franc succès tant ici (au Cambodge) qu'au dehors.
Enfin un film follement gai¸ qui exprime bien mieux le caractère véritable des Khmers que ces "mélos" larmoyants¸ qu'on impose trop souvent à un public sentimental. »
http://www.norodomsihanouk.info/?page=media.php&mediaType=film.php&filmID=9&menuID=6
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